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Todd Shepard Sex, France, and Arab Men, 1962-1979 Chicago, The University of Chicago Press, 2017, 324 p.
Dans la France des décennies 1960 et 1970 sourd une puissante inquiétude sur la place prise par les « Arabes » dans le pays. Au même moment, les débats bouillonnant sur la sexualité, la décolonisation et le racisme secouent la société française selon des modalités spécifiques à l’histoire coloniale et postcoloniale du pays. C’est à l’articulation de ces deux phénomènes discursifs – racial et sexuel – que Todd Shepard consacre son ouvrage, qui propose de réexaminer depuis ses marges raciales l’histoire de la révolution sexuelle dans le pays, irréductible aux histoires des révolutions sexuelles ailleurs en Occident. Au-delà d’une revisite nécessaire de l’histoire trop blanche d’une révolution sexuelle invisibilisant les minorités raciales, l’auteur nous offre une description fine des prémisses de la reconfiguration sur le sol métropolitain des « frontières de l’identité nationale1 » depuis l’intime.
Au moyen d’une analyse des débats les plus représentatifs, retracés aussi bien à travers une multitude de sources journalistiques, filmiques, littéraires que dans les archives d’institutions (police, gouvernements), d’associations, de maisons d’édition ou encore au cœur de publications scientifiques importantes (L’anti-Œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guattari, La rumeur d’Orléans d’Edgar Morin, l’Histoire de la sexualité de Michel Foucault, Les filles de noce d’Alain Corbin), T. Shepard traque la « parole sexuelle » (sex talk) contribuant à naturaliser les liens entre pratiques sexuelles et identités, en l’occurrence raciales. En appréhendant au prisme de leurs références aux Arabes articles de magazines, tracts, manifestes, essais, courriers des lecteurs, dialogues et scènes filmiques emblématiques (Dupont Lajoie d’Yves Boisset, Le dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci, Diabolo menthe de Diane Kurys), etc., il démontre comment la perception de la révolution algérienne a façonné une histoire de la sexualité de l’après-décolonisation en France.
L’irruption de la parole sur les pratiques sexuelles et les débats houleux qu’elle entraîne sur l’émancipation, l’homosexualité, la « vogue de la sodomie » (p. 199), la prostitution et le proxénétisme, les violences sexuelles et le féminisme contiennent tous des références (majoritairement algériennes) à la sexualité arabe. Produit d’une longue histoire orientaliste, qui la considère tout à la fois bestiale, virile, misogyne et homosexuelle, cette sexualité fonctionne...