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L'arrestation de Toussaint Louverture le 7 juin 1802 fut sans conteste l'un des tournants de l'histoire haïtienne. Ce jour vit la chute d'une des plus grandes figures de l'histoire du pays, qui au lieu de participer au combat pour l'indépendance finit sa vie au Fort de Joux. Il vit aussi la montée en puissance de Jean-Jacques Dessalines, qui devint dès lors le principal général noir de la colonie et, par la suite, premier chef d'état d'Haïti. L'exil de Louverture reste si présent dans l'imaginaire haïtien que lors de son second exil en février 2004 Jean-Bertrand Aristide cita la célèbre phrase sur «l'arbre de la liberté» en référence à son illustre prédécesseur.1
Outre son importance pour l'histoire et la mémoire collective d'Haïti, l'arrestation de Louverture est notable de par les controverses qu'elle a générées. Les admirateurs de Louverture mettent en question l'authenticité d'une lettre prouvant sa culpabilité, et plus généralement décrivent son arrestation comme injustifiée. Ils notent ensuite que la manière peu glorieuse dont il fut arrêté marqua du sceau de l'infamie les trois généraux français qui en étaient responsables: Jean-Baptiste Brunet, qui mit Louverture aux arrêts; Victoire Ledere, qui donna l'ordre fatal; et Napoléon Bonaparte, qui avait exigé que Ledere capturât Louverture dans ses instructions secrètes et qui le laissa agoniser au Fort de Joux. Chez ses hagiographes les plus ardents, l'arrestation de Louverture va jusqu'à prendre des accents dignes du Nouveau Testament. Selon Aimé Césaire, Louverture se laissa volontairement arrêter, choisissant de sacrifier sa vie pour faire triompher Ia cause de l'indépendance.2 Auguste Nemours, dans son «pèlerinage au Fort de Joux, » fit de l'arrestation de Louverture la première station de la Croix du «Sauveur» d'Haïti.3 Louverture lui-même se plaignit d'être «couronné des sépine» [sic].4
Si l'habitation Georges était un Jardin des Oliviers, les forces impériales agissaient-elles pour le compte d'un Judas ? Telle est la question qui préoccupe la deuxième école historiographique, selon laquelle les Français arrêtèrent Louverture à la demande d'officiers noirs désireux de se débarrasser de leur ancien supérieur, nommément Henri Christophe, Jacques Maurepas, et Dessalines.5 Accuser l'un des héros de la révolution haïtienne d'avoir trahi Louverture est une imputation grave et digne d'être documentée. Hélas, la littérature historique telle qu'elle existe n'apporte pas de preuves, les auteurs prenant parti...