Abstract: This work exposes the reasons for which phenomenology is interested in tradition (Tradition) and phenomenological hermeneutics in transmission (Überlieferung). The author emphasizes the ambivalence of this concept used by Husserl, Merleau-Ponty and Gadamer. Writing is an example of this ambiguity. This contribution studies the capacity of sedimentation of the writing and of the habits as similar modes of the secondary passiveness whose function in activity is determined by a relation of Fundierung analogous to that fulfills the Stiftung of a tradition. We also analyze the sense that Merleau-Ponty gives to this one, his function in history and in revolution. The institutionalizing is a movement of reactivation and of ethical renovation (Husserl), for this reason phenomenology and hermeneutics define the authentic tradition on the basis of his theoretical-practical conception of rationality whose origin is the philosophy.
Keywords: Tradition, Sedimentation, Phenomenology, Husserl, Gadamer, Merleau-Ponty.
La tradition est formée par une série d'actes de transmission et d'appropriation. Contrairement à la mode, qui est éphémère,* la tradition demeure et se sédimente. Extraire quelque chose de la tradition est profiter d'aucune des possibilités de réponse qu'elle offre. Ces multiples potentialités découlent du fait que la tradition n'est pas une substance, ni l'ensemble d'évènements conclus, mais le réservoir d'un long processus d'accumulation d'arguments et d'expériences dont les possibilités de donation de sens et d'interprétation sont inépuisables. Ses adeptes acquièrent un sens en donnant réponse à ce d'elle qui les interpelle. Même quand nous la rejetons, nous lui attribuons un sens. Cést pourquoi les révolutions elles-aussi s'érigent depuis le passé et sont re-fondées.
Une tradition n'est pas seulement une possession de quelque chose qui a déjà passé, mais aussi un point de départ pour réaliser de nouvelles actions. À vrai dire, la tradition héritée acquière un sens réel une fois que nous apprenons à l'altérer avec notre propre style. En réinterprétant ainsi dialectiquement sa tradition culturelle, l'individu ou le groupe en prennent conscience à la fois qu'ils façonnent leur identité dans le cadre des relations qu'ils maintiennent avec le monde et les autres. La sédimentation de ce processus fera qu'ils demeurent en latence comme rendements de la conscience pre-réfléxissante qui déterminera passivement sa réactivation postérieure.
La phénoménologie et l'herméneutique philosophique décriront ce processus en le rattachant avec la conscience de notre appartenance à une tradition dont nous sommes co-auteurs, grâce à que nous lui donnons de nouveaux sens en réactivant ceux qu'elle possédait déjà, en stylisant le déjà acquis depuis sa fondation (Stiftung) et en contribuant activement à l'instituer à nouveau.
Husserl, dans son essai sur «L'origine de la géométrie», déclare que cette science, toute prête comme ensemble de formes transmises à partir de laquelle procède la Rückfrage par son sens originaire, est déjà une tradition et que «C'est au milieu d'un nombre infini de traditions que se meut notre existence humaine» (Husserl 1976, 366). La tradition n'est pas une détermination causale, mais le début d'un mouvement qui est initié depuis le présent. Une tradition ne vient pas donnée, elle est engendrée à partir d'activités humaines dont les résultats se sédimentent et se poursuivent dans une synthèse dans laquelle toutes les acquisitions estimables persistent, «elles forment une totalité, de telle sorte qu'en chaque présent, l'acquis est, pourrait-on dire, prémisse totale pour les acquis de l'étape suivante» (Husserl 1976, 267). Par conséquent, la tradition est réceptrice d'acquis passives et progressivement donnés, mais qui exigent d'être réévaluées et élaborées synthétiquement pour les appliquer à notre situation.
Celui-ci sera aussi l'intérêt de l'herméneutique philosophique de Gadamer. Son passage par l'école de la phénoménologie, a laissé une empreinte dans sa critique radicale de l'objectivisme et du psychologisme, ainsi que dans son interprétation de la Lebenswelt, de l'intentionnalité et aussi dans le sujet ici traité: la tradition. Dans la ligne de la phénoménologie, Gadamer comprend la tradition comme un phénomène de sens qui a une valeur, car elle est une transmission (Überlieferung)1 et une origine; elle possède d'actives connotations, puisqu'elle nést seulement pas le transmis, mais aussi ce qui nous incite à nous en approprier.
La tradition est, donc, ce qui a été historiquement sédimentée et que nous pouvons réactiver ou pas. «Réactiver» est reprendre le mouvement de ça qui se trouvait dans un état inactuel, mais dont la passivité semble indispensable pour le déclenchement de l'action.
Husserl dénomme «Niederschlag» la sédimentation du sens (Sinn) et «Sinnbildung» la formation de sens qui définit une tradition vivante. La dynamique de cette tradition dans la réciprocité est l'histoire intentionnelle que nous sommes: «Le mouvement vivant de la solidarité et de l'implication mutuelle de la formation de sens (Sinnbildung) et de la sédimentation du sens originaires c'est justement l'histoire (Geschichte)» (Husserl 1976, 380). Comme on verra plus en avant, Gadamer a aussi converti la tradition en paradigme de l'historicité dans laquelle la distance historique contribue à bien comprendre le présent.
Toutes les sciences partent de traditions sédimentées qui sans cesse opèrent une transmission en produisant de nouvelles formations de sens. La sédimentation est toujours ambiguë, car elle produit une inscription, mais aussi abandon du sens originaire de la fondation de la tradition. Un exemple est la technique qui contribue au bon fonctionnement des choses et qui dispense à la science de penser. Le calcul mécanique sans une réactivation complète de ce qui est dans sa base ouvre un grand éventail de possibilités de développement, mais il est le modèle du penser irréfléchie qui a conduit à la crise des sciences européennes et à la revendication husserlienne d'une phénoménologie transcendantale.
Le cas de sédimentation de la tradition la plus déterminante est celui-là de la signification linguistique, puisque le langage est le moyen qui permet que le surgissement intra-personnel dúne science comme formation idéale atteigne son objectivité (Cfr. Husserl 1976, 369). Le langage est la chair linguistique (Sprachleib) des idéalités; grâce à lui, la communication virtuellement infinie de l'humanité est posible, ainsi que la transmission et transformation d'une tradition. Celle-ci se base sur la communication de signifiés qui restent préservés et, grâce en grande mesure à l'écriture, ils sont mis à la disposition d'un nombre potentiellement infini de récepteurs. Pourtant, l'écriture aussi peut avoir des conséquences négatives lorsqu'elle cache le sens intentionnel originaire (Cfr. Husserl 1976, 371).
H-G. Gadamer détecte la même ambiguïté. Dans l'écriture reste fixée l'idéalité du sens qui se fait communicable à quiconque qui sache lire, parce qu'en elle «est engendrée la libération du langage à l'égard de sa réalisation» (Gadamer 1990, 393) et tout le transmis devient contemporain. L'idéalité du mot élève tout ce qui a été transmis linguistiquement au-dessus de la finitude de ce qui a déjà passé. Gadamer reconnaÎt la supériorité méthodologique de la tradition écrite: elle libère l'expression de ses moments émotionnels et des facteurs psychologiques et elle s'ouvre à une infinité d'interlocuteurs potentiels. Cette prééminence n'est pas plus que le revers de l'auto-bannissement de la Sprache qui est l'écriture et qui est dépassé avec la lecture compréhensive, avec la «participation dans un sens présent» (Gadamer 1990, 396). Ce excès est fondamental parce que les avantages de l'écriture sont, en même temps, l'expression d'une faiblesse spécifique, déjà détectée par Platon et que Gadamer résout avec l'herméneutique, avec le développement de sens que l'écrit acquiert après son interprétation.
Husserl et Gadamer envisagent que entre l'écriture et la parole il y ait seulement une différence de degré: celle-là transmet ce qui reste dans le temps et elle s'incorpore à la tradition. Aussi une tradition orale existe, en connaissant par «tradition» non seulement la tradition littéraire, mais toute inscription d'actes dans l'histoire qui peut être réactivée, en obtenant ainsi une fusion productive de l'horizon du passé et du présent vis-à-vis de l'avenir. L'écriture est certainement plus efficace que la langue pour atteindre cet but.
Pourtant, Gadamer insiste à ne pas oublier l'origine de l'écriture: le dialogue vivant. La dialectique question-réponse s'érige sur l'objectivation ou fixation matérielle du mot écrit que l'aliéna et seulement revient à soi en posant la question qui l'a motivé:
La lettre morte de l'écriture ne peut être attribuée à l'être de l'oeuvre d'art, mais seulement le mot ressuscité (parlé ou lu). Néanmoins uniquement le passage par sa chute dans l'écriture donne à la parole son transfiguration qu'on peut appeler sa vérité (Gadamer 1993b, 46).
L'écriture est appelée à être lue et à récupérer son origine dialogale, en insérant le sens donné par le lecteur dans la direction sémantique ouverte par le texte; pourtant, seulement la fixation de ce dialogue qu'est la Sprache fait de celle-ci une vérité. Husserl partage cette idée: l'écriture objective, de sorte qu'elle universalise le sens; cependant elle risque de s'éloigner de l'évidence originaire et de faire que le sens du mot soit donné passivement. Pour l'éviter, chaque être humain doit réactiver les signes écrits. Il ne suffit pas de appréhender l'expression passivement, mais il faut réaliser son évidence originaire (Cfr. Husserl 1976, 371-372).
L'herméneutique gadamérienne serait dáccord avec cette nécessité de reprise active, puisqu'elle voit la compréhension comme interprétation et application; «réactiver» serait comprendre autrement (Andersverstehen) l'écrit, le faire parler; donc, comme Schleiermacher a mis en évidence, compréhension et interprétation diffèrent seulement comme la parole intérieure et la parole à voix haute, respectivement (Cfr. Gadamer 1993a, 19).
C'est pourquoi l'écriture est cette médiation par laquelle le signifié est exprimé et maintenu, bien qu'elle soit aussi la médiation par laquelle la signification est perdue. Cette perte arrive lorsqu'il n'y a pas une véritable reprise du sens, mais répétition de signes.
Merleau-Ponty est d'accord avec Gadamer et Husserl: l'écriture fixe le sens et «la sédimentation est l'unique façon d'être de l'idéalité» (Merleau- Ponty 1964, 288). L'origine de celle-ci est historique et jusqu'à charnel, mais elle ne disparaÎt pas lorsque le sens est sédimenté, plutôt son Niederschlag constitue l'horizon de passivité depuis lequel toute activité se détache2. Le côté négatif de la sédimentation, déjà signalé par Husserl, est l'autre face de son côté positif:
La sédimentation qui fait que nous allons plus loin fait aussi que nous sommes menacés par des pensées creuses, et que le sens des origines se vide. Le vrai n'est pas définissable hors de la possibilité du faux (Merleau-Ponty 1968, 167).
La théorie merleau-pontienne de l'expression ainsi le démontre. Cette théorie a son origine dans le geste, est continuée dans la parole3 et culmine à l'expression culturelle et artistique. Merleau-Ponty montre que la sédimentation atteint des sommets insoupçonnés dans le langage - spécialement dans le langage écrit. Cependant, non seulement l'écriture sédimente, mais aussi la parole dont elle provient, en raison de son pouvoir de réitération indéfinie qui nous permet de penser et même de parler du langage. En réalité, la parole, bien qu'elle soit parlée (instituée) ou parlante (instituante) (Cfr. Merleau-Ponty 1960, 229), c'est celle qui réactive la langue et, donc, accomplit la vérité des significations.
En suivant Husserl, Merleau-Ponty déclare: «Il y aurait donc un mouvement par lequel l'existence idéale descend dans la localité et la temporalité, - et un mouvement inverse par lequel l'acte de parole ici et maintenant fonde l'idéalité du vrai» (Merleau-Ponty 1960, 120). Nous pouvons parler et interpréter, car il y a quelque chose, parce qu'il y a un monde pré-donné, mais ce monde obtient seulement l'idéalité grâce à la parole.
L'estimation merleau-pontienne de la passivité est, pourtant, plus positive que celle husserlienne, selon la quelle, línévitable sédimentation des produits spirituels sous la forme d'acquis linguistiques qui peuvent être repris en charge et à nouveau assumés passivement par n'importe qui, est un danger pour la reprise effective des significations (Cfr. Husserl 1976, 372). Il y a une réactivation seulement si, à partir d'une forme de sens qui a été reçue de façon passive et grâce à une production active, une formation est apparue comme une évidence communicable. Husserl reconnaÎt, donc, la fonction des synthèses passives, mais aussi leurs dangers: les contenus restent fixés uniquement d'une manière passive, sans conscience critique ni reprise; dans ce cas, il n'y aurait pas donation de sens, mais de dissimulation et jusqu'à une imposition autoritaire de ce dernier.
Husserl a découvert la capacité de synthèse de ces passivités et il l'a étudié dans sa phénoménologie génétique qui se concentre sur la continuité de la subjectivité et sur la relation avec le monde pré-donné par laquelle la constitution des objets est générée devant la conscience. Cette phénoménologie découvre, par exemple, que n'importe quelle expérience présuppose une structure d'horizon; elle se demande, de la même manière, sur les conditions de possibilité de la subjectivité (Cfr. Husserl 1966, 124).
La phénomélogie génétique agit au moyen de deux types de genèse: active ou rapportée à la production égoïque d'objets et la synthèse passive, qui donne aussi lieu à des articulations de signifiés, bien que ceux-ci ne résultent pas de l'activité d'ego. Celui-ci est affecté par les unités de signifiés générées par les structures qui agissent déjà en l'hyle sensible et qui font partie de l'expérience. Le contenu de celle-ci est interprété par ego, grâce à sa disposition d'un ensemble de significations latentes qui proviennent, ou bien de la sédimentation d'actes préalables, ou bien de l'horizon perceptif. À ces contenus passivement donnés et conservés appartiennent ceux qui nous viennent des traditions. Les communautés les héritent comme des réserves provisoirement désactivées de sens, qui peuvent passivement se réveiller par association ou s'approprier activement.
Cést vrai que la constitution phénoménologique de la signification découle des actives synthèses complexes (jugements, évaluations, conséquences, etc.), mais toutes sont motivées par des synthèses passives (des associations, des impulsions, des sentiments, etc.). Selon Husserl, les premières appartiennent à un niveau de conscience plus élevé que les deuxièmes, mais celles-ci fondent l'expérience pré-thématique qui précède à l'activité d'ego. Ces synthèses passives, entre lesquelles sont incluses l'autotemporalisation, l'institution de la structure associative des champs et la formation d'unités de sens à travers les sensations kinesthésiques, appartiennent à la passivité primordiale, dont la fonction est inciter à l'activité au moyen d'associations de pré-donations; son domaine est celui des données hylétiques. Ceux-ci se transformeront en stimulations passives qui détermineront la perception, bien que l'ego en soit seulement préréflexivement conscient. Lorsque l' intelligence s'approprie des synthèses et des connexions passivement constituées, elle se retourne intentionnellement vers l'objet. Ceci implique qu'il y a une continuité entre des actes perceptifs et délibératifs.
De la passivité première, dérive la deuxième, laquelle contient déjà quelque sédiment de raison. Avec elle, les actes se conservent dans un état inactuel dont nous avons une conscience passive et il permet que l'activité se continue téléologiquement. La passivité secondaire institue, ainsi, un fond sensible qui n'a pas besoin du ego actif pour subsister et elle élargit la conscience à la passivité associative. Cette passivité est formée par les modifications qui procèdent des accomplissements synthétiques passifs qui «agissent» derrière les correspondants actes égoïques. Les phénomènes les plus importants de cette sphère sont: la sédimentation, les habitudes et les associations reproductives. Les trois sont rattachés avec le je peux, lequel possède des contenus inactuels que demeurent latents comme des strates nécessaires pour l'activité synthétique.
Grâce à eux, en les incorporant à leur habitus, l'ego pur «s'auto-constitue dans l'unité d'une histoire» (Husserl 1963, 109). Sa permanence permet que le monde réel ne se réduise pas à une somme d'objets perçus et perceptibles, qúil soit vécu comme une structure transcendantale de familiarité, comme un niveau de sédimentations qui conditionne les positionnements historiques. Ainsi, en effet, ce qui s'est converti dans une habitude, reste à disposition de la vie intentionnelle jusqu'à conformer un style (Stil) plus constant que les prises de position et «avec une unité d'identité continue, un caractère personnel» (Husserl 1963, 101).
Le style, qui est converti en un habitus, est ce qui a fait que même la tâche infinie et commune de l'humanité vers le telos de la rationalité, la même qui a son origine historique chez les Grecs, soit devenue l'attitude propre de la philosophie,
Un style établi avec la fermeté par l'habitude à la vie de la volonté, avec les orientations volontaires ou les intérêts qui trouvent prescrits dans elle, ainsi que les buts finaux, les prestations culturelles, dont le style de l'ensemble se trouve en même temps. La vie, comme vie chaque fois déterminée, se développe dans la permanence de ce style, dans tant une forme normative (Husserl 1976, 326).
L'ambiguïté de l'habitus ne passe pas inaperçu à Husserl: il peut augmenter le pouvoir d'action d'ego, mais il peut aussi occulter l'activité originale de laquelle il a surgi; c'est la même chose qu'avec la sédimentation, qui n'est non seulement une forme de conservation, mais aussi d'oubli et une source d'erreurs. Lorsque les signifiés sédimentés sont hérités sans réactiver la configuration de sens qui les a causé et ils se reproduisent sans auto-réflexion, le processus de sédimentation peut pétrifier les traditions vivantes et les réussites scientifiques. Prospère alors l'irrationalité.
Ainsi comprise la passivité secondaire serait la principale barrière que une philosophie, qui essaie d'être scientifique et de contribuer à la rénovation éthique, doit franchir, parce que les expériences passives reflètent hétéronomie et dépendance, toutes deux opposés à la vie éthique. À notre avis, cela ne doit pas toujours être ainsi, puisque l'éthique n'est pas uniquement autonomie et contrôle, mais aussi une ouverture à autrui, une écoute et un soin, désappropriation et reconnaissance des propres limites.
Certainement, cette attitude responsive vers autrui devrait être complétée par l'autonomie réflexive, de la même façon les effets pervers des habitudes et sédimentations pourraient être évités en rééduquant et en socialisant autrement et avec d'autres fins. Comme on verra par la suite, la conception merleau-pontienne de la «institution» est consciente de cette possibilité transformatrice, dont le meilleur exemple est l'apprentissage d'autres langues sur la base de l'idiome maternel et même de l'institution de la parole dans le monde (Merleau-Ponty 1960, 50).
Les configurations culturelles ne sont pas acquises d'un seul coup pour toujours, elles peuvent changer, précisément parce que ce sont «des institutionnalisations» dans lesquelles les individus agissent sur les sens sédimentés. Depuis cette compréhension dialectique de l'institution, la passivité n'interfère pas avec la liberté et la responsabilité, mais elle peut contribuer à les généraliser à toute la société.
Cependant Husserl n'aboutit pas à ces conclusions. Il reconnaÎt l'habitus et la sédimentation comme des consolidations des horizons culturels nécessaires pour que les membres d'un monde commun obtiennent leur identité personnelle et culturelle et comme des capacités de conserver des contenus objectifs en réserve pour des synthèses futures, mais il considère aussi que les sédimentations confondent les chaÎnes associatives et qu'elles sèment le trouble. Cela se doit à sa notion de «sédimentation», qui est extrèmement débitrice de la notion traditionnelle de passivité comme une inertie et une occultation, opposée à l'activité, comprise comme un réveillé et une évidence auto-explicite remportée par la conscience constituante.
Cependant, Husserl a eu le mérite d'étudier la structure de ces passivités et de proposer leurs subordinations à l'activité en relativisant son opposition. Il a compris le papier que la passivité joue dans la perception, dans notre vie et dans la réalité, laquelle non est seulement composée par des objets physiques, mais aussi des construits, relatifs aux sujets, dépendants d'actes sociaux, d'intérêts, de motivations, d'orientations et d'idées. En définitive, Husserl s'est rendu compte qu'une activité a besoin d'une passivité, et à l'inverse, de que l'ego est passif en même temps qu'il prend une position, puisque il doit être affecté. Passivité et activité intègrent la relation de fondation (Fundierung), comprise comme une dialectique dans laquelle celui qui fonde n'est rien sans le fondé et ce dernier se trouve déjà en germe dans le premier. Cette interrelation est présente aussi dans Ricoeur; il considère que le phénomène de «l'alternance entre innovation et sédimentation; ce phénomène est constitutif de ce que l'on appelle une tradition et il est directement impliqué dans le caractère historique du schématisme narratif» (Ricoeur 1986, 16). C'est cette alternance qui rend aussi possible l'écart.
Nous venons de voir qu'Husserl considère la sédimentation comme un cas de passivité secondaire, comme Urstiftung (proto-fondation) d'un point du temps et de l'espace dont l'évidence doit être maintenue dans sa reprise. Dans les Urstiftungen de la signification, dans la genèse historique de la relation entre l'ego et le monde, trouve la phénoménologie génétique la source de la corrélation noesis-noema.
De cette fondation originaire, dérive la fécondité de la culture et de la tradition, dont la valeur continue après ses apparitions historiques. C'est pourquoi il faut réactiver l'Urstiftung comme Nachstiftung. En réalité, toute Stiftung est Urstiftung qui anticipe une continuation, soit dans le même sens ou dans un autre différent.
Gadamer et Merleau-Ponty, suivant Husserl, comprennent que l'originaire n'est pas appréhensible à travers une régression vers lui, mais au moyen d'une Rückfrage par son sens, qui ne consiste pas en une simple répétition de ce qui fut, mais en une nouvelle refondation dans le présent. Pour cette raison, Merleau-Ponty traduit le concept husserlien d'Urstiftung comme «institution originaire». Il le comprend comme champ de présence duquel démarrent les expériences et oú la sédimentation est produite (Merleau-Ponty 1964, 275). Avec ce concept il illustre que la passivité intervient à n'importe quelle activité, que la sédimentation est l'autre visage de la transcendance, car
Toute institution comporte ce double aspect, fin et commencement, Endstiftung en même temps qu'Urstiftung. La sedimentación est cela: trace de l'oublié et par là même appel à une pensée que table sur lui et va plus loin. L'évidence (das Erlebnis der Wahrheit) est l'expérience de ce double rapport (Merleau-Ponty 2003, 99).
Cette productivité de l'acquis dans l'expérience qui est sédimenté facilite de nouvelles acquisitions sans besoin de les apprendre à nouveau et donne un sens à les futures expériences. C'est justement ce qúHusserl désignait comme Stiftung et Merleau-Ponty traduit comme Institution: «la fécondité illimitée de chaque présente qui justement parce qu'il est singulier et qu'il passe, ne pourra jamais cesser d'avoir été et, donc, d'être universellement» (Merleau-Ponty 1960, 73-74). Ce présent inaugure un nouveau niveau, il fonde une institution par médiation de la dialectique parmi le sédimenté et les reprises individuelles dont dérive la culture, comprise comme expression de l'interne en l'externe.
Nous avons déjà vu que Husserl comprend l'histoire vivante comme la récupération du sens actif de son Stiftung. Merleau-Ponty assure que ce sens doit rétablir sa relation de Fundierung, la même que définit la tradition: «La tradition est oubli des origines -il disait le dernier Husserl»4 afin de donner au passé, «non pas une survie qui est la forme hypocrite de l'oubli, mais une nouvelle vie qui est la forme noble de la mémoire» (Merleau-Ponty 1960, 74). Cette nouveauté apportée par la Stiftung oblige à réactiver d'une nouvelle manière le passé, comme tradition historiquement vivante, faite d'institutionnalisations, qui sont d'abord possédés et après sédimentés.
Non seulement Merleau-Ponty, mais Gadamer, lui-même, en suivant Heidegger, constatent que le passé existe dans l'oubli et que, grâce à lui, nous pouvons nous souvenir. Le souvenir est essentiel pour la continuité de l'histoire, mais il ne repose pas seulement sur la capacité d'un être pensant qui réalise l'acte de la connaissance; il est la «réalisation vitale de la tradition même (Lebensvollzug der Überlieferung selber» (Gadamer 1993a, 145), le souvenir est donc basé sur l'interrogation et la recherche de réponses pour notre avenir.
En intérêt du futur et du présent qui est dirigé vers lui, Merleau-Ponty emprunte la distinction husserlienne entre l'histoire externe (ignorante, morcelée) et l'histoire interne à l'égard de l'histoire intentionnelle comme véritable historicité et condition de possibilité de celle-là, comme une tradition vivante, comme histoire «constituée et reconstituée progressivement par l'intérêt qui nous porte vers ce que n'est pas nous, par cette Vie que le passé, dans un échange continu, nous apporte et trouve en nous et qu'il continue de mener » (Merleau-Ponty 1960, 75).
Cette vie n'est ni la conscience transcendantale, ni un enchaÎnement d'événements, mais l'histoire qui se fonde en nous à la fois que le véritable transcendantal, que Merleau-Ponty dénomme «histoire intentionnelle ou verticale, avec Stiftungen, oublie qui est tradition, reprises, intériorité dans l'extériorité, Ineinander du présent et du passé. Tant qu'on aura pas retrouvé ce transcendantale, la rationalité sera en crise» (Merleau-Ponty 1996, 83).
Merleau-Ponty est aussi conscient que Husserl de l'ambiguïté de la Stiftung; bien que l'institutionnalisation ne soit pas déjà la tâche d'une conscience constituante; cette mission continue à être ambiguë, parce qu'elle est reprise en faisant abstraction d'épisodes pour en transformer d'autres en tradition. Il est d'accord avec Husserl sur le fait que la Stiftung est sédimentation, mais il ne la considère pas comme une immanence opposée à une transcendance, comme un strate immobile, mais plutôt comme la vie, puisque, grâce à la sédimentation, l'être humain s'exprime, il crée quelque chose de nouveau tandis que le sédimenté est institué comme une charnière entre le propre et l'autrui, en garantissant son appartenance à un monde commun. C'est la raison pour laquelle une véritable tradition est celle qui reste sédimentée ainsi et agit comme centre de l'historicité, non la tradition constituée comme une vérité en-soi.
Merleau-Ponty convient avec Husserl que la crise des sciences est dûe à qúelles ont cessé de s'interroger sur sa relation de Fundierung, sur «la reprise perpétuelle du fait et du hasard par une raison que n'existe pas avant lui et pas sans lui» (Merleau-Ponty 1945, 148). Le philosophe augure que la rationalité continuera en crise tandis que nous ne soyons pas capables de comprendre que la raison est relation, historicité verticale. On ne peut pas aborder l'histoire horizontalement comme un objet, parce qu'elle se fait en même temps que nous en prenions conscience; cette conscience historique n'est pas une illusion, mais le fruit de l'histoire qui, en plus, a des effets sur elle. Gadamer l'a souligné également dans son concept de Wirkungsgeschichtliches Bewusstein, que nous interprétons comme conscience déterminée par l'histoire et comme son appartenance active5.
Ce terme est parfaitement applicable à la conscience de la tradition qui se maintient vivante en vertu de l'interprétation. L'interprète ne peut pas accéder à la tradition comme si elle fût un objet, car il la constitue; son expérience est médiatisée par la tradition dans deux directions: la tradition est oeuvre de la volonté humaine de transformation et, au même temps, elle nous détermine.
La tradition nous appartient parce que nous faisons partie de ces préconceptions qui nous rattachent à la Sache transmise et nous donnent la faculté de la juger; il s'agit du sens de l'appartenance: «le sens de l'appartenance, ceci est, le moment de la tradition dans le comportement historique-herméneutique, en vertu de la communauté de quelques préjugés fondamentaux» (Gadamer 1993a, 62). La tradition constitue l'horizon fondamental de la précompréhension, mais aussi la force qui nous unit.
De même que la raison n'est pas l'imposition d'une conscience, la Stiftung n'est pas le résultat d'un acte ponctuel, mais une interrelation entre le nouveau signifié institué et celui qui était déjà sédimenté; ils ne dérivent pas l'un de l'autre, mais ils s'explicitent. Le sens établi se manifeste à travers de sa réactivation. Alors, nous pouvons comprendre l'institutionnalisation de la société chez les êtres particuliers que reprendra la Stiftung du sens6. Sans ses reprises, les institutions passées resteront disponibles comme un ensemble d'intuitions affectivement indifférenciées; pour découler sur une institution vivante (Lebendige Stiftung), un processus instituant doit s'établir, une histoire interne ouverte à l'histoire externe, une fondation de signifiés qui reprennent l'hérité depuis une situation concrète pour construire une expérience élargie, accessible, en principe, à tous les êtres humains.
Husserl est aussi conscient des effets de l'histoire en l'être humain et à l'inverse. À différence de Merleau-Ponty et de Gadamer, il trouve le transcendantale dans la subjectivité:
Nous sommes nous-mêmes un produit de l'histoire, nous produisons nous mêmes en tant que historiens, l'histoire du monde et la science du monde, quel que soit son sens, nous produisons une formation culturelle historique dans la motivation de l'histoire européenne, dans laquelle nous nous tenons. Le monde qui est pour nous est lui-même une formation historique. Quelle est dans une telle relativité le non-relatif qu'elle présuppose d'elle même? La subjectivité en tant que transcendantale (Husserl 1976, 313).
La subjectivité transcendantale ne succombe pas au relativisme, car elle est nécessaire pour toutes les conformations historiques. Elle opère comme l'a priori concret qui détermine à tout étant dans son être essentiel de tradition et d'activité de transmission. Ces dernières ne sont pas contingentes, mais composants de l'être de l'humanité et de son monde culturel. Ce a priori fait possible l'histoire (Historie), le savoir qui réactive la fondation originaire d'une tradition.
Gadamer va encore plus loin; il pense que l'herméneutique historique, surpasse l'opposition entre la Geschichte et l'Historie, parmi l'histoire et sa connaissance, entre tradition et étude du passé; tous les deux conforment l'historicité (Geschichtlichkeit), qui a des effets dans l'une et l'autre. D'une part, le comportement et le savoir historiques reçoivent la médiation de la transmission; et par ailleurs, la recherche doit élucider sa productivité herméneutique (Gadamer 1990, 287). Cependant, contrairement à Husserl, Gadamer n'a pas recourt à la subjectivité transcendantale pour surpasser le relativisme. Son concept de la Wirkungsgeschichtliches Bewusstein est plus historique que conscience ou savoir, plus substance que subjectivité, à tel point que nous sommes ceux qui appartenons à l'histoire et non pas elle à nous.
La position merleau-pontienne est encore plus concrète. La Stiftung n'est pas une institution inerte, mais une relation humaine entre l'historique et le moment présent, une dialectique entre l'universel partagé et le ré-signifié par chaque subjectivité. Toute institution reçoit des résultats sédimentés, mais manquent de sens si les individus ne les instituent par leur pensée et action. Merleau-Ponty nous rappele ainsi que les diverses organisations sont des modes de relations humaines subjectives-objectives, où l'immédiat et l'historique se retrouvent. Cette rencontre, et non pas le sujet, est le vrai transcendantal qui, comme nous avons vu, inaugure l'histoire verticale. Les sens sédimentés ne sont pas des possessions acquises d'un seul coup pour toujours, mais des possibilités de reprise - même critiques - dont le but est la réorganisation du champ culturel.. Mais, pas toutes les institutions y parviennent. Seulement celles qui dotent de dimensions durables à nos expériences en permettant que les autres aient un sens en relation avec elles, c'est-à-dire en possibilitant l'histoire. Une série d'événements «matrices» déposent un signifié chez chaque être-au-monde en l'invitant à continuer d'expérimenter et à donner un sens; tels événements sont ceux qui reconfigurent le champ perceptif et qui perdurent. L'institution est ce champ ontologique. Elle ne dépend pas de la capacité constituante de la conscience, mais de la possibilité de continuer le mouvement dans lequel elle institue à la fois qu'elle est instituée. La conscience instituante - non constituante - fait partie de ce mouvement, mais elle ne change pas ce qu'elle vise en objet; elle n'absorbe pas non plus au particulier dans l'universel du concept, mais elle institue le sens de l'histoire collective autour de ces «matrices symboliques», qui ni préexistent, ni sont éternelles. Elles nous fournissent les symboles dont nous ne finirons jamais de développer le signifié, mais qui seront repris par nos successeurs pour créer autrui et continuer à traduire le sens latent. À différence de la constitution, «l'institution au sens fort, c'est cette matrice symbolique qui fait qu'il y ait ouverture d'un champ, d'un avenir selon des dimensions, dóù possibilité d'une aventure commune et d'une histoire comme conscience» (Merleau- Ponty 2003, 45). Telles matrices symboliques cristallisent autour de certains «noyaux intelligibles» qui configurent la «chair de l'histoire» (Merleau-Ponty 1960, 28), cette racine qui demeure en transmettant sa sève, bien que les institutions changent. Il s'agit de l'unique «irrelatif» que Merleau-Ponty est capable d'admettre. Grâce à lui, nous pouvons dire qu'il y a sédimentation si une nouvelle intention significative s'incorpore à la culture en dynamisant les significations disponibles et en fondant ainsi une tradition susceptible d'être indéfiniment reprise et transformée.
Ce qui reste sédimenté n'est donc pas automatiquement un effet de l'ordre, mais sa cause (Cfr. Merleau-Ponty 2003, 93); c'est pourquoi la révolution n'est pas l'opposé de l'institution, puisque, si elle donne des sens, peut aussi provoquer d'autres niveaux de réalité:
À travers le temps, les révolutions se rejoignent et les institutions se ressemblent, toute révolution est la première et toute institution, même révolutionnaire, est tentée par les précédents historiques (Merleau-Ponty 1991, 322).
Les antécédents constituent le fond depuis lequel la révolution se détache. Bien qu'elle renverse l'institution précédent, est aussi ré-instituante, parce qu'elle anticipe lávenir dans l'intention originaire et sur ses horizons7.
Selon Husserl, c'était seulement une des possibilités de la sédimentation; l'autre virtualité menaçait de pétrifier les traditions vivantes et de convertir les réussites scientifiques en oeuvres de musée. Dans ce cas, la science perd sa capacité d'autoréflexion et de ré-configuration de sa signification pour l'existence. L'effet de ces tendances passives est l'assomption à-critique de significations héritées sans réactiver les formations originales de sens qui les ont produites.
Arrêtons-nous un peu sur le côté positif de la sédimentation, sur sa réactivation. Réactiver est tirer au clair la signification et le faire avec évidence originaire. Celle-ci est la véritable motivation des personnes: la prise de conscience de ce qui vaut directement pour ses vies (Cfr. Husserl 1976, 297).
En face de l'ego empirique, la personne est «le sujet des actes qu'il faut juger du point de vue de la raison, le sujet "responsable de soi même» (Husserl 1952, 257) et, donc, le moi libre, le moi avec son «sens spécifique qui est élargie avec la constitution de la communauté» (Husserl 1973b, 19). Cette croissance se prolonge avec l'acquisition de la tradition dans la «cofondation à travers les manières de la volonté» Husserl 1973b, 511) dont le telos est la rationalité. Ceci signifie que seule la vie résolue et active peut convertir ce qui a été passivement sédimenté dans une tradition opérante, celle qui a opté pour la vie consciente de l'humanité que se comprend rationnellement, «en comprenant qu'elle est rationnelle en le vouloir-êtrerationnel, que ceci indique et il veut dire une infinité de la vie et de la tension vers la raison, que Raison justement signifie ce que l'homme en autant qu'homme souhaite en le plus intime, ce que peut lui satisfaire, lui faire «heureux» (Husserl 1976, 275).
La raison husserlienne ne se limite pas à thématiser la vie, mais désigne l'unité théorique-pratique de l'être humain. Elle n'est pas quelque chose qui lui vient imposé, mais un telos apodictique qui reverse en autocompréhension grâce à la philosophie. C'est le telos que la Rückfrage par le sens originaire d'une tradition doit réactiver.
La fondation de la philosophie est le paradigme de la réactivation de la finalité dernière de la rationalité universelle. La crise de la raison découle de la perte du sens instituante et institué de la philosophie. Husserl est si convaincu de cette finalité dernière, qu'il ne prend pas en compte ses déterminations situationnelles. Il ne perd jamais de vue pourtant que le thème des sciences de l'esprit est l'être humain, «l'homme entier dans l'unité de sa vie dans tant une vie personnelle, l'homme dans tant Je, dans tant Nous, dans l'action et dans la passion» (Husserl 1976, 301). Cette unité vitale est implicite dans la tâche proprement philosophique, qu'est la responsabilité infinie par l'humanité et le telos de la rationalité. Cette tâche se réalise dans chaque présent dans l'horizon de la tradition fondatrice de la phénoménologie, et, est traduite par un engagement avec la rénovation de la culture. Cet engagement se matérialise dans les actions individuelles, mais l'orientation des volontés vers lui ne vient pas de la simple adjonction de volontés individuelles, mais de la volonté de la communauté dont ils se savent fonctionnaires libres (Funktionären, non Beamten; c'est-à-dire, pas de simples bureaucrates, mais des personnes conscientes qui doivent veiller au fonctionnement de cette volonté communautaire) (Cfr. Husserl 2002, p. 58).
C'est pourquoi les fins poursuivies par cette collectivité sont universelles. Les individus ont conscience de collectivité et échangent leurs travaux en poursuivant cette fin commune. Il s'établit ainsi un lien universel des volontés qui génère une unité en le fait de vouloir être personnes. La communauté coexistante devient donc une communauté de personnes éthiquement constituée qui désire la bonté pour se fonder et pratique la philosophie comme réflexion sur le sens éthique d'une société.
La tradition fondatrice dont Husserl prétend renouveler sa force c'est celle d'un idéal universel, celui de la poursuite collective du bien suprême comme travail commun pour construire l'ordre moral du monde dont la collectivité profitera. La valeur de la collectivité ne repose pas dans la somme des volontés, mais dans la participation dans les valeurs appuyées sur le travail théorique-pratique des individus qui doivent acquérir une signification axiologique et créer des normes qui régiront les conditions de possibilité d'une collectivité dotée de valeur.
Lorsque l'esprit éthique commun se développera, le telos de la collectivité gagnera force et les fonctionnaires reçoiveront autorité8 de la communauté ainsi constituée, car ils représentent la philosophie, cette activité créatrice de valeurs nécessaires pour la constitution d'une communauté rationnelle, pour la revalorisation de l'être humain et pour la philosophie même, comprise comme dépôt objectif du savoir théorique-pratique d'une communauté dirigée à des fins et des valeurs.
Il peut sembler paradoxal qu'en étant le telos de la phénoménologie cette idée éternelle de l'humanité, l'épochè marque son début solitaire. Le paradoxe disparaÎt si nous comprenons que l'épochè est l'unique façon d'atteindre authentiquement cette idée universelle, puisque, d'abord, il faut se défaire des habitudes de pensée transmises passivement. On peut dire, par conséquent, que la phénoménologie «rentre sans tradition à créer une tradition» (Husserl 1959, 320) qui non seulement est théorique, mais aussi pratique et transformatrice.
La phénoménologie se présente non comme un événement qui puisse être juxtaposé à d'autres, mais comme l'origine de la Stiftung dont l'évidence doit accomplir n'importe quelle institution qui cherche une sortie à la crise de la rationalité. La même évidence en faveur de la vie de l'humanité ou de la tradition renouvelée doit être réalisée par chaque être humain: «La véritable humanité exige la lutte éternelle contre l'immersion dans le lit paresseux du conventionnel ou, ce qui est en essence le même, la vie dans la raison paresseuse au lieu de la vie dans une authentique originaireté» (Husserl 1973a, 231). Malgré sa discontinuité et sa rupture avec les traditions précédentes, la phénoménologie fonde dans son cours et nécessairement une nouvelle tradition, qui ne se limite pas à compiler le transmis, mais qui toujours s'interroge sur l'acquis et qui peut être justifiée toujours de nouveau moyennant libre reprise.
C'est pourquoi Husserl comprend la rénovation éthique et téléologiquement, parce qu'elle ne dépend pas seulement des mouvements sociaux, mais de l'intérêt réfléchissant et critique des personnes, de leur capacité pour assumer et reprendre le sédimenté, ainsi que pour innover. Ceci signifie qu'une tradition vivante n'est pas seulement celle qui a mérité d'être reprise parce qu'elle a perduré, mais aussi celle qui a favorisé la rénovation du sens.
Tous ces facteurs excluent que la tradition puisse être acceptée sans critique. Husserl pense qu'une tradition qui conserve de manière rigide son héritage empêche à les communautés primitives de faire une quelconque contribution à la téléologie universelle de la raison; cette tradition est caractéristique du «passivisme» de ces communautés dans lesquelles les individus naissent sans l'avoir décidé et desquelles reçoivent autoritairement des déterminations.
La phénoménologie s'oppose à ce concept de «tradition», mais pas à sa reprise consciente et renouvelée. L'acceptation aveugle du passé doit se substituer par sa resignification pour la réalisation du telos de l'humanité (Husserl), par l'institution de nouvelles significations dans chaque situation (Merleau-Ponty) et par l'interprétation soutenue (Gadamer). Ainsi comprise, la tradition peut s'appliquer à des problématiques actuelles et doter ceux qui participent d'elle de contextes culturels, d'une langue, de concepts, de croyances et valeurs avec lesquels s'orienter. Sans eux, les individus ne pourraient pas donner de sens à ce que leur entoure ni co-fonder leurs identités.
Plus riches et diversifiées soient les traditions de notre monde, plus difficile sera d'apprendre toutes les connexions des phénomènes passés et présents, mais aussi il y aura plus des cultures auto-générées et plus fermes seront les liens que les individus tisseront avec les horizons de ce monde multiculturel à qui non seulement ils appartiennent, mais duquel ils se sentiront co-auteurs.
C'est l'enseignement de la phénoménologie de la tradition vivante. Les philosophies qui ont assumé cette tradition, ont su tirer parti de son leçon.
Un bon exemple est Gadamer. Il est d'accord avec Husserl sur le fait que la tradition n'est pas exclue de la raison, car ils comprennent la raison de manière théorique-pratique sans la réduire à une capacité psychologique, ni à un capital inné. Ainsi, Gadamer envisage que la raisonnabilité (Vernünftigkeit) est une tâche inachevée qui se forme, s'exerce et, grâce à son potentiel critique, édifié un nouveau ordre sur des normes communes (Cfr. Gadamer 1987, 49).
Cést vrai que Gadamer a souligné plus la capacité à transmettre de la tradition (Überlieferung) que sa sédimentation, mais il l'a fait phénoménologiquement, c'est-à-dire, en concevant la transmission comme une force génératrice de ce qui nous a été transmis à cause de son autorité renommée:
Ce qui est consacré par la tradition (Tradition) et par le passé possède une autorité celle qui est devenue anonyme, et notre être historique et fini est déterminé par le fait de que l'autorité du transmis (Autorität des Überkommenen), et ne seulement ce qui est raisonnablement accepté, il a pouvoir sur notre action et sur notre comportement (Gadamer 1990, 285).
Il détache que la tradition est conservation (Bewahrung)9, mais pas conservatisme, car est un acte de la raison dialogique et prospective. Elle n'est pas une détermination venant du passé, mais une sorte d'habitus qui nous enseigne à remettre en question et à élargir le transmis après nous avoir rapprochés à l'autre. Il s'agit là justement de l'essence de l'autorité, «dans présupposer que l'autre a une connaissance supérieure à la notre jugement. Obéir à l'autorité signifie comprendre que l'autre -aussi la voix qui retentit depuis la tradition et l'autorité- peut percevoir quelque chose mieux que moi-même» (Gadamer 1993a, 39-40). Le dialogue avec la tradition qui a démontré sa rationalité et dont l'autorité a été reconnue non seulement nous enrichit, mais nous enseigne à ne pas nous considérer comme les seuls garants de la raison.
Chez Husserl, comme chez Gadamer, une tradition encore en vigueur est celle-là dont la Sinnbildung a été activement reconnue. Précisons que, selon Gadamer, Bildung (Cfr. López 2001) est le processus continuel de la conformation du sens. Ce n'est pas un techné, mais l'auto conscience du présent et, de plus, l'élévation à une généralité par la voie de la reconnaissance des limitations particulières.
Étant donné que la tradition ne se réduit pas à se transmettre passivement d'une génération à une autre, mais qu'elle-même devient un élément actif de transmission, si elle ne se limite pas à unir causalités externes, si elle s'interroge sur sa fondation originaire et comprend le mouvement qui l'a produit, alors la tradition contribue au dépassement de la situation.
Husserl reconnaÎt l'importance de cette active compréhension de la tradition pour atteindre l'entendement (Verständnis) du passé et sa détermination du présent avec certaine originaireté (Cfr. Husserl 1963, 160- 161). L'historicité vivante consiste en cela: depuis le présent nous nous remontons au passé, ainsi que depuis le propre nous nous ouvrons à autrui, pour remporter une compréhension élargie.
Nous ne sommes pas d'accord, donc, avec l'estimation gadamérienne de la «compréhension» husserlienne comme exclusivement méthodologique de la vie humaine (Cfr. Gadamer 1990, 264). Bien que Gadamer, à différence du fondateur de la phénoménologie, insiste sur le caractère ontologique de la compréhension, quand il l'applique à la tradition, il ne la comprend pas comme la manifestation vitale d'un autre, mais comme un contenu de sens, qui n'est pas cognoscible par l'expérience (Erfahrung), mais qui doit être amené à elle par la médiation herméneutique.
Husserl ne prête pas non plus attention aux expressions particularisantes de la tradition, mais il se concentre sur son sens; celui-ci peut se réactiver en accomplissant la fondation qui lui a donné origine. C'est faisable pour tous ceux qui partagent une tradition et ressentent aux autres comme distantes et comme des modalités de reconnaissance de l'alter ego. Cette appréhension paradoxale respecte l'altérité de l'autre, et l'approche à ce qu'il y a de semblable en elle. Avec cette formule, Husserl évite les unilatéralités, bien qu'il eût aussi précisé l'appliquer au monde propre, c'est-à-dire, il eût eu besoin d'expliquer que ce n'est pas quelque chose qui s'acquière définitivement, mais qu'il faut s'ouvrir à lui depuis la distance d'autrui pour l'évaluer et le modifier avec la responsabilité forgée conjointement.
Merleau-Ponty désigne cette procédure léguée par Husserl, «distance dans la proximité» par laquelle l'être plus intime se projette hors de soi. Il ajoute que la chair se propage autant dans le je, comme en l'autre sans effacer ses différences; alors
Il n'y a pas ici de problème de l'alter ego parce que ce n'est pas moi qui vois, pas lui qui voit, qu'une visibilité anonyme nous habite tous deux, une vision en général, en vertu de cette propriété primordiale, qui appartient à la chair, étant ici et maintenant, de rayonner partout et à jamais, étant individu, d'être aussi dimension universelle (Merleau-Ponty 1964, 187-188).
Merleau-Ponty a compris que la tradition sédimentée, pour être véritablement commune, devait consister à un mouvement double d'abandon de soi et réappropriation: «être autrui pour être le même, oublier pour conserver, produire pour recevoir, regarder vers avant pour recevoir toute l'impulsion du passé» (Merleau-Ponty 1998, 37). Gadamer concevait justement ainsi la Bildung nécessaire pour s'élever depuis le particulier vers l'universel, comme l'exigence de «reconnaÎtre le propre dans l'étranger et le faire familier; c'est le mouvement fondamental de l'esprit dont être il n'est pas mais retour à soi même depuis l'être étranger» (Gadamer 1990, 19-20).
Les deux philosophies démontrent que la compréhension culturelle s'enrichit si les autres cultures entrent en relation avec la nôtre. Or, comme Husserl nous rappelle, il est nécessaire de prendre en compte certains invariants sous-jacents aux différences culturelles, parce que si une culture se limite à regarder le monde depuis une seule perspective, pour la comprendre, il serait précis assumer cette perspective et, par conséquent, confondre la validité avec l'adoption du point de vue étranger et tomber ainsi dans le relativisme (Cfr. Husserl 1973b, 631). Adopter la perspective de l'autre, de la tradition, est aussi contre-productif que absolutiser la propre. La vérité est que notre monde n'est pas autosuffisant, il n'est pas complètement constitué ni peut l'être s'il n'est pas en contact pas avec d'autres qui lui permettront de découvrir les invariants, sa structure génératrice irrévocable, le véritable noyau d'une tradition critique au-delà de laquelle il n'est pas possible de reculer.
Husserl et Gadamer constatent cette participation dans la tradition, mais aussi la nécessité de récupérer la force et le mouvement qui lui a donné origine et d'y répondre dans le présent. Ce besoin de raviver le sens révèle le dynamisme de la tradition, qui n'est pas un objet en face d'un sujet. La tradition vivante, dirait Gadamer, est celle qui s'accomplit par la voie de l'interpellation depuis le présent et par celle de notre propre transformation. Comme chez Merleau-Ponty, la tradition cesse de se comprendre comme une couche statique de sédimentations pour se transformer en activité opérante du présent intersubjectif sur le passé et le futur. De plus, la tradition non seulement opère en sédimentant les sens, mais elle est l'horizon pour les établir et pour nous orienter dans le monde.
Gadamer, en suivant Husserl, considère que le premier horizon est la Lebenswelt, c'est à dire, la totalité où nous habitons historiquement, où l'horizon du passé se fusionne avec l'horizon du présent. Pour les deux philosophes, l'histoire n'est pas un objet indépendant du sujet; dàprès Gadamer, ce dernier n'est pas celui qui donne un sens et se détache depuis le fond horizontique, mais «c'est la tradition celle qui ouvre et délimite notre horizon historique et ne pas l'opaque devenir de l'histoire qui se autoréalise » (Gadamer 1993a, 76). La fusion gadamérienne des horizons opère comme l'inter entre la familiarité et l'étrangeté qui est la tradition pour nous. L'intention de reprise a un but analogue.
Gadamer a déclaré que l'essence de la tradition est sa linguisticité (Sprachlichkeit)10. Ceci qui peut sembler bizarre à première vue chez Husserl, ne l'est pas, si nous pensons que la linguisticité ne se réduit pas au langage, mais qu'elle a un caractère ontologique. Le transmis, le sédimenté et sa reprise par les êtres humains a une nature linguistique, parce qu'il ne se réduit pas à ce qui est dit, mais affecte aussi à ce que nous voulons dire, au sens visé et, en définitive, à l'expérience vécue consciemment.
À différence d'Husserl, qui commence par l'epoché des préjugés, Gadamer considère que la relation fondamentale que nous établissons avec l'histoire est l'appartenance à la tradition; or, il considère que quelque chose est «appartenant» (Zugehörig) lorsqu'est atteint par l'interpellation de la tradition»11. Cést pourquoi il faut l'écouter et l'interpréter; seulement alors nous serons à même de nous l'approprier ou la rejeter. Les deux décisions ne s'excluent pas dès lors que nous avons pris conscience des effets de la tradition en nous et vice versa, de qu'une appropriation véritable n'est pas acritique, mais constructive; de même, un bannissement absolu de la tradition n'est pas un éloignement d'elle, mais indifférence, puisque même la critique exige un effort compréhensif.
Gadamer a appris de la phénoménologie que «appartenance» est familiarité, mais aussi étrangeté à cause de la distance qu'il faut prendre pour aller «aux choses mêmes». La tradition parle de ces Sachen que les interlocuteurs essaient de comprendre et auxquelles ils tendent avec leurs actes. Maintenant nous comprenons le véritable sens de la tradition (Überlieferung) gadamérienne: le permanent dialogue avec la transmission que nous sommes. Celle-ci n'est pas réductible, par conséquent, ni à un objet, ni à un hypersujet. Gadamer se rapporte toujours au dialogue que nous maintenons avec elle, identique à celui que nous engageons avec le texte, lato sensu.
Merleau-Ponty a insisté sur la réciprocité des deux dimensions; influencées par la phénoménologie génétique, ses derniers cours dénotent un intérêt croissant pour la passivité dans sa relation avec l'activité. Aussi bien lui que Gadamer, ils ont appris d'Husserl que la tradition passivement assumée est si inauthentique comme celle qui est guidée par le volontarisme de l'action sans réflexion. Appartenir à une tradition inclut donc activité et passivité, réflexion et écoute.
Les trois se sont rendus compte que la sédimentation et la tradition souffrent de la même ambiguïté: ils supposent un affaiblissement du sens, mais il reste toujours la possibilité de sa réactivation ou de se distancer critiquement du sédimenté en créant autres significations.
Pour que la valeur positive de la tradition s'impose sur le négatif il convient de noter, comme Merleau-Ponty nous a enseigné, qu'il existe une ambiguïté qui n'est pas pernicieuse, celle qui montre la réalité comme coexistence de vérité et dérreur. C'est pourquoi nous envisageons qu'il faut pratiquer une herméneutique de la confiance unie à une autre du soupçon, une reprise du sens originaire de la tradition et une rénovation de la même pour l'appliquer à des nouvelles situations.
Comme l'historien, qui «interprète les données de la tradition pour arriver au véritable sens que à un temps s'exprime et occulte en eux»(Gadamer 1993a, 342), toute tradition vivante implique oubli et perte de signification, mais sans elle il n'y aurait ni horizon ni telos de sens. Une relation identique définit à la langue et à la parole ou, en termes merleaupontiennes, à la parole déjà parlée et à la parole parlante: La parole parlante n'est pas le signe de la pensée, mais elle l'accomplit. De la même manière, la tradition vivante crée un sens dans le mouvement même de sa expressión réactivée. C'est une tâche de la philosophie de dévoiler la parole parlante qui est sous-jacente à la parole parlée, c'est-à-dire, découvrir comment la tradition sédimentée continue à nous parler et évaluer son legs en ordre à la rénovation de la conscience et au dépassement de la crise de cette rationalité qui ne se reduit pas à la raison mercantil.
Tous les êtres qui se savent responsables de l'humanité sont appelés à développer cette tâche, spécialement ceux qui agissent consciemment comme ses fonctionnaires, ceux qui font philosophie, parce que «faire philosophie il signifie suivre des intérêts théoriques, porter une vie qui formule des questions par la vérité et le bien d'une façon que ne reflète pas le propre bénéfice» (Gadamer 1989, 23), l'accumulation de pouvoir en un individu, mais l'agrandissement de l'humanité. La coïncidence avec Husserl est manifeste. Comme nous avons vu, l'initiateur de la phénoménologie insiste sur la rupture qui marque la philosophie avec la fondation phénoménologique de la tradition véritable, car, bien que l'origine de la philosophie doit être cherché en Tales et en autres personnalités isolées, ses projets théoriques avaient une claire orientation communautaire:
Ce mouvement se développe depuis ses débuts communicativement, il réveille un nouveau style d'existence personnelle dans son cercle de vie, dans la compréhension d'un destin nouveau en correspondance avec lui. Il s'élargit en lui (et dorénavant aussi au-delà de lui) une humanité particulier que, en habitant en la finité vit orientée vers l'infinité (Husserl 1976, 322).
Pour qu'une tradition vive, elle doit se projeter vers lávenir et prendre conscience de ses limitations. Une tradition sera vécue si ceux à qui appartient sont impliqués dans sa formation de sens, liés avec ses idées. Cette confiance husserlienne peut sembler volontariste en raison de son manque de stratégies d'implémentation, mais est nécessaire si la tradition qui se revendique est celle de l'authenticité et l'autonomie, c'est l'unique tradition que la philosophie peut défendre, car elle est sa fondation originaire. Gadamer la partage: une tradition vivante est celle qui peut être appropriée et transformée librement. Il ne s'agit pas d'un objet que survit par l'inertie de ce qui a été, mais d'une formation de sens actif et créatif; c'est pourquoi la véritable participation à la tradition est son appropriation critique. Grâce à cette tradition encore vivante il y a un processus herméneutique sans fin. En termes husserliennes, on dirait que l'expérience vécue (Erlebnis) de la tradition permet la réflexion sur l'histoire qui nous importe vraiment.
Merleau-Ponty découvre que non nous vivons seulement consciemment, mais charnellement, qu'il y a de sens et de contingence dans l'expérience. Pour comprendre l'union de deux termes dans l'histoire, nous avons besoin d'une logique qui se sait historique, mais qu'elle possède une façon spécifique de styliser sa tradition, c'est-à-dire, de faire que le sens tacite soit mis de manifeste:
La philosophie est en pleine histoire, elle n'est jamais indépendante du discours historique. Mais elle substitue en principe au symbolisme conscient et au sens latent un sens manifeste. Elle ne se contente pas de subir l'entourage historique (comme lui-même ne se contente pas de subir son passé), «elle le change en le révélant à lui-même, et donc en lui donnant l'occasion de nouer avec d'autres temps, d'autres milieux un rapport où apparaÎt sa vérité» (Merleau-Ponty 1966, 66).
Cette vérité intégrale recherchée par la philosophie permet qu'une seule histoire et un seul monde soient faits. Chaque être humain contribue à elle; l'unique différence qui le sépare du philosophe est sa conscience vigilante et sa parole. Il en résulte que le philosophe ne doit jamais se taire; si la réalité lui déplaÎt, il est obligé de dire pourquoi il ne veut pas prendre parti (Cfr. Merleau-Ponty 1966, 71)
Ses raisons proviennent de sa réflexion et elles doivent être révélées pour que la vie soit enrichie. Bien que ils ne soient pas suffisants pour éliminer son ambigüité constitutive, sont nécessaires pour la «rénovation» dans cette continuité historique-vitale qui nous fait nous arrêter sur ce qui importe le plus. C'est bien là l'infortune et la grandeur de la tradition à laquelle nous appartenons
(Une traduction de Marie Ángeles Olivan)
1 Gadamer emploie rarement le mot «Tradition», comme peut être observé dans le «Register» (Cfr. Gadamer 1993a,. 522). En revanche, il utilise réitérativement le mot «Überlieferung», puisque sa propre conception de la tradition coïncide avec la réception critique et l'application de ce qui a été transmis. En plus de son usage peu fréquent, «Tradition» s'associe avec l'interprétation de Lutero des Écritures Sacrées (Voir, par exemple Gadamer 1990, p. 178).
2 Ceci est ainsi parce que les idées sont l'invisible du visible, elles adviennent comme un pli dans la passivité et ne comme pure production. Nous nous permettons de renvoyer ici à nos analyses, López 2008a et 2011).
3 A propos de cette théorie, López 2006 y 2008b.
4 Avec cette phrase Merleau-Ponty initie son travail sur Husserl, «Le Philosophe et son ombre», dans Signes, p. 201.
5 La conception dialectique merleau-pontienne de la conscience historique est résumé dans Merleau-Ponty 1991, 48 et ss. Une étude de la Wirkungsgeschichtliches Bewusstein, gadamerienne dans López 2003.
6 Ceci explique que l'universalisme de l'institution soit, en même temps particularisante: «le triomphe de l'universalité est justement me faire capable de comprendre différences» (Merleau-Ponty 2003, 46).
7 «L'institution n'est pas l'opposé de la révolution: la révolution est une autre Stiftung. Par le double aspect de l'institution: 1) universalisante 2) particularisante» (Merleau-Ponty 2003, 44).
8 Dans López 2004, nous avons basé l'Autorität que Gadamer accorde à la tradition dans la reconnaissance rationnelle, dans la ligne de ce qu' Husserl est ici en argumentant. Également, en ce travail, nous distinguons la valeur horizontique de la sédimentation, de la tradition de l'autoritarisme. Comme chez Merleau-Ponty, l'histoire est «une forme grevée de contingence qui ouvre soudain un cycle d'avenir et le commande avec l'autorité de l'institué» (Merleau-Ponty 1960, 154).
9 Cfr. Ibidem, p. 286.
10 Cfr. Gadamer 1993a, 393. Voir sur ce sujet, López 2000.
11 Gadamer 1993a, 467. Le mot Gehören inclut l'écoute (Hören) de l'autre.
0euvres citées
Gadamer, Hans-Georg (1987) Gesammelte Werke IV. Neure Philosophie II. Tübingen, Mohr.
Gadamer, Hans-Georg (1989) Das Erbe Europas. Frankfurt a. m., Suhrkamp.
Gadamer, Hans-Georg (1990) Gesammelte Werke I. Hermeneutik I. Tübingen, Mohr.
Gadamer, Hans-Georg (1993a) Gesammelte Werke II. Hermeneutik II. Tübingen, Mohr.
Gadamer, Hans-Georg (1993b) Gesammelte Werke 8. Tübingen, Mohr.
Husserl, Edmund (1952) Ideen II. Husserliana IV. M. Nijhoff, Den Haag.
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Carmen LÓPEZ SAÉNZ *
* Profesor du Département de Philosophie. Universidad Nacional de Educación a Distancia (UNED). Madrid (Spagne). Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet de recherche, "Interpretación y verdad en la hermenéutica fenomenológica" MCI. 2010-2012. FFI2009-11921.
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