Sommaire
p. 3 Avant-propos, Antoinette Le Normand-Romain
Études
P-5 André Chastel, sa correspondance, ses méthodes, Michel Hochmann
P- 15 André Chastel et l'Italie, Eva Renzulli
p. 24 André Chastel et l'Allemagne, Isabelle Balsamo
P- 29 André Chastel et la Pologne, Julius A. Chroscicki
p. 34 André Chastel et l'architecture, Sabine Frommel
p. 45 André Chastel et Louis Hautecoeur, Antonio Brucculeri
p. 56 Les colloques de Tours, Jean Guillaume
p. 59 Mythe pour mythe... Dans le sillage du surréalisme, Françoise Levaillant
Évocations
p. 68 André Chastel historien, Howard Burns
p. 73 Chastel, une histoire critique personnelle, Andrea Emiliani
p. 78 André Chastel « millimétrique », Carlo Pedretti
p. 83 André Chastel et Robert Klein, Henri Zerner
p. 84 La correspondance André Chastel - Roberto Longhi, Mina Gregori
Sources
p. 87 Les archives et la bibliothèque d'André Chastel à l'INHA, Sébastien Chauffour
p. 93 Chronologie
p. 95 Bibliographie sélective
p. 97 Catalogue
Avant-propos
Plus de vingt ans se sont écoulés depuis la disparition d'André Chastel et cette distance permet de prendre aujourd'hui toute la mesure de son oeuvre, - une oeuvre qui, à la différence de celles de nombreux historiens de l'art, déborde largement du cadre proprement universitaire. En témoigne ce souci constant, et peu commun, qu'il eut d'assurer une large diffusion à une discipline longtemps demeurée l'apanage des spécialistes et des amateurs, et qui le conduisit à concevoir ce qui allait devenir, après sa mort, l'Institut national d'histoire de l'art. En témoigne aussi le rôle actif qu'il joua dans plusieurs débats publics dont les enjeux ne ressortissaient pas seulement à l'histoire de l'art, mais à la vie dans la cité. De même y a-t-il lieu d'admirer le fait que, tout en menant une brillante carrière de professeur, André Chastel tint une chronique dans le journal Le Monde durant plus de quarante ans, ce qui ne fut certainement pas sans un retentissement réel, difficile à mesurer, sur deux générations de lecteurs qui n'étaient pas forcément intéressés par les événements artistiques.
Si cette exposition s'intercale entre le colloque André Chastel qui s'est tenu à la fin de l'année 2012 à l'INHA et au Collège de France, et la publication des actes de ce colloque, son catalogue poursuit une visée différente : celle d'évoquer non seulement la notoriété internationale acquise par André Chastel, et quelques aspects de son activité - certains parfois inattendus, comme ses rapports avec le surréalisme ; d'autres plus prévisibles, comme l'intérêt croissant qu'il porta à l'architecture -, mais aussi l'homme, dont la figure se dessine bien grâce aux témoignages de personnes qui l'ont connu. En ce sens, cette exposition et son catalogue complètent par avance la future publication universitaire tout en marquant l'aboutissement d'une fructueuse collaboration entre l'École pratique des hautes études et la Bibliothèque de l'INHA, qui a permis le traitement des archives d'André Chastel.
Je tiens d'abord à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont consenti, pour cette exposition, des prêts de documents et d'oeuvres sans lesquels il aurait été difficile de l'organiser, et en premier lieu bien sûr la famille d'André Chastel. Mes remerciements vont aussi aux trois commissaires, Sabine Frommel, Michel Hochmann et Sébastien Chauffour, et aux équipes de l'INHA impliquées dans ce projet, notamment celle de la Bibliothèque, - laquelle conserve, comme l'on sait, la plus grande partie des archives de celui qui fut l'un des pères de notre établissement.
Antoinette Le Normand-Romain
Directeur général
André Chastel, sa correspondance, ses méthodes
Pendant près d'un demi-siècle, André Chastel a été, pourrait-on dire, au centre de l'histoire de l'art en France. Qu'on l'ait admiré ou détesté, c'était par rapport à lui, à son action, à sa pensée, que l'on devait se situer. Mais il occupait une position tout aussi privilégiée en Europe et dans le monde. Peu d'historiens entretinrent un réseau de relations aussi divers et universel. Il connaissait à peu près tous ceux qui comptaient à son époque, dans tous les pays (ce qui allait naturellement de pair avec son rôle au sein du Comité international d'histoire de l'art, dont il devint le secrétaire scientifique en 1961). Comme dans ses ouvrages, il se refusait, dans ce domaine, à tout choix dogmatique et il était en correspondance régulière aussi bien avec Roberto Longhi qu'avec Erwin Panofsky ou Meyer Schapiro. C'est ce qui fait de ses archives, aujourd'hui conservées à la Bibliothèque de l'INHA, un fonds irremplaçable pour la recherche sur l'histoire de l'histoire de l'art (d'autant qu'on peut le croiser avec d'autres, également à l'INHA, comme les archives Francastel, Thuillier ou Grodecki). On y trouve donc des lettres de la plupart des grandes figures de son temps, et elles démontrent la curiosité dont il fit preuve, jusqu'à la fin de sa vie, pour tous les aspects et, en particulier, toutes les nouveautés de sa discipline : il connut presque immédiatement, par exemple, les premiers travaux de Carlo Ginzburg et, malgré certaines réserves, il fut aussi très intéressé par le célèbre livre de Steinberg sur la sexualité du Christ1. En outre, il avait conservé des brouillons, carnets de notes, esquisses, qui nous permettent de mieux comprendre l'ampleur de ses réflexions, en particulier les questions de méthode qu'il n'a cessé de se poser tout au long de sa vie. Ces documents devraient nous faire mieux saisir l'itinéraire intellectuel et la pensée de Chastel, dans toute leur complexité et leurs articulations. On a souvent souligné le refus que Chastel manifesta toute sa vie face à l'esprit de système : comme le rappelait Anne-Marie Lecoq, dans l'hommage qu'elle lui rendit après sa mort, il était en effet « animé par une conviction profonde : la réalité est infiniment plus complexe que ne voudraient le faire croire tous les systèmes théoriques et toutes les vues globales qui cherchent à en rendre compte »2. Mais ce scepticisme ne l'empêcha pas, en même temps, d'interroger les interprétations que ces différents systèmes pouvaient lui proposer, même s'il les considérait toujours de manière critique. C'est donc sur certains aspects des relations complexes qu'il entretint avec les grands débats historiographiques de son temps et leurs protagonistes que je voudrais revenir.
L'un des grands apports des archives, c'est en effet de nous permettre de saisir en détail le jeu complexe des rapports de Chastel avec ses contemporains, historiens, historiens de l'art, artistes ou écrivains. Ceux-ci dessinent, tout au long de sa vie, une suite de curiosités et d'amitiés qui se lient intimement à son oeuvre. Chastel a d'ailleurs lui-même clairement tracé les principales articulations de sa biographie intellectuelle dans l'introduction à Fables, Formes, Figures et dans l'entretien qu'il accorda à Philippe Morel et Guy Cogeval pour le film que lui consacra Edgardo Cozarinski (André Chastel, un sentiment de bonheur). Il a, en particulier, longuement évoqué les raisons qui l'ont fait s'orienter vers l'histoire de l'art, son intérêt pour le surréalisme, mais aussi sa rencontre avec Henri Focillon, ainsi qu'avec Fritz Saxl et les membres de l'Institut Warburg, par l'intermédiaire de Jean Seznec3. On pourrait penser que ces débuts portaient déjà la marque d'un certain éclectisme méthodologique, puisqu'on a parfois opposé le formalisme de Focillon à l'iconologie de Panofsky et des disciples de Warburg. Mais, comme Chastel le rappelle lui-même dans l'entretien que nous avons cité, les choses étaient en réalité beaucoup moins simples : « Focillon connaissait très bien les gens du Warburg et surtout très bien Panofsky. Le fait est qu'il m'a donné une lettre d'introduction pour Panofsky. Donc, leur complémentarité, qui est aujourd'hui toute claire, était acceptée »4. En effet, ces liens sont bien attestés : Focillon avait invité Panofsky chez lui dès 1925, et il donna lui-même une série de conférences au Warburg en 1937. Après le départ de Focillon pour les États-Unis et sa mort, un groupe de ses élèves continua à se réunir, de manière informelle, chez son gendre Jurgis Baltrusaitis, villa Virginie (rue du XIVe arrondissement). Ce fut là, indiscutablement, l'un des foyers intellectuels où la pensée de Chastel continua à se former et où ses relations avec les héritiers de Warburg se fortifièrent, car, conformément à ce que disait Chastel, Focillon et ses élèves étaient bien, en France, parmi les principaux interlocuteurs des membres de l'institut londonien. Juste après la guerre, ce fut en effet encore chez Baltrusaitis que Fritz Saxl se rendit lors d'un séjour à Paris, en 1946 (mais Chastel, malade, ne put participer à ces réunions)5. Baltrusaitis et Louis Grodecki, lui aussi élève de Focillon et invité régulier villa Virginie, partageaient donc avec Chastel, dont ils étaient très proches, ses intérêts pour les développements de l'iconologie. Lorsque Chastel se rendit aux États-Unis en 1949, comme boursier Focillon, Baltrusaitis lui écrivit régulièrement (en l'appelant « mon cher angelot ») pour le conseiller et lui indiquer les noms de certains élèves de Panofsky qu'il devait rencontrer. Le 19 mars 1949, par exemple, il lui disait de ne pas oublier de faire signe à Millard Meiss et à Harry Bober « qui est un bon ami et a une jolie femme ». Bober, historien de l'art médiéval, était, comme Millard Meiss, l'un des élèves favoris de Panofsky et devait travailler au Warburg quelques années plus tard, alors que sa femme, Phyllis Pray, devait être à l'origine du grand Census des oeuvres de l'Antiquité connues par les artistes de la Renaissance. Baltrusaitis disait aussi à Chastel de prendre contact avec James Ackerman, qui avait « connu le patron [Focillon] » et restait « sensible à nos idées » (en effet, Ackerman avait été, comme il le dit lui-même, ébloui par les cours de Focillon auxquels il avait assisté à Yale), ainsi qu'avec Meyer Shapiro, « qui a parlé chez nous et qui se vexe très facilement ». Le 11 mai de la même année, Baltrusaitis écrivait encore à Chastel : « Vos exploits atlantiques nous remplissent de fierté [...] Mais ne perdez pas de temps mettez-vous immédiatement en contact épistolaire avec les points sensibles Chicago Harvard Washington Princeton (n'oubliez pas que Panofsky et Tolnay sont à couteaux tirés) »6. Grodecki, pendant la même période, tenait Chastel au courant de la poursuite des réunions villa Virginie, de la mise au point de la bibliographie de Focillon et de la publication de l'étude du maître sur Piero della Francesca7. Grodecki avait été le premier titulaire de la bourse Focillon à Yale en 1948 et il prévoyait alors de se rendre à nouveau aux États-Unis. Il était lui aussi lié à Erwin Panofsky, et Chastel, après avoir rencontré ce dernier à Princeton, lui promit de donner de ses nouvelles à « Grod » (l'emploi de ce surnom de la part de Chastel montre que les relations entre Panofsky et Grodecki devaient déjà être assez étroites à l'époque)8. Grodecki allait d'ailleurs l'aider à fournir à Panofsky les photographies que celui-ci lui avait commandées9. En 1955, Grodecki et Chastel cherchèrent tous deux à faire paraître une traduction française de l'étude de Panofsky sur Suger10. Le groupe des focilloniens (auquel il faut aussi ajouter le nom de Jean Bony) devait rester longtemps soudé. On sait combien Chastel se montra soucieux de favoriser la carrière de son ami Grodecki, qu'il associa à son grand projet de l'Inventaire et qu'il pressa vigoureusement de venir prendre la chaire d'histoire de l'art médiéval à la Sorbonne. Quant à Baltrusaitis, Chastel ne manqua pas de rendre compte de ses principaux ouvrages dans ses chroniques du Monde : en 1957, dans un article intitulé « Baltrusaitis : le grand jeu de l'imaginaire », il définissait Aberrations comme le « manifeste de ce que l'on pourrait appeler, parallèlement à la "métapsychologie de Freud", la "métamorphologie" de Baltrusaitis »n. Baltrusaitis évoqua encore leurs rencontres dans une lettre de 1978, dans laquelle il rappelle à Chastel qu'ils avaient évoqué ensemble, en 1957, leurs projets, et, notamment, les Aberrations, que Baltrusaitis songeait alors à intituler Formes et Fables : Chastel lui avait alors expliqué que ce titre était impossible, puisque lui-même songeait déjà à l'époque à un recueil de ses propres travaux intitulé Fables, Formes, Figured2. Au-delà de l'anecdote, cette lettre et ces articles témoignent, encore une fois, de la place que les disciples de Focillon occupèrent toujours dans la vie et dans la pensée de Chastel. Il en parle encore dans le film de Cozarinski, lorsqu'il fait de ce groupe une sorte de noyau de résistance face à la crise que l'histoire de l'art traversait en France dans les années 1950 : « Avec mon cher ami Jurgis Baltrusaitis et tous les héritiers de Focillon, nous avions un petit cercle, un petit groupe, j'allais dire de défense, de résistance contre la nullité ou la médiocrité universitaire »13.
Chastel reconnut aussi constamment sa dette à l'égard des historiens de l'art italiens. C'est de nouveau ce qu'il affirme dans son entretien avec Philippe Morel et Guy Cogeval, dans lequel il avoue être « à moitié italianisé ». Pour lui, celui qui incarnait le mieux 1'« école italienne », dont il se déclarait « le plus près pour toutes sortes de raisons », c'était naturellement Roberto Longhi. Il expliquait ensuite avoir eu le privilège de le « connaître très tôt et d'avoir des rapports plus qu'amicaux, affectueux, avec ce personnage redoutable, insolent, un peu suspect à beaucoup d'égard et d'un talent, d'une intensité dans l'interprétation des oeuvres, d'un don littéraire exceptionnel ! ». Il attribue à Longhi une grande influence sur son style : « Il m'a aidé à comprendre qu'il ne fallait pas avoir peur de forcer un peu l'expression quand on est amené à écrire sur des oeuvres d'art : ça m'a encouragé à utiliser davantage d'adjectifs »14. Dans un autre texte, il rapproche d'ailleurs ce style de celui de son maître Focillon : « Il s'est rendu célèbre par des pages admirables d'une très haute tenue littéraire, impossibles à traduire, qui rappellent les plus belles réussites de Focillon »15. En dehors de cette influence d'ordre littéraire, Chastel entretint en effet constamment des liens étroits avec Longhi. Ses archives en témoignent, de même que ses lettres aujourd'hui conservées à la fondation Longhi à Florence16. On y trouve notamment la trace de la collaboration qui réunit Longhi, sa femme Anna Banti, et Chastel autour de la révision de L'Art italien, entreprise dans le cadre de la villa des Longhi à Ronchi, que Chastel définit comme une « studieuse pastorale » (la traduction italienne du livre de Chastel par Anna Banti fut ensuite publiée en 195 8 )17. On sait que Longhi fut aussi le dédicataire du Grand atelier paru en 1965 (« à Roberto Longhi, duca signor e maestro nel campo della pittura italiana »). Chastel voyait en outre dans l'oeuvre du maître italien une « intelligence essentiellement critique et une sensibilité attentive aux caractères et aux nécessités de la forme, et cela, dans une défiance délibérée des "systèmes" ». Son enseignement lui apparaissait donc comme un « antidote aux excès du dogmatisme et de la théorie en histoire de l'art »18. Il était aussi l'une des incarnations les plus parfaites de la science du connaisseur puisqu'il s'était proposé de reprendre le programme de Berenson (avec lequel, comme le rappelait Chastel, « il fut brouillé pendant près d'un demi-siècle »), « mais sur un mode généralement plus tendu, moins précieux, plus italien »19. Ce n'était pourtant pas un aspect de sa discipline auquel Chastel lui-même s'intéressait beaucoup, même s'il en reconnaissait la nécessité (et, de ce point de vue, d'autres Français, comme Michel Laclotte, se montrèrent beaucoup plus fidèles à Longhi). De manière significative, juste après avoir rendu un vibrant hommage à Longhi, Chastel, dans l'entretien du film de Cozarinski, affirme qu'il considère que l'un des aspects dangereux de la domination du musée dans la culture de notre époque, c'est le règne de l'attribution. Or, pour lui, et il le dit « très affectueusement mais très nettement, [...] les Italiens ont abusé de l'attributionnisme [...] Les Italiens ont très bien compris que l'on pouvait souvent changer l'attribution après nettoyage, de telle sorte que souvent le chapitre concernant telle ou telle oeuvre, tel ou tel artiste est changé après des nettoyages. Et cela les amuse beaucoup ! Et ils ont raison de s'amuser à ce jeu ! »20. Ce n'était pas, pourtant, la vision que Chastel avait de l'histoire de l'art, qui « devait adopter une autre démarche » et « prendre un autre point de vue ». Il fallait se demander, comme l'avait fait Malraux, « quel est le sens, qu'y a-t-il derrière tout cela, pourquoi l'humanité, et dans toutes les sociétés, emploie [...] autant d'énergie à modeler les formes, à faire des tableaux, à créer des représentations, à planter des statues ».
La richesse, mais aussi la complexité de la pensée de Chastel explique aussi ses relations avec les historiens de l'art français. Comme il l'expliqua très souvent, il pensait beaucoup de mal de la plupart de ceux qui étaient en place dans sa jeunesse et dans les débuts de sa carrière (en dehors de Focillon) et il fut à l'origine, en France, d'un profond renouveau de sa discipline, notamment grâce à ses emprunts aux méthodes de Panofsky et du Warburg. Mais sa position devint ensuite relativement paradoxale. On connaît bien ses querelles avec Pierre Francastel et ses disciples plus ou moins éloignés. Chastel, directeur d'études à la IVe section de l'École pratique des hautes études, professeur à la Sorbonne, finit par apparaître à certains comme l'incarnation du mandarin, le tenant d'une histoire de l'art positiviste par rapport aux nouveautés méthodologiques développées à la VIe section de l'École pratique (devenue, en 1975, l'École des hautes études en sciences sociales). Chastel fut en rivalité avec Francastel lors de son élection à la Sorbonne en 195521. Une lettre d'Antoine Schnapper, non datée, révèle aussi qu'il espérait étendre son influence au sein de la VIe section au détriment de Francastel, en y créant une collection d'histoire de l'art (dont serait « exclue l'équipe de M. Francastel ») et en y faisant nommer (pour reprendre les termes de Schnapper) « un véritable historien de l'art (Jacques Thuillier par exemple) »22. On sait que Chastel se défiait de la sociologie de l'art, en tout cas de celle que pratiquait Francastel, dans laquelle il voyait une forme de réductionnisme et de schématisme. De son côté, Francastel s'opposait à Panofsky et à l'école de Warburg, dont Chastel apparut longtemps comme le principal représentant en France. D'autre part, certains des amis et des disciples de Chastel étaient en effet les tenants d'une vision de l'histoire de l'art très attachée aux documents, à la philologie, aux attributions, à ces méthodes que leurs adversaires qualifiaient précisément, pour les condamner, de positivisme. De ce point de vue, le comité de rédaction que Chastel avait réuni au moment de la création de la Revue de l'Art est très révélateur, puisqu'on y trouvait les noms de Jacques Thuillier, d'Antoine Schnapper, de Michel Laclotte et de Pierre Rosenberg23. Pourtant, nous l'avons vu, Chastel ne fut jamais lui-même un attributionniste, et il déclara même à plusieurs reprises se méfier des séductions dangereuses de l'exercice du connoisseurship. Quant aux documents, il était également étranger au long et patient travail dans les archives. Pourtant, il déclara son admiration pour les méthodes de la philologie et de l'archéologie, qui lui semblaient avoir été l'un des points forts de l'érudition française et, notamment, de l'École des Chartes. Il ne fallait pas, selon lui, mépriser l'archéologie, « et s'imaginer que c'est une activité de cuistres, comme le croient souvent les milieux artistiques »24. Comme le souligne Anne-Marie Lecoq, à la fin de sa carrière, il consacra l'un de ses séminaires au Collège de France aux contrats, et sa Chronique de la peinture italienne à la Renaissance (1983) entendait démontrer que « l'adhérence au document amène à déceler l'imprévu, l'accident, le jeu des passions, l'entrelacement de l'intérêt et de l'orgueil, les intrigues, les impatiences, les retards... » et rendait ainsi « à chaque épisode une sorte de chaleur propre »25. Mais un tel hommage montre en même temps qu'il ne pouvait s'agir dans son esprit que d'une sorte de science auxiliaire, qui était nécessaire pour retrouver, disait-il encore, « le contexte des oeuvres », mais qui ne répondait pas aux questions essentielles qu'il convenait de se poser. Dans le cadre de son séminaire de l'École pratique, Chastel se consacra, dans la tradition de cette institution, à l'édition de textes, et aboutit ainsi à la remarquable traduction annotée du De Sculptura de Pomponius Gauricus, en collaboration avec Robert Klein. C'est aussi dans le cadre de ce séminaire qu'il commença à réfléchir à la traduction des Vies de Vasari, une entreprise qui devait aboutir en 198126. Chastel fut donc, toute sa vie, très attentif aux textes comme aux sources, mais on ne peut pas vraiment le définir comme un philologue. S'il fut tellement proche de Thuillier et de Schnapper, c'était aussi parce qu'il avait le sentiment que les Français avaient pendant trop longtemps abandonné l'histoire de leur art national aux pays étrangers. Le grand colloque Poussin de 1958 fut l'occasion, en particulier, d'une collaboration fructueuse avec Thuillier et dut lui prouver combien, dans le domaine de l'art français du XVIIe siècle, une enquête sur les textes et les documents était nécessaire. C'est pourquoi il allait encourager plusieurs de ses élèves, au premier rang desquels figure, naturellement, Antoine Schnapper, dans cette voie.
Mais partageait-il, pour autant, les réticences de ses amis face à certains aspects des sciences humaines de l'époque ? C'est ce que pourrait laisser croire le texte d'hommage que Jacques Thuillier lui rendit après sa mort, dans lequel il affirme que Chastel, dans son enseignement à la Sorbonne, se tint aussi éloigné « des vieux conformismes que des nouveaux impératifs doctrinaires »27. Et Thuillier souligne, avec ironie, la déception de ses étudiants, qui « attendaient du professeur qu'il leur donnât la clef assurée de la connaissance : par exemple, quelque développement commode d'un marxisme revu et corrigé à la Althusser, d'une psychanalyse à la Lacan, bientôt de ce structuralisme nouveau venu et très intolérant dont les petites manies donnaient à bon compte l'impression d'appartenir à un clan d'initiés ». On retrouve là, exprimée de manière caricaturale, cette attitude sceptique qu'évoquait aussi Anne-Marie Lecoq. Il y a évidemment une part de vérité dans ces affirmations, et cette défiance face aux excès de la théorie est caractéristique, comme l'a souligné Pierre Bourdieu, d'un certain ordre établi universitaire qui se sentait menacé par les nouvelles formes de la recherche en sciences humaines28. Chastel voulut même, à la fin de sa vie, prendre ses distances à l'égard de l'iconologie, dont pourtant, nous l'avons rappelé, il fut l'un des grands introducteurs en France. Il reprocha en effet à Panofsky et, surtout, à ses imitateurs de « vouloir rationaliser l'aléatoire » et de céder à 1'« attraction d'enquêtes inépuisables... et insipides faute de péripéties », car, « ayant découvert le principe de la longue durée », ils étaient « contraints de thématiser »29. Mais il serait réducteur de ne voir que cet aspect de sa personnalité. Tout au long de sa carrière, il se montra passionné par les questions de méthode. On sait l'amitié et l'admiration qu'il eut à l'égard de Robert Klein, en qui il trouva un interlocuteur particulièrement exigeant et auquel il soumit, en 1962, une série de pensées pour une étude sur la méthode en histoire de l'art30. Son appartenance à l'Ecole pratique des hautes études (dont la VT section ne se détacha, nous l'avons rappelé, qu'en 1975), puis au Collège de France, le mettait d'autre part directement en relation avec ceux qui étaient précisément en train de renouveler les sciences sociales. Dans sa vision de la Renaissance, il fut inspiré par certaines analyses de Lucien Febvre, mais il entretint aussi des relations avec Claude Lévi-Strauss. Dans son entretien avec Philippe Morel et Guy Cogeval, il revendiquait avec fierté d'avoir fait surgir, dans Art et humanisme, la notion de modèle, « il y [avait] trente-cinq, quarante ans », alors même que les « notions structuralistes étaient en train de germer »31. Ses archives contiennent d'ailleurs, nous l'avons dit, plusieurs carnets où il cherchait à s'interroger sur sa discipline, comme le journal qu'il tint au moment de préparer la leçon inaugurale qu'il devait prononcer à son entrée au Collège de France32. Il ne renonça jamais, en effet, « à l'idée de trouver l'articulation de l'histoire de l'art avec les sciences humaines, dont on a parfois cru curieusement qu'elles visaient à son extinction »33. Il l'affirmait dans le premier éditorial de la Revue de l'Art : « Il n'y a guère de domaine des sciences humaines où les oeuvres d'art ne soient maintenant prises en considération sous quelque aspect : outils ou symboles culturels de l'anthropologue, thèmes de fixation ou symptômes du psychologue, instruments de rituels ou formes représentatives du sociologue, documents et témoignages pour l'historien. Ce recours insistant aux objets et aux images pour l'étude de l'homme est un fait assez nouveau : il marque bien la place qu'occupent les phénomènes artistiques dans la culture actuelle, mais c'est aussi ce qui rend d'autant plus nécessaire l'intervention d'une autre discipline qui prenne complètement en charge ces "produits" originaux que l'on appelle des oeuvres d'art, dans leur complexité naturelle et dans leur spécificité. On peut penser que le déploiement cohérent de cette étude est indispensable à la bonne marche de toutes les sciences humaines »M. Comme le rappelle Anne-Marie Lecoq, les séminaires qu'il tint au Collège de France furent pour lui l'occasion de se pencher à plusieurs reprises sur ces relations et sur la spécificité de sa discipline. Le séminaire sur le geste, notamment, en 1977-1978 et en 1978-1979, puis celui sur le costume, en 1981-1982, lui permirent de réfléchir notamment à la question de la sémiologie de l'image et de s'engager dans « l'exploration des zones de contact entre l'art et le langage », aux interférences entre le verbal et le visuel35. Certes, ses conclusions, dans ce domaine, tendaient, une fois encore, à démontrer l'autonomie du visuel, et, par là même, celle de sa discipline : en effet, l'art ne pouvait pas « être considéré comme un simple instrument de communication ». Mais cette idée ne l'empêchait nullement d'interroger de manière constante les autres sciences humaines.
C'est aussi ce qui explique l'amitié qu'il entretint avec Ernst Gombrich. Il l'avait rencontré dans ses jeunes années au Warburg et, à la fin de sa vie, il lui écrivit, pour le remercier de sa contribution à II se rendit en Italie, les mélanges publiés en son honneur en 1987 : « Il est dit que nous nous tiendrons compagnie jusqu'au bout »36. En 1969, il souhaita obtenir de lui un article pour la Revue de l'Art, et Gombrich proposa alors de publier l'une de ses conférences sur la ressemblance dans le portrait. Chastel le remercia de cette offre, en lui précisant justement que l'un des objectifs de la Revue était « de préciser les liens entre l'histoire de l'art stricto sensu et les cosidette "sciences humaines" ». Gombrich lui apparaissait comme essentiel dans ce programme : « Vous nous y aiderez beaucoup », lui précisait-il d'ailleurs37. Il se rendit compte, ensuite, que l'étude proposée par son ami était moins facile à mettre en forme pour en faire un article qu'il ne l'avait prévu, mais il tenait quand même beaucoup à publier un texte de Gombrich, car, lui répétait-il, « les réflexions théoriques et les problèmes de méthode font partie du programme de la revue ». De manière révélatrice, il évoquait à nouveau, à ce propos, Robert Klein, dont nous avons vu l'importance qu'il avait eue pour Chastel dans ses propres réflexions méthodologiques : « et dans ce domaine l'absence de Robert Klein se fait terriblement sentir »38. Dans l'entretien avec Philippe Morel et Guy Cogeval, Chastel revient encore sur ses relations avec Gombrich, avec une déclaration d'admiration, qui est en même temps une sorte de confession de ses propres ambitions : « Gombrich a réalisé une opération qui me rend follement jaloux et qui est essentielle. Il a fait appel à la psychologie, même à la psychanalyse, au "gestaltisme", c'est-à-dire au formalisme, analyse formaliste et structurale des phénomènes psychologiques. Il a fait appel, un petit peu, mais moins, à des notions sociologiques et il a extrait de ces disciplines, des termes, des notions, des observations, qu'il a adaptées à l'histoire de l'art. C'est la tâche qui devrait être la nôtre ». L'exemple de Gombrich était en effet un encouragement, pour les historiens de l'art, à s'ouvrir aux autres sciences de l'homme, même si cette opération devait s'accompagner d'une certaine prudence (un avertissement typique de tous les textes que Chastel a consacrés à cette question) : « Comme nous n'avons pas une approche vraiment satisfaisante de notre discipline, il faut s'adresser aux disciplines voisines sans se noyer en elles. Donc cela suppose un comportement supérieur très judicieux pour savoir jusqu'où il faut aller et jusqu'où il ne faut pas aller ». De ce point de vue, les livres de Gombrich étaient des « points de départ essentiels », qu'il fallait adapter au milieu français, une ambition à laquelle Chastel s'attachait dans son domaine39.
La correspondance d'André Chastel est donc le reflet des multiples visions de l'histoire de l'art, dont il a eu, en quelque sorte, l'ambition de faire une sorte de synthèse. Davantage que le refus d'adopter un système, c'est ce goût pour la variété des méthodes qui est assez remarquable dans son oeuvre. C'était l'un des aspects de sa grande thèse ( Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique) dont il se déclarait le plus fier, dans la préface dont il fit précéder la nouvelle édition de 1981, en y voyant une sorte de montage de différentes approches, qu'il comparait à l'Ulysse de Joyce : « Les termes mêmes de l'étude : oeuvres, thèmes, problèmes... présentent des aspects différents, selon les points de vue qu'il faut s'imposer d'adopter [...] Toutes les faces de la discipline pouvaient ainsi apparaître l'une après l'autre, avec une tonalité, une problématique, des exigences propres, et, même, à la limite, comme les épisodes de l'Ulysse de Joyce, un style, des moyens d'expression, une couleur, un ton littéraire particulier »40. C'est là une description que l'on pourrait, je crois, adopter pour une large partie des écrits de Chastel et qui fait aussi la richesse des échanges qu'il entretint avec la plupart des historiens de l'art de son temps. Sa pensée refléta ainsi, comme une sorte de kaléidoscope, les aspects les plus divers de sa discipline.
Michel Hochmann
Directeur d'études. École pratique des hautes études
1. Robert Klein recommanda à Chastel, dès le 31 mars 1967, « le jeune Carlo Ginzburg, cantimorien, fellow de I Tatti, auteur d'un livre sur certains sorciers (I Benandanti) chez Einaudi naturellement, qui vient de publier récemment un des meilleurs articles sur Warburg et sur l'Institut du même nom qu'on ait jamais faits ». Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,013,138).
2. A.-M. Lecoq, « L'enseignement au Collège de France », Revue de l'Art, 1991, n° 93, p. 71.
3. Nous reviendrons plus en détail sur cette question dans les actes du colloque en hommage à André Chastel, qui a eu lieu les 29, 30 novembre et 1" décembre 2012 à l'INHA et au Collège de France.
4. A. Chastel, G. Cogeval, Ph. Morel, « Entretien avec André Chastel », Revue de l'Art, 1991, n° 93, p. 79.
5. Warburg Institute Archive, General Correspondence, lettre de Chastel à Saxl, du 31 décembre 1946 : « Cher Monsieur et Maître, je suis désolé d'avoir manqué les deux réunions chez Baltrusaitis, mais je suis depuis dix jours fâcheusement grippé ». Michela Passini reviendra en détail sur les relations entre Chastel et Focillon dans les actes du colloque Chastel.
6. Lettre de Baltrusaitis à Chastel, 1" février 1949, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 007, 078).
7. Vrircat. 116.
8. Lettre de Chastel à Panofsky, 24 mars 1949, Archives of American Art, Smithsonian Institution, Erwin Panofsky papers, 1904-1990, Series 1: Correspondence, 1921-1978,1.1: Colleagues, Scholars, Students and Other Individuals, 19211978, undated, 2,2109-2110, Chastel, André, 1949-1968.
9. Lettre de Chastel à Panofsky, 13 juin 1949, ibid.
10. Lettre de Chastel à Panofsky, sans date, ibid.
11. A. Chastel, Reflets et regards : articles du Monde, Paris, Éd. de Fallois, 1992, p. 121.
12. Voir cat. 73.
13. « Entretien avec André Chastel », op. cit., p. 84.
14. « Entretien... », op. cit.,p. 85.
15. A. Chastel, article du Monde du 4 janvier 1963, repris dans L'image dans le miroir, Paris, Gallimard, 1980, p. 117.
16. Eva Renzulli doit revenir sur cette question dans les actes du colloque Chastel. Voir aussi, à propos des lettres de Chastel conservées à la fondation Longhi, le texte de Mina Gregori dans ce catalogue.
17. Voir cat. 57.
18. A. Chastel, article du Monde, op. cit., p. 116-117.
19. A. Chastel, « L'"italianissime" Roberto Longhi », article du Monde du 11 juin 1970, repris dans L'image dans le miroir, op. cit., p. 122.
20. « Entretien... », op. cit., p. 86.
21. Voir, à ce propos, la lettre de félicitation adressée par Francastel à Chastel, le 6 juillet 1955, cat. 30. Thierry Dufrène reviendra sur les relations entre Chastel et Francastel dans les actes du colloque.
22. Lettre de Schnapper à Chastel, 19 juillet [sans indication de l'année], Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 018, 047).
23. Voir, à ce propos, M. Hochmann, « Les débuts de la Revue de l'Art », Revue de l'Art, 2009, n° 1, p. 57-60.
24. « Entretien », op. cit., p. 84.
25. Oté par A.-M. Lecoq, op. cit., p. 72.
26. Voir cat. 74.
27. J. Thuillier, « André Chastel et la Sorbonne », Revue de l'Art, 1991, n° 93, p. 56.
28. P. Bourdieu, Homo academicus, Paris, Éd. de Minuit, 1984.
29. A. Chastel, « Erwin Panofsky : rigueur et système », dans Cahiers pour un temps/Erwin Panqfiky, Paris, Centre Pompidou, 1983, p. 20-21.
30. Voir cat. 60.
31. « Entretien... », op. cit., p. 82.
32. Voir cat. 45.
33. L'histoire de l'art : fins et moyens/Revue de l'Art, A. Chastel (éd.), Paris, Flammarion, 1980, p. 7.
34. Ibid., p. 13.
35. A.-M. Lecoq, op. cit., p. 72.
36. Voir cat. 101.
37. Warburg Institute Archive, Archive of E.H. Gombrich, lettre de Chastel à Gombrich, 24 juillet 1969. Je remercie Mme Leonie Gombrich d'avoir bien voulu me laisser consulter ces documents.
38. Ibid., lettre de Chastel à Gombrich, 8 septembre 1969.
39. « Entretien », op. cit., p. 85.
40. A. Chastel, Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique. Études sur la Renaissance et l'Humanisme platonicien, [éd. originale, Paris, 1959], nouv. éd., Paris, PUF, 1981, p. XVI-XVII. Voir aussi cat. 29 et 59.a1
André Chastel et l'Italie : la correspondance avec Sergio Bettini et Stefano Bottari*
Dotées d'une riche correspondance, les archives d'André Chastel fournissent des indications concrètes qui permettent de reconstruire des épisodes des relations étroites que l'historien de l'art français entretint avec ses collègues et amis de plusieurs pays et particulièrement avec les Italiens1. Entre 1946 et 1990, on peut relever, sur la totalité de presque deux mille correspondants, environ quatre cents Italiens, parmi lesquels figurent, entre autres : Giulio Carlo Argan, Vittore Branca, Cesare Brandi, Giuliano Briganti, Anna Maria Brizio, Italo Calvino, Enrico Castelnuovo, Antonio Cederna, Carlo Dionisotti, Giuseppe Fiocco, Giuseppina Fumagalli, Eugenio Garin, Carlo Ginzburg, Cesare Gnudi, Roberto Longhi, Rodolfo Pallucchini, Mary Pittaluga, Carlo Ludovico Ragghianti, Manfredo Tafuri, Apollonio Umbro, Bruno Zevi, ainsi que Sergio Bettini et Stefano Bottari.
Motivé par sa prédilection pour le pôle méditerranéen et son amour pour Keats et Shelley, Chastel « se rendit en Italie » entre sa vingt-troisième et vingt-quatrième années2. Dans un curriculum des années 1940, il est noté qu'il y est allé pendant l'été 1934 avec une « bourse Lavisse ». Après l'interruption de la guerre et alors qu'il est déjà assistant à la Sorbonne, il retourna en Italie en 1946 et 1947, avec deux bourses d'étude qui lui permirent de passer de longues périodes à Florence3. C'est à partir de ces deux séjours d'après-guerre que des relations durables avec un groupe d'historiens de l'art, de la philosophie et de la littérature italiens se mirent en place.
Les premiers Italiens avec lesquels Chastel entretint une correspondance après 1946 sont les historiens de l'art Roberto Longhi, Carlo Ludovico Ragghianti, Cesare Brandi et Sergio Bettini, ainsi que l'historien de la philosophie Eugenio Garin4. Quant au dialogue intense qui s'instaura entre André Chastel et Roberto Longhi, ce sont probablement le connaisseur et polyglotte Vitale Bloch et Charles Sterling, conservateur au Louvre, ainsi que d'autres personnalités liées à cette institution, qui ont assumé un rôle de médiateurs. L'historien de l'humanisme et directeur de thèse de Chastel, Augustin Renaudet, a probablement introduit, en 1946, ce dernier au Dipartimento di storia e filosofía, situé via Bolognese à Florence, où il connut Eugenio Garin5. À la même occasion, au Centro per gli Studi per il Rinascimento au Palazzo Strozzi, il rencontra Ludovico Ragghianti qui était alors le directeur de cette institution. C'est le mythographe Jean Seznec6, auteur de l'ouvrage révolutionnaire La Survivance des dieux antiques (1939) et ami très cher de Chastel, qui a aidé à établir le contact, à Rome, avec Mario Praz et Deoclecio Redig de Campos, historien de l'art et spécialiste de Raphaël qui, en tant que conservateur au Vatican, lui ouvrit les portes des Stanzd.
Sergio Bettini (1905-1986) fut élève de Giuseppe Fiocco, historien de l'art spécialisé dans le domaine de l'antiquité tardive et du Moyen Âge, mais dont les intérêts embrassaient un large horizon chronologique jusqu'à la période contemporaine8. Très ouvert aux idées de l'école de Vienne, proche notamment de celles d'Aloïs Riegl, il prêtait de surcroît une attention particulière aux questions méthodologiques et à l'esthétique. Bettini entretenait aussi des contacts intenses avec Stefano Bottari (1907-1967), historien de l'art médiéval et moderne, qui, comme nous allons le voir, se sont avérés importants dans son dialogue avec André Chastel.
Sur le plan de la quantité de lettres et de la densité des propos, l'échange épistolaire entre Chastel et Bettini fait partie des dossiers les plus riches : dans les deux fonds, à l'Institut national d'histoire de l'art à Paris9 et au département de Philosophie de l'université Ca' Foscari à Venise10, sont conservés quarante-sept lettres. L'amitié qui s'y exprime atteint ses moments les plus intenses entre 1947 et le début des années cinquante ; elle continuera jusqu'à la fin des années soixante-dix.
À la première lettre que Bettini adresse à Chastel le 28 octobre 194711 - elle commence par « Cher ami » et se poursuit avec une demande d'acquisition d'une dizaine de livres qu'il ne trouve pas en Italie -, le Français répond d'abord avec un « Caro Signor Professore e Amico » le 15 novembre, puis le 31 décembre avec « Très Cher, merci de ta bonne lettre »12. Une confiance évidente se dégage. Dans une lettre de 1971, l'Italien, en félicitant Chastel pour son élection au Collège de France, se souvient qu'ils se sont connus à Lausanne, sans spécifier la date13. Nous ignorons l'opportunité qui a pu favoriser cette première rencontre, mais les affinités qui ont pu susciter une telle amitié ne manquent point. Chastel se présentait en Italie comme un membre de l'école d'histoire de l'art française « qui a inscrit sur sa devise le nom d'Henri Focillon »14, pour lequel Bettini éprouvait une grande admiration : en 1945, Bettini avait dirigé pour l'éditeur Tre Venezie la première traduction de La vie des formes à'Licnû Focillon15, dotée d'une introduction très développée.
L'interprétation de l'oeuvre de Botticelli était également un thème commun aux deux savants : Bettini avait publié en 1942 un livre sur Botticelli16 et ils en ont probablement discuté, puisqu'en décembre 1947 Chastel écrit à Bettini :
« Je travaille beaucoup à "Ars Platónica"17. Je suis tout à fait d'accord pour ce que tu me dis de Botticelli, et la signification de son humanisme. J'ai vu beaucoup d'Italiens (Ragghianti, Longhi lui-même...) un peu inquiets pour ce thème qui semble purement iconographique. Mais je ne crois pas non plus aux influences directes de l'idée sur la forme, de la philosophie sur l'art. J'essaie justement de montrer que le Néo Platonisme a intéressé les artistes, parce qu'il était lui-même une transposition des problèmes esthétiques, et moins une doctrine, qu'une volonté de style »18.
Le 15 janvier 1948, Bettini lui répond à ce sujet, en le rassurant : « lo trovo invece che il pericolo del "contenutismo" perde molto della sua urgenza quando il tanto deprecato kunstwollen sia sempre ved uto nella concretezza delle opere »19.
En outre, bien que la leçon de Warburg fût peu connue en Italie, Bettini s'y intéressa, peut-être précisément à cause de l'échange d'idées avec Chastel, qui était en contact depuis 1934 avec le groupe de l'Institut Warburg à Londres20. À partir de thèmes provenant de la thèse de Chastel sur le néo-platonisme florentin, un dialogue s'esquissa entre Chastel et Bettini, dont les échos sont sensibles, d'une part, dans son essai « Neoplatonismo florentino e Averoissimo veneto in relazione con Parte » (1956) et, d'autre part, dans les actualisations et compléments des chapitres de la thèse de Chastel, publiés dans le volume Art et humanisme à Florence au temps de Laurent de Médicis (1959 )21.
Pendant ces années, la question de la méthode prend un rôle central, tant pour Chastel que pour Bettini, qui déclare le 26 décembre 1952 :
« J'écris peu, car je suis tourmenté par la "question de la méthode", et je n'arrive vraiment pas à continuer avec le critère traditionnel "idealisticomorelliano-attribuizionistico ecc. ecc.". Il s'agit d'une crise, dont j'ai exposé les termes dans la très longue introduction à la traduction italienne de la Spätrömische Kunstindustrie de A. Riegl, où j'ai cherché à faire le point sur la méthodologie de l'art »22.
Cette même année, Chastel demande à Bettini d'acheter pour lui un exemplaire de 1 'Estética de Benedetto Croce23, pour associer ensuite sa lecture à celle de l'ouvrage L'Arte e la Critica de Ragghianti24, Per una critica d'arte de Longhi25, Método e attribuzioni de Bernard Berenson, des textes de Iionello Venturi et d'autres auteurs, puis pour analyser ces lectures dans une chronique sur les « Problèmes actuels de l'histoire de l'art » qu'il allait publier en 1953 dans la revue Diogène de Roger Callois26.
Dans ces lettres, les deux collègues discutent de marqueterie, de la reconstruction de l'autel de Donatello, de représentations de l'Apocalypse pendant le Moyen Âge et la Renaissance, ainsi que de voyages27. C'est précisément un voyage qui allait établir le lien entre Bettini, Chastel et Stefano Bottari. Chastel envisageait en effet de se rendre en Sicile. Sa curiosité pour cette partie d'Italie peu connue, attisée par la lecture de textes romantiques allemands, a été probablement stimulée par des articles récents de son ami Cesare Brandi dans la revue L'Immagine : « Itinerario architettonico (I). Lecce gentile. Inno a Irani. Derelizione di Palermo » en 194828 et « Itinerario architettonico (II). Noto. Via dei Crociferi. La piazza di Gualtieri. Bruges » en 194929.
C'est Mario Praz qui donne le nom de Stefano Bottari en premier comme personne à contacter en Sicile le 22 juin 1949 quand il écrit à Chastel :
« Je vois que votre voyage va devenir un vrai tour d'Italie [...]. Je pourrai vous donner des introductions pour Benedetto Croce, Gino Doria (conservateur du Musée de San Martino), et le libraire Casella (Naples), pour le Recteur de l'Université de Catane, Iibertini, et le professeur d'histoire de l'art de cette ville, Bottari. [...] À Doria et Bottari vous pouvez écrire tout de suite en faisant mon nom. \sic\. [...] J' ai été à Catane en mai, le meilleur hôtel est le Centrale Corona. Si le baroque vous intéresse, je vous conseille de visiter Noto »30.
Mais ce fut Bettini qui assuma le rôle d'intermédiaire : il connaissait la Sicile - précisément pendant ces années, il devait se rendre à Catane pour résoudre des problèmes concernant son passage de l'université de Catane à celle de Padoue. Le 7 août, il informe Chastel :
« La Sicile, où tu souhaites te rendre, est certainement un pays qui mérite d'être visité, tu y retrouveras, entre autres, de nombreux éléments normands dans l'architecture et la décoration sculptée des monuments du Moyen Âge classique (et dans le gothique napolitain, tu apercevras combien il y a d'Anjou). [... et en passant de l'italien au français il continue] Il faut faire des itinéraires très précis, car les moyens de communication ne sont pas trop brillants. [... retournant à l'italien] Mais je te conseille de gagner comme première étape Messine (avec la liaison rapide depuis Naples) et ensuite d'aller à Catane et contacter notre très cher ami et collègue (qui est professeur d'Histoire de l'art de cette université) Stefano Bottari, qui se donnera de la peine pour te faciliter la visite des choses les plus intéressantes dans l'île. J'écris à Bottari pour cela, en tout cas son adresse est [...]. À ce propos, Bottari est l'auteur d'une Histoire de l'Art en deux volumes ; elle est certainement meilleure que les manuels de Salmi et Pittaluga, etc. Surtout, elle comporte une introduction méthodologique intéressante (quelques pages). Bottari est un élève de Croce, et il est - comme tous nos méridionaux - très philosophe. (Il a écrit trois intéressants volumes sur les problèmes de méthode dans l'histoire et la critique de l'art) »31.
Bottari, après avoir parlé avec Bettini, contacta immédiatement Chastel en proposant de le guider, comme en témoigne sa lettre du 23 août de la même année, conservée à Paris32.
Le 15 septembre suivant, Chastel est à Catane et il envoie à Bettini une carte postale, signée aussi par Stefano Bottari33. L'historien sicilien doit s'être mis à l'entière disposition de Monsieur et Madame Chastel pour leur faire connaître les trésors de la partie méridionale de l'île car le 19 septembre, Chastel, encore en Sicile, de Palerme, ne tarde pas à le remercier : il envoie une carte postale pour exprimer sa « reconnaissance pour [sa] délicieuse hospitalité, et la joie d'une amitié naissante w34. Dix ans plus tard, en 1961, Chastel évoque le souvenir des soirées chez les Bottari à Catane qui était resté vivace dans la mémoire de Madame Chastel35.
En rentrant en France, Chastel rapporte un exemplaire de l'ouvrage de Bottari sur la Cène de Léonard de 1948, accompagné d'une dédicace :
Ad André Chastel
per ricordo del suo passaggio da Catania
18.IX.1949
Stefano Bottari36
L'écriture devait ensuite prendre le relais de ce voyage et de son charme ; quelques mois plus tard Chastel allait publier dans la Revue des Sciences Humaines un article intitulé « Notes sur le Baroque méridional : l'architecture en Sicile aux xvuc et xviiic siècles », le dédiant « À STEFANO BOTTARI - En toute reconnaissance et amitié »37.
Bettini, comme nous l'avons vu, avait signalé à Chastel que Bottari avait également abordé la question des méthodes, et ils ont certainement profité du séjour sicilien pour approfondir ce sujet. Ainsi, il n'est pas étonnant que dans une lettre rédigée peu après le voyage, Chastel demande à Bottari des précisions concernant un article sur les valeurs tactiles de Berenson publié par Bottari dans les pages de la revue Belfagor^.
L'intérêt de Chastel pour l'architecture sicilienne et sa volonté de faire circuler et d'internationaliser la culture artistique l'amenèrent à demander à Bottari un texte pour la Revue des Arts. Quelques années plus tard, en mars 1953, sera ainsi publié l'article « La Bourgogne et la première architecture normande en Italie méridionale et en Sicile »39.
Au cours des mêmes années, Chastel invita aussi Bettini à envoyer des articles, alors que ce dernier demanda à plusieurs reprises à son collègue français, également au nom de Giuseppe Fiocco et de Rodolfo Pallucchini, de contribuer à Arte Véneta , en lui rappelant, de manière ironique, qu'en dehors de Florence, il y avait aussi Venise... Si Chastel remercie gentiment pour l'offre en 1947, en précisant que le Cinquecento vénitien l'a toujours intéressé et qu'il pourrait avoir quelque chose à dire sur Titien ou Tintoret40, en 1950 il se sent assez à l'aise pour écrire :
« On y trouve beaucoup de choses, mais j'avoue que mon goût pour l'art vénitien ne va pas jusqu'à m'intéresser aux fleurs de Guardi, ou à trouver un grand talent à A. Schiavone, comme votre infatigable Fiocco »41.
Cependant, quelques années plus tard, il répondit favorablement à la demande de Bettini et transmit à la revue un article sur « La mosaïque à Venise et à Florence au XVe siècle » dans lequel il souligne le rôle de la technique de la mosaïque et met en évidence l'impact des martres florentins au sein de la production de mosaïques à Venise, analysant ainsi les accomplissements florentins, et notamment les oeuvres d'Alessio Baldovinetti dans le Baptistère42. Quant à l'importance des techniques, Chastel s'y était déjà intéressé et, autour de cette période (1953-1954), il est d'ailleurs en train d'écrire son essai sur les marqueteries43 ; il doit avoir demandé l'avis de Bettini, car ce dernier lui répond à ce sujet :
« Excuse-moi si je ne t'ai pas répondu tout de suite, tu sais bien que je ne suis pas un bon correspondant. Et ta lettre me posait des questions importantes. [...] Je pense, comme toi, que les techniques ne déterminent ni l'expression artistique, ni le langage (théorie de Semper), mais je crois, comme toi, qu'elles ne sont pas "indifférentes", dans le sens qu'elles sont malgré elles un index de goût (pour ne pas utiliser le mot rieglien de kunstwollen) qui se manifeste dans le choix, ou la création, d'une technique plutôt qu'une autre »44.
Entre Chastel et Bettini, la correspondance est plutôt régulière et ils se rencontrent presque chaque année45. Entre le Français et Bottari, une lacune apparaît dans la correspondance entre 1953 et 1960, mais les deux collègues sont de nouveau en contact au début des années 1960. Entretemps, Bottari a été transféré à Bologne, où il a fondé la revue Arte Antica e Moderna dont il est rédacteur en chef avec Luciano Laurenzi ; Chastel en signale quelques articles parus dans les sept premiers numéros dans les pages de L'Information d'histoire de l'art*6. En septembre 1960, Bottari et Chastel se rencontrent de nouveau à Venise à l'occasion du cours Umanesimo Europeo e Umanesimo Veneziano tenu à la Fondazione Cini sous la direction de Vittore Branca. Au tournant de 1960-1961, Bottari invite Chastel pour des conférences à l'université de Bologne pour lesquelles ils choisissent le thème de Poussin et l'art français. Au même moment, Chastel recommande à Bottari son élève Antoine Schnapper qui souhaite un poste de lecteur de français à l'université de Bologne, afin de pouvoir étudier le xvnc siècle en Italie47. Schnapper s'y rendra l'année suivante et, en 1963-1964, il contribuera au volume, sous la direction de Bottari et Luciano Anceschi, Il mito del classicismo nel Seicento, avec Jacques Thuillier, autre assistant de Chastel, continuant ainsi la collaboration et les échanges établis par Chastel48.
En 1978, Chastel insère son article sur le baroque méridional, actualisé, dans la section « L'Architecture et le Merveilleux » de son recueil Fables, Formes, Figures*9. Il souligne que son choix est dû au fait que l'article « respirait l'enchantement de la découverte »50. Ce n'est pas par hasard que, dans ce même recueil regroupant les articles les plus significatifs de Chastel, défini par lui-même comme « une rose des vents, un compas de marine »S1, « un anti-traité, en somme »52 plutôt que comme « un livret de directives », il intégra aussi l'essai pour Arte Véneta sur les mosaïques, ainsi que « L'ardita capra », dédié à Sergio Bettini pour son 70e anniversaire et centré sur le motif de la chèvre broutant un rameau, à l'arrière-plan du tableau de Titien Nymphe et berger conservé au musée de Vienne53. Dans l'introduction, Chastel dit qu'il a « réuni ces études comme les éléments d'un puzzle, où [il] étai[t] bien obligé de [se] reconnaître et dont la figure se dessinait au fur et à mesure du ramassage »54. Pour le lecteur d'aujourd'hui, ces textes peuvent mettre en évidence non seulement les multiples intérêts et approches de Chastel et leur évolution, mais ils peuvent renvoyer aussi à ces liens, à ces contacts féconds et à ces voyages qui furent l'occasion de dialogues et de contaminations d'idées, dont nous retrouvons les traces dans ses lettres auxquelles ils sont inexorablement entrelacés, et ajouter ainsi des éléments déterminants à ce véritable autoportrait que constitue Fables, Formes, Figures.
Eva Renzulli
École pratique des hautes études
' Je tiens à remercier Madame Sabine Frommel et Monsieur Michel Hochmann pour m'avoir associée à leur projet sur les archives d'André Chastel, ainsi que Monsieur Roland Recht pour m'avoir permis de continuer à étudier les relations épistolaires de Chastel avec ses correspondants italiens. À Madame Frommel, j'adresse également un remerciement particulier pour son aide dans la rédaction de ce texte. Enfin, je suis reconnaissante à Madame Dominique Morelon et à Monsieur Sébastien Chauffeur pour m'avoir accueillie dans leurs archives.
1. Pour comprendre la très grande variété des correspondants d'André Chastel, voir les essais de Michel Hochmann et Sébastien Chauffeur dans ce même catalogue.
2. A. Chastel, G. Cogeval, Ph. Morel, « Entretien avec André Chastel », Revue de l'Art, 1991, n°93, p. 81.
3. Voir l'introduction de sa thèse principale, p. V-VI, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 45).
4. Je reviendrai sur les relations avec ces historiens dans les actes du colloque en hommage à André Chastel (29, 30 novembre et l"décembre 2012) qui s'est tenu à l'INHA et au Collège de France.
5. Pour Augustin Renaudet, voir A. Chastel, « Augustin Renaudet (1880-1958) », Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, XXI, n° 1 (1959), p. 210-214 ; M. Bataillon, « In memoriam », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 14e année, 1959, n° 3, p. 618-622.
6. Pour Jean Seznec, voir R, Duits et Fr. Quiviger (dir.), Images of the Pagan Gods: Papers of a Conference in Memory of Jean Seznec, Warburg Institute Colloquia 14, Londres, The Warburg Institute, 2009. Michel Hochmann reviendra sur l'amitié entre Seznec et Chastel dans les actes du colloque en hommage à Chastel.
7. Chastel remercie Redig de Campos pour cela dans l'introduction de sa thèse, op. cit., p. VIL On conserve des dessins de Chastel qui témoignent de cette visite le 27 septembre 1947 (voirfig.il).
8. Pour Sergio Bettini, voir les deux volumes sous la direction de M. Agazzi et C. Romanelli, L'opera di Sergio Bettini, Venise, Marsilio, 2011 et L'inquiet a navigazione della critica d'arte. Scritti inediti 1936-1977, Venise, Marsilio, 2011.
9. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 008,058 et 90, 341,096).
10. Venise, université de Ca' Foscari, Dipartimento di Filosofía e Beni culturali, archivio Bettini. Je souhaite remercier le fils et le petit-fils de Sergio Bettini, Paolo et Sergio Bettini, pour m'avoir permis de prendre connaissance de ce fonds, Michela Agazzi, chercheur à l'université de Venise, pour avoir partagé sa connaissance du fonds et facilité la consultation des lettres, et le professeur Luigi Perisinotto, directeur du Dipartimento di Filosofía e Beni culturali, pour avoir autorisé la publication des extraits cités ici.
11. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 008,058).
12. Venise, université de Ca' Foscari, Dipartimento di Filosofía e Beni culturali, archivio Bettini : 15 novembre 1947 et 31 décembre 1947.
13. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,008, 058) : 15 janvier 1971. Dans les archives de Sergio Bettini, il existe un manuscrit en français d'une conférence tenue à Lausanne sur l'art vénitien, mais sans indication de date. Voir M. Agazzi, « L'inventario dei manoscritti inediti », dans M. Agazzi, C. Romanelli, L'opera di Sergio Bettini, op. cit., p. 219, n° 47.
14. A. Chastel, « De l'intérêt des techniques décoratives pour l'interprétation des styles », dans Atti del Primo Convegno Intemazionale per le Arti Figurative, Florence, Edizioni U, 1948, p. 19.
15. H.Fodllon, Vita delleforme,Padoue, Le Tre Venezie, 1945. « Introduction » de S. Bettini, p. 7-12.
16. S. Bettini, Botticelli, Bergame, Istituto Italiano d'Arti Grafiche, 1942.
17. C'est le titre par lequel Chastel désigne ses thèses dans plusieurs lettres : Ars Platónica I correspond à sa thèse complémentaire sur Marsile Ficin (publiée ensuite comme Marsile Finn et l'art, Genève, Droz, 1954), Ars Platónica 11 à sa thèse principale (Art et humanisme, op. cit.). Voir cat. 27 et 29.
18. Venise, université de Ca' Foscari, Dipartimento di Filosofiae Béni culturali, Archivio Bettini : 31 décembre 1947.
19. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,008, 058) : 15 janvier 1948.
20. Michel Hochmann a reconstruit les relations de Chastel avec les différents membres de l'Institut Warburg dans sa communication au colloque en hommage à Chastel, déjà cité, et développera la question dans les actes. Pour le rapport entre Warburg et l'Italie, voir C. Cieri Via, M. Forti, Aby Warburg e la cultura italiana, Milan, Mondadori, 2009, et C. Cieri Via, « Giulio Carlo Argan e l'eredità del Warburg Institute ffa Europa e Stati Uniti »,dans C. Gamba (dir.), Giulio Carlo Argan, Intellettuale e storico dell'arte. Milan, Mondadori-Electa,2012, p. 117-128.
21. S. Bettini, « Neoplatonismo florentino e Averoismo veneto in relazione con Parte », Atti e memorie dell'Accademia Patavina di Scienze, Lettere ed Arti, LXV1II, 1956, p. 3-18.
22. Venise, université de Ca' Foscari, Dipartimento di Filosofía e Béni culturali, archivio Bettini : 26 décembre 1952.
23. Dans les livres du fonds Chastel à l'INHA, se trouve une copie annotée de la réédition de B. Croce, Estética come scienza dell'espressione e lingüistica generale: teoría e storia, Bari, Giuseppe Laterza, 1950, sous la cote : 8 MON 5302. Elle pourrait être celle à laquelle fait réference la lettre de Bettini du 18 novembre 1952, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 008, 058).
24. C. L. Ragghianti, L'Arte e la Critica, Horence, Vallecchi, 1951.
25. Ce texte-manifeste de Longhi publié dans le n° 1 de Paragone fut traduit par Chastel en 1950, comme en atteste une lettre de Chastel à Longhi du 11 janvier 1950, conservée à Florence à la Fondazione Longhi, mais ne fut publié par Chastel qu'en 1960 dans les pages de L'information d'histoire de l'art, 1960, n° 5, p. 31-38.
26. A. Chastel, « Problèmes actuels de l'histoire de l'art », Diogène, 1953, n° 4, p. 94-120.
27. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collection Jacques Doucet (Archives 90,008, 058).
28. Publié dans la revue L'Immagine, mars-juillet 1948, n°8, p. 443-452.
29. L'Immagine, mars-avril 1949, n°12, p. 165-179. (Noto est réédité dans C. Brandi, Sicilia mia, Palerme, Sellerio, 1989, 1992).
30. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 017, 025) : 22 juin 1949.
31. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 008, 058) : 7 août 1947. « La Sicilia dove intendi andaré è certo un paese che mérita di essere visto, vi troverai tra l'altro, nella architettura e nella decorazione scultorea dei monumenti del pieno medioevo, mold dementi normanni (e nel gotico napoletano vedrai quanto c'è di Angioino). Il faut faire des itinéraires très précis, car les moyens de communication ne sont pas trop brillants. Ma io ti consiglio di toccare come prima tappa Messina (rápido da Napoli) e poi passare da Catania e di cercare il nostro carissimo amico e collega (è ordinario di Storia dell'Arte in quell'università) Stefano Bottari, il quale si farà in quattro per facilitarti la visita delle cose più interessanti in Isola. Scrivo ora a Bottari in questo senso, ad ogni modo il suo indirizzo a Catania è [...]. A proposito ; Bottari è l'autore di una Storia dell'Arte italiana in due volumi ; è certamente molto migliore dei manueali di Salmi e Pittaluga etc. Sopratutto vi è di interessante l'introduzione metodológica (poche pagine). Bottari è uno scolaro di Benedetto Croce, ed è - corne quasi tutti i nostri meridionali - molto filosofo. (Ha scritto tre interessanti volumi sui problemi di método nella storia dell'arte e nella critica d'arte) ».
32. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,008, 106) : 23 août 1949.
33. Venise, université de Ca' Foscari, Dipartimento di Filosofía e Béni culturali, archivio Bettini : 15 septembre 1949.
34. Je souhaite remercier Valeria Rubbi, qui est en train de reclasser les archives Bottari, pour avoir mis à ma disposition ces documents et Ilaria Bianchi pour m'avoir mise en contact avec elle. Les lettres de Chastel adressées à Bottari sont conservées à Bologne dans la famille du fils de l'historien de l'art : archives Stefano Bottari (archives privées) : lundi 19 [septembre 1949]. Les lettres de Bottari à Chastel sont à Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 008, 106 «90,342,042).
35. Bologne, Archivio Stefano Bottari (archives privées).
36. Le volume se trouve aujourd'hui dans le fonds Chastel, intégré dans le fonds de la Bibliothèque de l'INHA, cote : 4 MON 4769.
37. Revue d'Histoire de la Philosophie et d'Histoiregénérale de la Civilisation (publiée par la Faculté des Lettres de Lille), fase. 55-56, juillet-septembre, 1949, p. 198-207.
38. Bologne, Archivio Stefano Bottari (archives privées), lettre sans date (mais peu après le voyage de septembre 1949). S. Bottari, « Bernard Berenson », Belfagor, fase. 6, 1948, p. 684-688.
39. S. Bottari, « La Bourgogne et la première architecture normande en Italie méridionale et en Sicile », Revue des Arts, III, n° 1, mars 1953, p. 3-12.
40. Venise, université de Ca' Foscari, Dipartimento di Filosofía e Béni culturali, Archivio Bettini : 15 novembre 1947.
41. Venise, université de Ca' Foscari, Dipartimento di Filosofía e Béni culturali, Archivio Bettini : 21 août 1950.
42. Voir la lettre du 24 mai (sans année, mais datable autour de 1953-1954), qui témoigne encore de la confiance que Chastel accordait à Bettini : « Je t'ai envoyé il y a huit jours l'article destiné à Arte Veneta. J'espère que tu l'as bien reçu [...]. Si l'article n'exige pas de correction sérieuse, envoie-le directement à Palluc [sic] et on n'en parlera plus ». L'article sera publié dans Arte Veneta, VIII, 1954, p. 119-130.
43. A. Chastel, « Marqueterie et perspective au XVe siècle », Revue des Arts, III, 1953, p. 141-154, republié dans Formes, Fables, Figures, Paris, Flammarion [éd. originale 1978], nouv. éd. 2000,2 vol., p. 317-332.
44. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 080, 058) : 8 février 1953 [Traduction].
45. Les lettres suivantes sont d'ailleurs très intéressantes « méritent une analyse approfondie.
46. L'Information d'histoire de l'art, 1960, n° 5, p. 24.
47. Bologne, Archivio Stefano Bottari, lettre d'André Chastel à Sergio Bettini du 16 avril 1961.
48. S. Bottari, L. Anceshi (dir.), Il mito del classicismo nel Seicento, Messine, D'Anna, 1964.
49. A. Chastel, Fables, Formes, Figures, op. eit., I, p. 525537.
50. Notice qui sert d'en tête à la section « Architecture « le Merveilleux », ibid., p. 494.
51. A. Chastel, « Introduction », ibid., I, p. 7.
52. Ibid., I, p. 8.
53. Originairement publié in Arte Veneta, XXXIX, 1976, p. 146-149, repris dans la IIIe section (Motifs) ibid., II, p. 121-128.
54. Ibid., I, p. 8.
Chastel et l'Allemagne
À la question de savoir quel pays étranger était le plus cher à André Chastel, on répondrait sans hésiter l'Italie. Omniprésente dans son oeuvre, elle fut au coeur de son dernier entretien, et le thème majeur des mélanges qui lui furent offerts1. Sans remettre en cause cette primauté qui accompagna toute sa vie personnelle et officielle, nous voudrions esquisser ici la relation moins connue qu'il entretint avec l'Allemagne, en rassemblant quelques indices oubliés ou négligés. Une fois réunis, ils révèlent comme un filigrane intime et profond dans la trajectoire lumineuse du savant.
Les premiers écrits publiés par André Chastel portent sur l'Allemagne. Tout jeune homme, il participe en 1937 au volume des Cahiers du Sud consacré au Romantisme allemand, sous la direction d'Albert Béguin et Jean Ballard2. Dans la partie consacrée aux philosophes, il donne un article sur Schelling, aux côtés de Roger Caillois qui écrit sur les relations des Romantiques allemands avec les sciences et la poésie, de Camille Schuwer sur Fichte, de Jules Monnerot sur Marx. Au sommaire de ce numéro devenu célèbre, figure la fine fleur des germanistes français, Edmond Jaloux, Charles Du Bos, Robert Minder, Marcel Brion, Pierre Bertaux, Henri Lichtenberger, ainsi que Jean Cassou, Denis de Rougemont, Walter Benjamin, Vladimir Jankélévitch. Sur la peinture allemande, c'est Louis Réau qui officie. Dans une lettre d'octobre 1936 à Jean Ballard, Chastel explique qu'il a repris le premier texte envoyé, « un peu rapide et court », et l'a rédigé « à nouveau en l'enrichissant passablement », le rendant ainsi « plus digne du numéro Romantique [sic] »3. Ne voyant pas arriver les épreuves en janvier 1937, il s'en inquiète et insiste pour que paraisse son étude, « qui répond à des recherches que je poursuis et poursuivrai longtemps encore »4. Dans une autre lettre, Chastel affirme que « ce Schelling n'est pas dans [son] travail une digression - mais un épisode (volontairement réduit ici à quelque chose d'assez simple) dans une série plus vaste à laquelle [il] consacre le meilleur de [ses] efforts »5. Dix ans plus tard, au moment de reprendre le numéro spécial Le Romantisme allemand, Albert Béguin rassure Chastel sur l'intérêt de son étude et lui confirme qu'elle figurera bien dans la réédition en 19496. Passé entretemps à d'autres centres d'intérêt, l'auteur se justifie ainsi dès la première note du nouvel article7 :
« Il n'était pas possible de mettre à jour cet essai vieux de dix ans sans le bouleverser entièrement. Son orientation reste peut-être valable, mais au prix d'une description trop courte : c'est la maquette d'un château dont on n'aurait représenté que l'escalier intérieur et la façade. N'ayant plus le loisir de placer les ailes et les étages, je me suis contenté - et m'en excused'alléger un exorde pesant, de substituer quelques citations plus explicites à des développements parasites et d'indiquer en conclusion de qui me paraît aujourd'hui l'essentiel ».
C'est par Roger Caillois, son condisciple de la khâgne du lycée Janson-de-Sailly, que Chastel avait fait son entrée dans les Cahiers du Sud. Sa collaboration dura une trentaine d'années, et mériterait une étude qui dépasse le sujet de cet article. C'est par la philosophie qu'il se fait alors connaître, la philosophie allemande, bien avant de choisir Augustin Renaudet pour diriger ses recherches sur l'humanisme européen de la Renaissance. Avec le génial rédacteur en chef des Cahiers, Jean Ballard, il entretint une correspondance amicale, au fil de la préparation des numéros spéciaux. Il participa à Paul Valéry vivant en 1946, mais pas à Lumière du Graal en 1950, comme l'espérait Ballard, et ne donna pas suite au « projet fou » d'un numéro sur le Baroque. Pour les livraisons ordinaires, il rendit des chroniques8, d'abord sur des livres, puis à la demande de Ballard, sur les arts, à partir de 19439. Le jugement de Ballard était souvent pertinent et direct. Relevant l'évolution du style de Chastel vers « une langue fruitée et pleine d'aisance », il lui prédit en 1943: « vous vous réaliserez, je crois, dans l'esthétique »10. Après son élection au Collège de France, Chastel reçut de Jean Ballard une belle lettre en forme d'adieu, celle d'un découvreur de talents au jeune auteur qu'il avait, le premier, publié11.
En redécouvrant la proximité de Chastel avec la sphère intellectuelle des Cahiers du Sud, on perçoit ce que son approche de la philosophie allemande doit au surréalisme, qui s'attacha aux aspects sombres, tourmentés, ésotériques, du romantisme allemand et les fit passer dans la culture littéraire des années 30. C'est aussi un « moment » nietzschéen, si l'on se rappelle que la première traduction complète de la Volonté de puissance par Geneviève Bianquis date de 1936. Chastel citera souvent Nietzsche, encore dans l'introduction de Fables, Formes, Figures: « c'est entre la vingtième et la vingt-cinquième année que, prenant au sérieux le "nous autres, philologues" de Nietzsche, je trouvai quelque chose d'impératif, d'incomparable et même d'exaltant dans l'application de l'esprit au détail... »12.
Avec le nom de Louis Réau13 s'ouvre une autre piste qui conduit à la seconde guerre mondiale. André Chastel a connu l'Allemagne contre son gré en 1941-1942, alors qu'il était en captivité dans l'Oflag IIIC, à Lübben sur la Spree, dans le Brandebourg. Lorsqu'il s'est exprimé - exceptionnellement - sur cette période pénible14, ce fut pour évoquer l'atmosphère du camp et les manières de tromper l'ennui et le désoeuvrement qui l'amenèrent, à la demande de ses camarades, à faire des conférences sur toutes sortes de sujets, « sur les cathédrales, sur l'art français, sur Fouquet etc... » ; de la correspondance aussi, pour trouver occupation et réconfort. Il écrit à Louis Réau, normalien comme lui, présent au sommaire du Romantisme allemand, grand universitaire alors en poste à Paris, pour lui demander des nouvelles d'un article qu'il avait envoyé à la Gazette et lui faire part du projet de traduire un ouvrage allemand d'histoire de l'art. Dans sa réponse, adressée le 27 septembre 1941 « an den Kriegsgefangenen [lieutenant] André Chastel », Louis Réau trouve le projet « excellent » et lui conseille de s'atteler au Dürer de Wöllflin15. Dans cette idée de traduire une langue qu'il ne connaît pas, qu'il maîtrise mal, on peut lire le désir de transformer la réalité quotidienne du camp, prosaïque et contrainte, en un exercice de culture dédié, qui plus est, à l'image la plus élevée et la moins contestable de l'art allemand. Le projet n'eut pas de suite, mais il révéla sans doute des goûts et des liens entre des pôles majeurs de l'histoire de l'art en Europe, qui cheminèrent longtemps, par des voies de hasard. Lorsqu'il évoque la Mélancolie à la fin de sa vie, Chastel la rattache à la découverte fortuite, « un petit accident », qui le mit en présence des publications de l'Institut Warburg :
« Je ne savais pas l'allemand, et je me demande comment je suis arrivé à lire un petit fascicule qui a joué, je crois, un grand rôle dans mon existence, Dürers Melancolía »16.
La référence affective à la Mélancolie constitue ainsi une source précoce, capitale, une clé qui ouvrit vers la science allemande de l'histoire de l'art, et vers Warburg. Sur Warburg, Chastel s'est longuement expliqué, tant sur les aspects biographiques - la lettre d'introduction de Focillon, les conseils de Seznec, l'arrivée à Londres en 1934, l'amitié avec Gombrich - que scientifiques. Ceux-ci furent d'une extraordinaire fécondité, pour lui-même (un ouvrage comme Le Sac de Rome se situe clairement dans cette filiation) et pour l'idée « allemande » qu'il se fera de l'histoire de l'art. Nous renvoyons aux travaux de Michel Fiochmann, qui ont apporté sur ce point particulier un éclairage nouveau et précieux.
Il y a dans la carrière de Chastel un autre exemple d'émulation avec la science allemande, dans son action publique cette fois, et non plus seulement dans son oeuvre de savant. Il s'agit des modèles qui servirent au grand dessein de l'Inventaire général. Lorsqu'il relatait les circonstances qui l'amenèrent à l'idée d'un Inventaire général en France, Chastel citait toujours, parmi les précédents illustres, la collection des Handbücher der deutschen Kunstdenkmäler de Georg Dehio17. La célérité de l'entreprise menée en quelques décennies dans tout l'espace germanique l'avait fasciné, de même que la commodité et l'extraordinaire diffusion des petits recueils. Le « modèle Dehio, admirable mais dépassé » devait certes être profondément renouvelé pour s'adapter à un pays centralisé comme la France, mais le rôle de la topographie historique, l'attention aux centres artistiques éloignés, l'importance de l'architecture gardaient toute leur pertinence. Avec une « sympathie pour ce qu'était l'Europe centrale » qui ne l'a jamais quitté, Chastel connaissait aussi Dvorak et Riegl, qu'il cite encore comme des repères en 1986, dans l'article « Patrimoine » des Lieux de mémoire. Il conserva dans ses archives personnelles l'exemplaire de l'édition originale du livre d'Aloïs Riegl, Der moderne Denkmalkultus, sein Wesen, seine Entstehung, publié à Vienne et Leipzig en 1903, que Hans Sedlmayr lui avait offert pour Noël en 197618. Il faut aussi rappeler la mémoire de Louis Grodecki, qui enseigna longtemps à l'université de Strasbourg (où Dehio lui-même avait fondé l'institut d'histoire de l'art et passé vingt-six ans, avant d'en être chassé en 1918). Ami très proche, « Grod » fat aussi pour Chastel un passeur exigeant et critique vers le domaine allemand, et une référence fondatrice pour le premier service de l'Inventaire créé en France en 1964 - précisément à Strasbourg.
De ce rapide survol émerge ainsi un paysage intime, lié à la jeunesse, aux souvenirs de la captivité, aux premiers travaux philosophiques dans la constellation des Cahiers du Sud, et à la découverte de Warburg. Comment interpréter la référence aux grands allemands, Goethe, Schiller, qui surgit encore en 1978 dans les premières lignes de l'introduction de Fables, Formes, Egarés, et l'épigraphe empruntée à Friedrich Hebbel19, sinon comme un signe de reconnaissance et d'appartenance à une idée culturelle de l'Allemagne ? Celle-ci avait survécu à la catastrophe du nazisme, car elle avait été portée par les Brion, Bertaux, Minder et autres remarquables passeurs et traducteurs du domaine allemand en France, dans la première moitié du XXe siècle. L'Allemagne pourrait bien être aussi, pour Chastel, la somme de tous les contraires de la France, le pays de 1'« analyse méthodique mais mortellement sérieuse » qu'évoque malicieusement Willibald Sauerländer20, ce pays de la Gründlichkeit si étrangère à une France de la légèreté et du bonheur de vivre, l'Allemagne rêvée et redoutée, celle de l'attirance pour la passion romanesque porteuse de désordre, comme dans la tragédie des Nibelungen de Hebbel, ou dans ce Siegfneds Liebe und Tod, un petit livre illustré de 1943 resté dans ses archives personnelles...21.
Enfin, pour le grand européen qu'était Chastel, il ne pouvait y avoir d'Europe qui n'embrasse aussi l'Allemagne. Elle fat l'un de ses points d'ancrage, rarement affiché, jamais oublié, mêlant des réminiscences intimes à une attention critique teintée d'admiration pour le prestige de l'université et de la science historique allemandes.
Isabelle Balsamo
Conservateur général du patrimoine
Ministère de la Culture et de la Communication
1. Voir Use rendit en Italie, études offertes à André Chastel, Rome, Edizioni dell'Elefante, 1987 ; « Entretien avec André Chastel », Revue de l'Art, 1991, n° 93, p. 78-87.
2. Le Romantisme allemand. Cahiers du Sud, numéro spécial, mai-juin 1937. L'article de Chastel est intitulé « Le point de vue philosophique : F. F. W. Schelling ».
3. Lettre de Chastel à Jean Ballard, 28 octobre 1936, Marseille, Archives municipales, fonds Jean Ballard, Ms 288, pièce 20. Je remercie Dominique Hervier de m'avoir signalé plusieurs pièces dans ce fonds.
4. Marseille, Archives municipales, fonds Jean Ballard, Ms 288, pièce 25,24 janvier [1937].
5. Ibid., pièce 20, non datée. Voir aussi « Entretien... », op. cit., p. 79 : « À l'École normale, tout le monde croyait que j'allais faire de la philosophie et puis non, cela ne me satisfaisait pas : j'ai pris une autre orientation et suis allé voir Focillon ».
6. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 008, 014). Dans l'avant-propos de la seconde édition, en 1949, Albert Béguin dte l'article de Chastel parmi ceux qui avaient été complètement remaniés.
7. Le titre de l'article est modifié : « Schelling ou la métaphysique de l'imaginaire », p. 128-136. La note est datée de juin 1947.
8. La toute première chronique en octobre 1935 est consacrée à la découverte de Salzbourg, une de ces villes qui « vous font parler tout seul ». Je remercie Dominique Hervier de me l'avoir signalée.
9. Lettre de Jean Ballard à André Chastel, 25 juin 1943, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,007, 076).
10. Lettre de Jean Ballard à André Chastel, 19 mars [1943 ?], Paris, Bibliothèque de l'INHA,collections Jacques Doucet (Archives 90,007,076).
11. Lettre de Jean Ballard à André Chastel, 22 février 1971, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 007, 076).
12. Introduction à Fables, Formes, Figures, Paris, Flammarion, 1978, I, p. 8, cité par Anne-Marie Lecoq dans son article « L'enseignement au Collège de France », Revue de l'Art, 1991, n° 93, p. 71-74. Elle évoque « ce qu'a représenté Nietzsche » pour Chastel, et rappelle « l'importance de Nietzsche pour Warburg, et celle des warburguiens pour André Chastel, l'amitié de Nietzsche et Jakob Burckhardt, et le rôle séminal de la Kultur der Renaissance in Italien dans la conception d'une histoire de l'art intégrale chez André Chastel ». Anne-Marie Lecoq souligne encore que « deux thèmes chastéliens étaient aussi de grands thèmes nietzschéens : le Midi salvateur et la vie, entendue comme la valeur qu'il convient de faire ressurgir en luttant contre la poussière qui la dissimule et l'étouffe ».
13. Louis Réau (1881-1961), normalien, professeur d'histoire de l'art à Nancy (1908-1911) et Paris (19381951), auteur d'une Histoire universelle des arts (A. Colin, 1930-1938), de L'Europe française au siècle des Lumières (Albin Michel 1938). Il fut élu à l'Académie des Beaux-Arts en 1947.
14. « Entretien... », op. cit., p. 81.
15. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,017, 065).
16. J'ai pu consulter l'exemplaire conservé par la bibliothèque de l'École normale supérieure de l'ouvrage de F. Saxl et E. Panofsky, Dürers Melencolia. 1. Eine quellenund typengeschichtliche Untersuchung (Studien Bibi. Warburg), Leipzig-Berlin, Teubner, 1923. Quelques mentions marginales au crayon pourraient être de Chastel. Voir également « Entretien... », op. cit., p. 79.
17. Georg Dehio (1850-1932), archiviste et historien de l'art allemand, lança en 1900 la collection des Handbücher der deutschen Kunstdenkmäler, qui se poursuit toujours sous l'égide de la société qui porte son nom. Chastel le dte dans son allocution de clôture du colloque de 1980 sur les inventaires des biens culturels en Europe : « Le modèle que représente le vieux Dehio, [...] ce modèle admirable et qui a transformé la situation de la culture en Europe centrale, ce modèle est dépassé ».Voir Actes du colloque sur les inventaires des biens culturels en Europe, Paris, Nouvelles Éditions Latines, 1984, p. 518. Voir également notre article « Les enjeux politiques de la création de l'Inventaire général », Pour une histoire des politiques du patrimoine, Paris, Comité d'histoire du Ministère de la Culture-Fondation des Sciences de l'Homme, 2003, p. 411-420.
18. L'exemplaire est conservé avec la lettre d'envoi dans le fonds Chastel de l'INHA (Archives 090, 266).
19. « Der Schlüssel zum Schrank kann man nicht in den Schrank legen », ce qui signifie « On ne peut mettre dans le coffre la clé qui ouvre le coffre », F. Hebbel, Tagebücher, Leipzig, Ph. Redom, 1841.
20. C'est un souvenir personnel évoqué par W. Sauerländer dans la Revue de l'Art, 1991, n°93, p. 18.
21. Éditions Der deutsche Erzähler, 1943. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076).
André Chastel et la Pologne
D'après les témoignages des historiens de l'art polonais les plus âgés et mes propres souvenirs, le professeur André Chastel (1912-1990) n'est venu qu'une fois en République Populaire de Pologne, en 1956.
Cela dut tenir à une décision personnelle, car d'autres collègues d'universités et de musées français fréquentaient, quant à eux, les colloques internationaux en Pologne, aussi bien en tant qu'organisateurs d'expositions qu'en tant que conférenciers à l'université de Varsovie. Les séjours des personnalités suivantes en sont la meilleure preuve : Michel Laclotte1, Bernard Dorival, Albert Châtelet et bien d'autres encore, moins connus. L'organisation d'une partie de ces visites était confiée au professeur Juliusz Starzyñski, fondateur et directeur de l'Institut de l'Art de l'Académie polonaise des Sciences, à Varsovie2 et au professeur Stanislaw Lorentz, directeur du musée national de Varsovie3. Tous deux disposaient d'un vaste réseau de contacts dans des organisations internationales telles que l'UNESCO, l'ICOM, l'AICA et le CIHA. Après 1970, ces visites furent organisées en collaboration avec le musée national de Varsovie par les professeurs Jan Biafostocki et Piotr Skubiszewski. Ce dernier sera promu plus tard directeur de l'Institut d'histoire de l'art de l'université de Varsovie. D'après mes souvenirs, ces professeurs cherchaient à inviter en Pologne les personnalités les plus renommées du monde de l'histoire de l'art et de la muséologie. L'accord des autorités gouvernementales était plus facile à obtenir pour les collègues originaires de France, et plus difficile pour ceux de la République Fédérale d'Allemagne. Je rappelle que nous étions alors dans les années 1945-1989 et que notre pays était dominé par la dictature de Staline puis d'autres dirigeants soviétiques, par la présence des troupes de l'Armée Rouge et d'un vaste système de services spéciaux contrôlés en permanence par les Soviétiques.
Le hasard fit que ce fut moi, parce que j'étais le plus jeune candidat au doctorat, puis assistant à l'Institut d'histoire de l'art de l'université de Varsovie, qui fut chargé par le professeur Starzyñski d'organiser les voyages d'étude. Il en fut de même après mon doctorat, à l'époque où le professeur Piotr Skubiszewski succéda au professeur Starzyñski au poste de directeur de l'Institut d'histoire de l'art. Je voyageais alors avec eux à travers la Pologne, dans le cadre du Centre de culture française de mon établissement, l'université de Varsovie donc. En fonction de ce qui intéressait les invités, nous nous rendions à Wroclaw, à Gdañsk ou encore à Poznañ, au lieu de nous contenter de Cracovie. Nous commencions cependant toujours par Varsovie, car c'était là que se trouvait l'unique aéroport international (jusqu'en 1989).
Mon intervention porte le titre : « André Chastel et la Pologne ». Voici pourquoi. Les séminaires du professeur Chastel étaient en effet fréquentés aussi par des élèves venus de Pologne. Son premier élève arrivé de Pologne s'appelait Zygmunt Wazbiñski (1933-2009). Profitant d'un dégel politique temporaire, celui-ci est parti en Italie en 1957, après des études de philologie polonaise, puis est allé en France4. C'est là qu'en 1961 il finit ses études d'histoire de l'art à la Sorbonne, couronnées par une thèse intitulée Bernardo da Parenzo, un peintre vagabond. Tout en cherchant à obtenir des bourses d'études, il continuait sa formation en fréquentant les séminaires de doctorat de Chastel. Suite à des difficultés matérielles et à des problèmes de passeport, il fut cependant obligé de retourner en Pologne en 1962. Il y poursuivit ses travaux sur la thématique du nu dans l'art vénitien du xvF siècle. En 1966, il obtint son doctorat à l'université de Varsovie, pour lequel il avait commencé à travailler en France et qu'il intitula La conception du nu dans l'art vénitien du xvf siècle. Ce texte connut ensuite deux éditions en polonais. Jan Bialostocki était le directeur de ce travail. Juste après l'obtention du doctorat, Wazbiñski fut engagé par l'université Nicolas Copernic de Toruñ, où il gravit successivement plusieurs échelons sur l'échelle universitaire. Il a tout d'abord été maître de conférences en 1974 (titre obtenu à l'université de Varsovie), puis professeur agrégé en 1979 et, enfin, professeur en 1991. Élu directeur de l'Institut d'Étude des Monuments et de la Préservation à l'université Nicolas Copernic, il y exerça dans les années 1981-1984, - des années particulièrement dures en raison de la « loi martiale » alors en vigueur en Pologne. Il créa ensuite, dans cette même université, sa chaire à la faculté d'histoire de l'art et de culture, où il a travaillé jusqu'à sa mort.
Dans ses souvenirs, Zygmunt Wazbiñski évoquait volontiers ses années parisiennes et l'exemple du chercheur modèle qu'était pour lui André Chastel, dont la photo était posée sur son bureau5. Parmi les livres qu'il a écrits et édités en Italie, on peut citer : L'accademia medicea del disegno a Firenze nel Cinquecento (Florence, 1987), et les deux volumes sur II Cardinale Francesco Maria del Monte 1549-1626 (Florence, 1994)6. Il écrivit aussi un livre pour ses étudiants, Malarstwo Quattrocenta (La peinture du Quattrocento, Varsovie, 1972 et 1989), dans lequel il mentionnait les publications de Chastel et de ses élèves7.
J'ai reçu de la part de Barbara Wazbiñska, veuve du professeur Wazbiñski, deux photographies datées de 1958, époque de ses études à Paris, où figure le professeur Chastel, des photographies probablement prises lors d'une exposition parisienne.
Le professeur Chastel avait également un autre élève, André Nakov, qui avait poursuivi à l'université de Varsovie des études d'histoire de l'art commencées en même temps que moi, en octobre 1959. André Nakov étudiait également le piano auprès du professeur Zbigniew Drzewiecki (1890-1971) au conservatoire de Varsovie. En août 1963, il fuit en France pour échapper au service militaire obligatoire qu'il devait faire dans une province perdue de Bulgarie, - ce qui l'aurait empêché de poursuivre sa carrière de pianiste. Une fois en France, en tant qu'émigré politique publiant des articles notamment dans la revue parisienne Kultura8, il acheva ses études d'histoire de l'art à la Sorbonne et à l'École du Louvre (en muséologie), et soutint sa thèse de doctorat intitulée La nymphe couchée le 3 juillet 19699. Chastel était alors directeur de recherches. Lors de la réception donnée après l'obtention du doctorat, qui eut lieu dans un palace parisien, Chastel exprima le regret que son élève voulût partir immédiatement pour les États-Unis au lieu de rester en France. Je me permets d'ajouter qu'André Nakov était le fils de l'ambassadeur du Royaume de Bulgarie à Varsovie et d'une Polonaise, Anne JunuszaCiesliñska, que celui-ci avait épousée en 1935 à Varsovie. La mère d'André était présente lors de cette cérémonie et elle avait abordé cette question du voyage aux États-Unis.
André Nakov est retourné en France après une dizaine d'années passées aux États-Unis. Depuis 1972, il a collaboré avec la maison d'édition d'avant-garde Champ libre et il a publié plusieurs livres. En 2002, il a publié un Catalogue raisonné de l'oeuvre de Kasimir Malevitch (Paris, éditions Adam Biro) et, en 2007, une monographie en quatre volumes sur le même artiste10. Comme on le sait aujourd'hui, grâce aux publications d'André Nakov, Malevitch était d'origine polonaise. Cette grande monographie a obtenu, l'année de sa parution, un prix de l'Académie française. Nakov occupe actuellement un poste d'historien de l'art, « membre associé » dans le domaine de la philosophie à la Maison des sciences de l'homme, université Paris-Diderot.
D'autres étudiants, plus jeunes, fréquentèrent les séminaires du professeur Jan Bialostocki et « atterrirent » un moment à Paris, chez Chastel, durant leur parcours rêvé vers les États-Unis. Les éditions de l'Art et du Film, à Varsovie, ont publié en 1978 en cent mille exemplaires L'Art italien, le livre de Chastel, dans la collection « Régions artistiques du monde ». L'éditrice, une diplômée en histoire de l'art de l'université de Varsovie, s'appelait Anna Gogut. J'ai essayé, mais en vain, de l'interroger pour en savoir davantage sur cette édition et sur son traducteur anonyme. Malgré une qualité d'impression médiocre et des illustrations d'un faible niveau technique, le livre a connu un franc succès et le tirage a été rapidement épuisé. Il est toujours utilisé dans de nombreux établissements d'enseignement supérieur en tant qu'aide aux examens d'histoire de l'art européen. Une seconde édition de L'Art italien a paru en 1986. Les autres livres de cette collection sont : L'Art espagnol de Jean Babelon, et L'Art flamand et belge de Robert Genaille.
Parmi les Polonais de la fin du xxc siècle, l'historien de l'art le plus important fut Jan Bialostocki, mon professeur et mon supérieur direct à l'Institut d'histoire de l'art de l'université de Varsovie, de 1965 jusqu'en 1988, date de sa mort11. D'après mes souvenirs, Chastel et Bialostocki étaient amis. Comme je l'ai personnellement entendu, le professeur Chastel tutoyait Jan Bialostocki et l'appelait « Jan », en polonais, et jamais « Jean » ! L'existence de cette relation privilégiée a été confirmée par Michel Laclotte12. Ces deux savants ont laissé de nombreux documents, y compris des lettres et des publications comportant des dédicaces mutuelles13.
En 1978, André Chastel fut invité à participer au livre de mélanges publié en hommage à Jan Bialostocki. Je me le rappelle parfaitement, car c'était moi qui envoyais les lettres d'invitation de la part du comité de rédaction14. Il n'a cependant pas pu finir son article à temps. Dans la nécrologie de Jan Bialostocki, il écrivit : « Il avait reçu, pour son soixantième anniversaire, un volume d'hommage, auquel - chiffre record - participèrent cent quinze savants de tous les pays »15. Dans le volume intitulé Ars aura prior. Studia Ioanni Bialostocki sexagenario dicata (Varsovie, 1981), le nom d'André Chastel se trouve parmi ceux de deux cent quatorze personnalités du monde entier, dans la Tabula gratulatoria.
Dans le grand article nécrologique qu'il publia dans Le Monde onze jours après la mort de Jan Bialostocki, André Chastel écrivait : « Personnalité prodigieusement active, présente à tour de rôle dans les instituts des deux mondes, participant avec sérieux et générosité aux réunions professionnelles, comme celles du Comité international d'histoire de l'art (CIELA), Jan Bialostocki parlait toutes les langues ». Et il concluait ainsi : « La disparition de cet interlocuteur amical et parfait va créer un vide immense »16.
Lors des séminaires de maîtrise ou de doctorat du professeur Jan Bialostocki, on avait l'habitude d'aborder les thèmes étudiés par le professeur Chastel. Je me souviens de son séminaire de maîtrise du semestre d'été de l'année universitaire 1977-1978, qui traitait de l'école de Fontainebleau d'après des travaux alors en cours17.
Une collaboratrice de longue date du professeur Bialostocki au musée national de Varsovie, Krystyna Secomska, a écrit le livre Spór o staroiytnosc. Problemy malarstwa w « Paralelad) »' Perrault (Varsovie, 1991) en s'inspirant de la littérature sur le sujet et en citant abondamment les travaux réalisés sous la direction de Chastel et par lui-même18. Je tiens à ajouter qu'il s'agissait souvent de livres disponibles uniquement dans la bibliothèque privée de Jan Bialostocki, qu'il partageait volontiers avec ses élèves et ses collaborateurs du musée.
Aujourd'hui, je peux écrire avec satisfaction que les livres d'André Chastel sont toujours lus et discutés, tout comme ses publications en anglais et en italien, par les personnels des musées et les étudiants des neuf universités polonaises où existent des filières d'histoire de l'art19. Il y a également des projets d'édition en polonais des travaux d'André Chastel, afin qu'un volume, comportant une biographie scientifique de ce dernier, puisse voir le jour au lendemain du centième anniversaire de sa naissance.
Juliusz A. Chroscicki
Professeur émérite à l'université de Varsovie
1. M. Laclotte Histoire de musées. Souvenirs d'un conservateur, Paris, Scala, 2003, p. 193-194 : voyages en 1959 et 1999. Ne sont pas mentionnés ici ses autres voyages en Pologne, y compris celui auquel j'ai participé en 1974.
2. J. Sosnowska, « Juliusz Starzyñski (1906-1974) », Rocznik Historii Sztuki, XXXVI, 2011, p. 137-155.
3. Stanislawa Lorentza walka o Zamek. Wystawa w stulecie urodzin. 28 IV- 30 VI 1999, Varsovie, Château Royal de Varsovie - Bibliothèque Royale, 1999.
4. R. Mqczyñski, « Zygmunt Waâbifiski (1933-2009) », Biuletyn Historii Sztuki,LXX111,2011, n°2, p. 245.
5. Ibid., p. 246.
6. Bibliografía publikacji Z. Watbiriskiego - opracowala A.M. Lepacka , op. cit., p. 250.
7. Ibid., p. 250.
8. KuJtura, revue publiée à Paris dans les années 1963-1969.
9. Position des thèses de troisième cycle soutenues en 1969. Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Paris-Sorbonne, série « Recherches », vol. 82, Paris, Presses universitaires de France, 1970, p. 360-361.
10. A. Nakov, Kazimir Malewicz : le peintre absolu, 4 vol., Paris, Thalia Édition, 2007 ; Malevich : Painting the Absolute, 4 vol., Londres, Lund Humphries, 2010.
11. J. A. Chrosdcki, « Jan Bialostocki 1821-1988 (nécrologue) », Biuletyn Historii Sztuki, LI, 1989, n° 2, p. 208-215 ; J. A. Chrosdcki, « In Memoriam Jan Bialostocki 1921-1988 », Artibus et Historiae,X, 1989, n° 20, p. 9-14 ; J. A. Chrosdcki, « O sztuce flamandzkiej w badaniach Jana Bialostockiego », dans Ars longa. Prace dedykowane pamieci profesora Jana Bialostockiego, Documents de la Session de l'Association des historiens de l'art, novembre 1998, Varsovie, Arx Regia, 1999, p. 33-52 ; A. Ziemba, « Jan Bialostocki (1921-1988) », Rocznik Historii Sztuki,XXXVI, 2011, p. 157-171.
12. M. Laclotte, Histoires..., op. cit., p. 196 : « Ce n'est quand même pas un hasard si ses pairs et amis étrangers s'appelaient Jan Bialostocki, Wilibald Sauerländer, Roberto Longhi, Erwin Panofsky, Anthony Blunt, Giuseppe Fiocco, Ernst Gombrich, Meyer Schapiro, qui ne sont pas vraiment des gens médiocres et représentatifs d'une seule tendance... ».
13. Les lettres et les dédicaces des livres d'A. Chastel à J. Bialostocki se trouvent dans les archives et la bibliothèque de la Société des historiens de l'art, à Varsovie (Marché de la Vieille Ville, n° 27).
14. Le comité de rédaction était composé des personnes suivantes : Juliusz A. Chrosdcki, Nawojka Ciesliñska, Jerzy Z. Loziñski, Janina Michalkowa, Mieczystaw Porçbski, Piotr Skubiszewski et Mieczyslaw Zlat.
15. A. Chastel, « Un maître de l'iconologie », Le Monde, 31 décembre 1988 ; rééd. : « Mort de l'historien d'art Jan Bialostocki. Un maître de l'iconologie », Rocznik Muzeum Narodowego w Warszawie, XXXV, 1991, p. 9192.
16. A. Chastel, « Un maître », op. cit., p. 91.
17. Actes du colloque international sur l'art de Fontainebleau et la peinture française du xvn' siècle (Fontainebleau et Paris,18-20 octobre 1972), A. Chastel (éd.), Paris, CNRS, 1975 ; J. A. Chrosdcki, « Jan Bialostocki professeur à l'université de Varsovie », Rocznik Muzeum Narodowego w Warszawie, XXXV, 1991, p. 60.
18. K. Secomska, Spór o starozytnosé. Problemy malarstwa jv "Paralelach" Perrault, Varsovie, Instytut Sztuki Polskiej Akademii Nauk, 1991 ; voir aussi ses travaux antérieurs : Mistrzowie i ksiqzefa. Malarstwofrancuskie XV i XVI wieku, Varsovie, Wydawnictwa Artystycznc, 1972 ; Malarstwo francuskie XVII wieku, Varsovie, Wydawnictwa Artystyczne, 1985.
19. Varsovie : université de Varsovie et université du Cardinal Stefan Wyszyñski ; Cracovie : université Jagellonne et université du Pape Jean-Paul II ; Wroclaw: université de Wroclaw ; Lublin : université Catholique de Lublin et université Marie Curie-Sklodowska ; Gdansk: université de Gdansk ; Toruñ : université Nicolas Copernic.
André Chastel et l'architecture : entre histoire et stratégies actuelles
L'engagement de Chastel pour l'architecture s'est exprimé à travers des programmes différents qui révèlent que l'histoire était pour lui une puissance qui se prolonge dans le monde actuel et exige un effort permanent pour protéger ce qui s'est conservé, restituer ce qui a été mutilé ou effacé. Ses activités, tant dans le champ scientifique que sur la scène publique, montrent que la « mère des arts » hantait continuellement sa pensée - un fait que confirme sa bibliothèque où presque un tiers des livres s'y référait (2500 sur un total d'environ 7500 titres). La création de l'Inventaire général dont le but était de « recenser et décrire l'ensemble des constructions présentant un intérêt culturel ou artistique ainsi que l'ensemble des oeuvres et des objets d'art créés et conservés en France depuis les origines » (1964), en émulation avec la collection Die Handbücher der deutschen Kunstdenkmäler At Georg Dehio, reflète la quête de nouvelles stratégies de documentation1. Parmi les « trésors du passé », le patrimoine architectural attirait particulièrement son attention et les « couches superposées » de ses témoignages firent vibrer les cordes sensibles de l'historien autant que celles du défenseur de la sauvegarde de sites. Signée avec Jean-Pierre Babelon, La Notion de patrimoine (première édition en 1980) affiche avec perspicacité les multiples enjeux et composantes du débat, depuis la nécessité de conserver l'édifice comme partie indissociable d'un contexte naturel ou monumental jusqu'au problème épineux de l'attitude à adopter dans le cas des structures privées de leurs fonctions originelles. Les bâtiments, les quartiers, les bourgs et les sites forment pour une société le fondement de sa mémoire, une « réserve d'énergies millénaires » et la connaissance de leur genèse et leur maintien touche à son identité même. Chastel intervenait dans des batailles comme celle qui eut lieu autour des Halles centrales de Paris, terminée malencontreusement avec la destruction des six pavillons de Baltard en 1970, l'un des témoins les plus importants de l'architecture industrielle en France. Il déplorait, pour cause, le mépris délibéré de leur valeur historique ! De ce contexte est issu Système de l'architecture urbaine. Le quartier des Halles à Paris, un travail pionnier (avec F. Boudon, H. Couzy, F. Hamon, Paris, 1977) qui répondait à l'un des axes de recherche - la relation entre la construction urbaine et l'espace de la dté - lancés en 1962 lors de la création du Centre de recherche sur l'histoire de l'architecture moderne (CBHAM). L'autre axe, la relation entre les demeures seigneuriales et l'espace rural, a connu son premier aboutissement avec les sondages sur le site du château de Saint-Léger-en-Yvelines (démoli sur ordre royal en 1668), fondés sur l'analyse de cartes anciennes2. Là, Chastel s'est montré un homme de terrain doué d'une extraordinaire intuition, capable de conduire des fouilles débouchant sur une restitution graphique de l'édifice. Peu avant, lors de la préparation de l'ouvrage sur le palais Farnèse conçu pour commémorer le centenaire de la présence française dans cet édifice emblématique, il avait donné une preuve de sa remarquable faculté à coordonner et orchestrer des travaux collectifs3. Guidé par une vision de P« oeuvre d'art totale », il a ensuite été le metteur en scène des cinq volumes consacrés à la Villa Médicis qui croisaient de nombreuses enquêtes, depuis la genèse du bâtiment jusqu'aux menus détails de sa décoration et de ses jardins, en passant par les commanditaires et leurs collections4. Pour Chastel, les recherches menées sur cette villa de la Renaissance révélèrent davantage un modèle culturel - qui jette une lumière nouvelle sur les démarches et les dépenses des prélats-mécènes - qu'une typologie architecturale.
Par son enseignement à l'École pratique des hautes études (1951-1978), à la Sorbonne (1955-1970) et au Collège de France (1970-1984), André Chastel a réussi à passer le flambeau à une jeune génération d'historiens de l'architecture et à consolider ainsi durablement la discipline en France. Dans ses conférences à l'EPHE, suivies aussi par des chercheurs étrangers lors de leurs séjours parisiens, ses thèmes gravitaient tantôt autour des phénomènes-clefs de la Renaissance italienne, à l'instar de l'église à plan centré ou du palais romain, tantôt autour de la traduction et de l'exégèse de sources majeures comme Le Vite de Giorgio Vasari.
Avec les colloques internationaux au Centre d'études supérieures de la Renaissance à Tours depuis 1972, il ouvrit, de concert avec Jean Guillaume, une brèche pour l'architecture de la Renaissance, par un déploiement des enquêtes et l'étude comparative, en plaçant l'initiative au coeur d'un réseau européen5. Qui a vécu l'atmosphère conviviale et ouverte de ces rencontres était impressionné par le talent de Chastel en tant que médiateur entre des traditions et des écoles différentes, de sa faculté éblouissante de communication et de synthèse. C'est le même don, accompagné d'une extraordinaire force de conviction, qui fit que le Centro Internazionale di Studi Andrea Palladio (CISA), à Vicence, dont il présidait le comité scientifique depuis 1981, put s'installer à la fin d'un long combat avec les autorités locales, dans le nouveau siège au Palazzo Barbaran da Porto, l'une des constructions les plus somptueuses signées par le Vicentin. Le Bollettino du Centro, un cahier d'allure modeste, cédera la place aux Annali Ai Arcbitettura qui, généreusement illustrés et diffusés, constitue depuis lors l'organe prestigieux de l'institution renouvelée6. Pendant des voyages qui alternaient avec les colloques à Tours ou les séminaires organisés au CISA, il gardait jusqu'à la fin sa curiosité sereine et son élan juvénile qui lui permirent d'apprendre et de découvrir, en-dehors de toutes sortes d'idées préconçues.
Si Chastel s'est attelé avec fougue à une mission ambitieuse pour l'architecture, dans ses propres recherches, celle-ci est loin de former une préoccupation constante7. Tout d'abord sa méthode se distingue de la plupart des historiens de l'art de son temps par un regard universel qui embrasse plusieurs genres artistiques - architecture, peinture, sculpture, décoration, fêtes, littérature - et qui s'intéresse aux interactions et aux perméabilités. À partir des années trente, l'Italie devint son terrain d'élection et pendant ses séjours fréquents dans ce pays, il faisait montre pour ainsi dire d'une énergie supplémentaire : « Il faut avoir débarqué en compagnie d'André Chastel à Rome ou à Venise, sitôt les affaires déposées à l'hôtel, badaudé en sa compagnie dans les rues ou sur les quais, pour comprendre ce que l'Italie était pour lui : une accélération euphorique du rythme de la respiration et des battements de coeur, une "promesse de bonheur" »*. C'est lors de ses études sur le Quattrocento florentin au temps de Laurent de Médicis9 que sa démarche a évolué et, sous l'influence de l'enseignement d'Henri Focillon et des recherches de Fritz Saxl et d1 Erwin Panofsky, il ressentit l'intérêt d'une histoire de l'art élargie. La lecture du « grand Burckhardt » a exercé une influence sur ses positions, de laquelle vont découler progressivement ses futurs thèmes de recherche et qui lance, par son Cicerone, un modèle direct pour L'Art italien (1956). Selon le principe d'Henri Focillon - « L'histoire de l'art est l'histoire de l'esprit humain par les formes » -, Chastel procède par un approfondissement spécifique qui « cherche les seules articulations valables dans la nature même des styles et leur autorité sur l'esprit ». D'après son point de vue, l'architecture du XVe siècle florentin témoigne de points de contacts avec le néo-platonisme, d'une osmose entre les « idées » et les « formes ». Afin d'exposer sa notion de 1'« idée », Marsile Ficin, représentant magistral de ce courant philosophique, avait eu recours précisément à l'architecte (Commentaire au Banquet) : « Il commence à concevoir une notion de l'édifice et comme une idée dans son âme, puis il fait bâtir autant que possible la maison telle qu'il l'a imaginée. [...] supprime la matière si tu le peux - et tu le peux en pensée - et conserve le plan ; il ne reste rien de corporel et de matériel ; mais ce qui coïncide, c'est l'ordonnance donnée par le constructeur et celle qui réside dans la construction ». Or, si l'on veut comprendre la nature de l'oeuvre architecturale, il faut dégager cette idée, endehors de toute matérialité. Dans le domaine de l'histoire de l'art, les lignes maîtresses d'une telle réflexion ont été dessinées en 1924 par Erwin Panofsky10. De surcroît, Ficin s'était appuyé sur les principes de Leon Battista Alberti d'une articulation cohérente de formes géométriques et d'un canon de proportions fait d'accords simples, dérivant de la musique. La pierre de touche des bâtisseurs était là ! La démarche scientifique de Chastel doit beaucoup à Rudolf Wittkower qui, dans ses Architectural Principles in the Age of Humanism (1949), avait tenté de restituer, par des dessins schématiques, les rapports mathématiques et les proportions des édifices emblématiques de la Renaissance italienne, perçus comme reflets des principes néo-platoniciens. Dans une lettre du 25 juillet 1950, Ernst Gombrich décrit l'ouvrage comme « sum very impressive », mais Chastel devait déplorer l'absence d'exemples de la charnière des XVe et xvf siècles et une vision trop idéalisée de l'évolution, sans dénier en 1957, dans une synthèse sur les Travaux sur l'architecture italienne de la Renaissance, que ce livre a ouvert une « direction nouvelle »n.
Parsemés sur des feuilles, de nombreux croquis montrent que Chastel s'efforça d'intégrer et de pénétrer, avec une attitude empirique, les normes des architectes du Quattrocento et d'accéder ainsi au mystère de l'harmonie12. Au lieu d'un pur « pythagorisme », celles-ci dérivent de l'anatomie et des lois selon lesquelles procède la nature, dont l'étude est transmise, de manière saisissante, par d'innombrables esquisses et projets architecturaux de Léonard de Vinci, incarnation du génie qui conjugue science et art. Chastel ne s'est jamais lassé d'approfondir ses recherches autour du génie florentin - sa bibliothèque comptait environ deux cents livres le concernant - et de nombreuses lettres échangées avec Carlo Pedretti révèlent que les retombées de la pensée « scientifique » de cet uomo universale sur ses conceptions architecturales devaient demeurer au coeur de ses études13. Issu d'un dialogue entre Bramante et Léonard à Milan, la genèse du plan de Saint-Pierre constitue un événement magistral de la Renaissance italienne et, en explicitant les recherches de Ludwig Heydenreich, il rejoint pleinement le point de vue de Wittkower, selon lequel ce dispositif obéit presque à une force majeure : « Vu après coup, il y avait une sorte de nécessité historique à confier le plan de Saint-Pierre, église-mère de la Chrétienté, à Bramante, et que celui-ci en fît un édifice de plan central. On pourrait même aller jusqu'à dire qu'en 1505 le caractère sacré et singulier de l'église n'aurait pu être mieux exprimé par aucun autre type de plan »14.
Au sein de la symbiose entre science et art qui marque le Quattrocento, la perspective centrale, une construction rationnelle de l'image, allait changer profondément la perception de l'espace intérieur et celle du volume dans son contexte physique. Chastel en a montré l'impact sur les créations, notamment dans le cas des basiliques de Filippo Brunelleschi, dont la rigueur géométrique révèle pour lui une « idée réalisée ». Dans une lettre à Sergio Bettini de décembre 1947, il refusait cependant une pensée selon laquelle la philosophie avait eu des énergies créatrices, capables de faire émerger des formes : « Mais je ne crois pas non plus aux influences directes de l'idée sur la forme, de la philosophie sur l'art. J'essaie justement de montrer que le néoplatonisme a intéressé les artistes, parce qu'il était lui-même une transposition des problèmes esthétiques, et moins une doctrine, qu'une volonté de style »15.
Parmi les pages de Chastel les plus captivantes sur l'architecture, il faut retenir celles qui touchent à l'histoire culturelle, à l'esprit de compétition entre les cours des princes, à l'orgueil national qui tend à créer des centres privilégiés de la culture et d'axes de la renovatio universelle, comme dans le cas de Florence ou, un peu plus tard, de la transformation de Rome par Bramante. Dégager les énergies sous-jacentes des opérations monumentales, les aspirations qui ont motivé et forgé les desseins, c'est un objectif que Chastel suivit avec persévérance, dans un sens rieglien. Dans certaines typologies se cristalliseraient les « idées forces » : le temple est expression de la tendance à simplifier et solenniser le culte, la villa de l'idéal de la vie à la campagne et de la demeure de Votium philosophicum. Une place d'exception revient à la résidence qui, regroupant les compétences majeures sous la tutelle d'un humaniste érudit, favorise le regard croisé et les synthèses du savoir, propices à l'émergence de nouveaux modèles. La passion de Chastel pour la Kulturgeschichte fait qu'il s'interroge sur la fonction théâtrale des villas, sur les apparati, à Poggio Reale, à la Farnésine ou au Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, en explorant les spécificités des modes de vie, en France et en Italie16. L'ouvrage de James Ackerman sur la villa du Belvédère avait attisé sa curiosité et suscité de nouvelles réflexions17. Gravitant autour d'une trilogie centrée sur « théorie et pratique », « palais et villa », « l'église : façade et plan central », Le Grand atelier d'Italie (1965) résume les points saillants qui s'étaient profilés au sein de sa démarche méthodologique.
Plongé dans les plus profonds mystères de la Renaissance, cet admirateur fidèle des leçons d'Aby Warburg était conscient des ambiguïtés et des contradictions de la période : si, par exemple, glorification profane et dévotion sont étroitement mêlées, normes géométriques et exigences fonctionnelles s'opposent, pratique et théorie se heurtent sans trêve. L'engouement de Chastel pour Luigi Pirandello et sa dramaturgie autour de la multiplicité et la relativité des visions montre qu'il était sensible à ces équivoques. Creuser l'écart entre idéal et réalité implique aussi l'étude des traités d'architecture et des recueils de dessins, desquels découlent l'aspiration doctrinale et le penchant vers la codification. En outre, au sein des processus de réception de modèles dans d'autres milieux culturels, ceux-ci représentent un instrument majeur. De concert avec des considérations que mène Chastel sur la survivance d'« idées » et de motifs, ces paramètres forment un nerf vital de sa méthode. En-dehors du décloisonnement, son souci majeur réside finalement dans une différenciation du regard et ainsi il observe que les arts convergeant dans une oeuvre architecturale - de la sculpture jusqu'aux marqueteries - sont assujettis à des évolutions individuelles, efficaces pour les uns, lentes pour les autres, non sans témoigner d'analogies et d'accords. Par cette approche nuancée il s'éloigne foncièrement de la classification utilisée par Louis Hautecoeur dans son Histoire de l'architecture classique en France, fondée sur une attitude unificatrice selon des « tiroirs » et, en quelque sorte, privée d'âme18.
Une histoire de l'art intégrale selon la vision chastelienne ne pouvait pas rester indifférente à l'iconologie de l'architecture, qui permet de rapprocher des méthodes appliquées dans le domaine des arts figuratifs. Ses études sur Alberti lui avaient révélé la symbolique des formes géométriques, notamment du cercle comme image de la perfection de la nature, et derrière celleci, de la divinité. Dans une conférence à l'EPHE (année 1954-1955), il avait abordé des « édifices-types », liés souvent aux fictions historiques comme « Florence décrite comme la nouvelle Rome » et des interprétations du Saint Sépulcre de Richard Krautheimer dans son article « Iconography of Medieval Architecture » de 194219. En novembre 1974, il invita ce dernier à donner des conférences au Collège de France, afin de développer une « révision critique de "l'iconographie de l'architecture" », une espèce de « second thought » de cette approche, si fondamentale dans l'ambiance warburgienne20.
Dans son livre sur le Sac de Rome (éd. anglaise, 1983 ; éd. française, 1984), dont les premières réflexions remontent au début des années 1970, on s'étonne de la faible présence de l'art de bâtir21. En étudiant le pillage de la ville éternelle en 1527 d'un point de vue « culturel », Chastel s'interroge sur l'existence d'un « style clémentin », dégageant les traits spécifiques de cette époque, et le détecte chez les peintres actifs à Rome, notamment Rosso Fiorentino, Parmigianino et Perino del Vaga. En revanche, il écarte les oeuvres architecturales spectaculaires, la Nouvelle Sacristie et la Bibliotheca Laurenziana que Michel-Ange avait réalisées à Florence pour le pape Clément VII et qui portent son empreinte directe ; ce dernier avait en effet suivi de près les travaux et formulé des exigences précises. En tout état de cause, la diffusion du « style clémentin » par ces mêmes peintres, réfugiés ensuite dans d'autres régions, permit à Chastel de renvoyer au passé l'idée d'une rupture provoquée par le sac de la ville, telle qu'elle a été soutenue par des historiens en quête de solutions « commodes ».
Si l'histoire culturelle et une vision albertienne formèrent l'épine dorsale de sa méthode d'étude de l'architecture de la Renaissance italienne, de nouveaux thèmes et courants internationaux allaient vite élargir encore son horizon. Palladio était un défi majeur, qui posait le problème des répercussions du Quattrocento et de la Seconde Renaissance, ainsi que celui d'une nouvelle exégèse du patrimoine antique. La lecture de Wittkower, de son Palladio et le Palladianisme (New York, G. Braziller, 1974), fut à nouveau une référence essentielle pour Chastel ; dans sa bibliothèque conservée à l'INHA, c'est curieusement le seul livre de cet auteur. « Palladio et l'escalier » aborde le rôle de cet organe constructif au sein des mutations stylistiques qui, dans le cas du Vicentin, passe du capriccio, caractérisé par le mouvement concavo-convexe, à une prédilection pour les rampes droites, inspirées par les grands sites romains22. Depuis une conférence à l'Institut Courtauld en 1957, suivie d'un échange stimulant avec Anthony Blunt, jusqu'au colloque de Tours en 1979, censé creuser « la poétique de l'escalier qui n'a jamais connu de développements plus originaux qu'à la Renaissance », ce sujet a préoccupé Chastel23. En 1982, « Le Nu de Palladio » s'intéresse aux matériaux, à l'utilisation des briques, grâce à laquelle l'architecte réussit à produire l'effet monumental, sans avoir recours au travertin ni au marbre24. Couvert par un enduit de couleur claire, l'épiderme exalte le bloc homogène, lumineux, d'où les membrures se détachent par un effet vigoureux et simple. Un autre point capital des recherches de Chastel devint Sebastiano Serlio, architecte-théoricien bolonais, actif à Fontainebleau depuis 1541 et pivot de la diffusion des modèles italiens en Europe. Les éditions critiques des deux versions du manuscrit du Sixième Livre, par Marco Rosci (1966) et Myra Rosenfeld (1978), avaient déclenché chez Chastel des réflexions sur les processus d'assimilation des prototypes italiens au-delà des Alpes, sur des séries de filtrages des archétypes, favorisés par une « mentalité typologique » de la part de cet architecte. Dans un article intitulé « Serlio en France », Chastel tolère même les écarts et les licences vis-à-vis des paradigmes, « un empirisme du constructeur contre l'abstraction du théoricien, l'éclectisme contre la définition étroite du bon style et même l'invention contre la norme »25. La thèse de doctorat de Fritz Schreiber Die französische Renaissancearchitektur und die Poggio-Reale-Variationen des Sebastiano Serlio, publiée à Halle en 1938, lui fit découvrir le rôle de médiateur du Bolonais, quant à la réception de la fameuse villa napolitaine en France. Des petits croquis schématiques montrent que Chastel se plongea dans cet étonnant organisme architectural, issu de l'imagination de Laurent le Magnifique, en s'interrogeant sur la fonction de la cour bordée de gradins, des portiques et les appartements rejetés dans les volumes d'angles26 (fig. 10). Plus tard, dans L'Art français, il devait apprécier l'intelligence avec laquelle « Serlio avait relevé la consistance, et la résistance, des partis pris du vernaculaire français [...] et surtout, un sens de la commoditasou distribution intérieure, qui était déjà, et sera plus encore, selon les théoriciens classiques, une des supériorités françaises »27.
S Chastel doit à son remarquable talent de synthèse, accompagné d'une plume élégante, des sollicitations continuelles pour de grandes présentations, il devait de plus en plus se garder du risque d'une vision idéalisée de l'évolution des langages monumentaux. Des conférences sur l'architecture française de la Renaissance, prononcées au Collège de France en 1981 et 1982, le conduisent à conclure que « la découverte de la diversité et des conflits, dans le sens des contrastes » fournit la clef de la compréhension de cette période28. Dans L'Art français (publication à titre posthume), il devait refuser vigoureusement le concept d'un enchaînement rationnel de faits menant en ligne droite vers un classicisme, au profit d'une vision de l'hétérogénéité des courants et des oeuvres, obéissant à un dynamisme inhérent à la période, teinté d'une forte conscience nationale. Chastel ne serait cependant pas resté fidèle à lui-même s'il n'avait pas mis en évidence, dans son dernier ouvrage, les points de tangence entre les arts, parmi lesquels l'architecture accédait désormais à un rang supérieur.
Quant aux méthodes, il souligne dans l'un de ses derniers textes, rédigé pour les « Trente ans d'études du CISA », la courbe évolutive de la recherche historique, une espèce de force majeure, qui a apporté des changements et orienté de plus en plus le regard vers les commanditaires, le contexte social, les conditions économiques, les relations qu'entretient l'architecte avec les artisans et les gens du métier29. S'il ne déplore pas ces nouveaux paramètres, il rappelle que des aspects comme la conception de l'Antiquité qu'avait le Vicentin ou ses ordres classiques ne sont pas caducs et exigent des recherches ultérieures. Il ne pouvait échapper à sa clairvoyance que les approches émergées après 1968, qui garantissaient un élargissement de la discipline, couraient le risque de diminuer l'intérêt pour la contemplation des oeuvres d'architecture, l'étude des spécificités formelles et de leur impact esthétique.
Chastel ne s'est jamais éloigné de cette courbe évolutive, car il suivait avec intérêt les recherches de ses jeunes collègues, notamment celles de James Ackerman (fig. 12), d'Anthony Blunt, de Nicolaus Pevsner et de Rudolf Wittkower, sans parler des travaux de jeunes collègues. De nombreux comptes rendus témoignent de cette attention et, quand un sujet le passionnait particulièrement, ainsi l'article de Rudolf Wittkower sur la coupole de Saint-Pierre, il procédait par des fiches de lecture30. Quant à ces dialogues, où engagement intellectuel et amitié s'entremêlaient souvent, la correspondance fut un instrument essentiel, une partie constituante de son travail scientifique, nourrie par de constants échanges, rapprochements et confrontations.
Même s'ils sont inévitablement liés à certains penchants de leur temps, les écrits de Chastel dans le domaine de l'histoire de l'architecture demeurent une référence magistrale, un terrain toujours prometteur, duquel de nouveaux aspects continuent à se dégager, grâce à sa capacité à concilier la vision d'ensemble et le phénomène singulier. En 1970, Arnaldo Bruschi, éminent connaisseur de l'architecture de la Renaissance italienne, affirma avec enthousiasme l'effet stimulant qu'exerçaient sur la scuola romana les travaux de Chastel : « Tes écrits nous ont vraiment ouvert de nouveaux champs de recherche et nous te considérons comme notre maître idéal »31 (fig. 13). Cette fraîcheur est également due aux allusions à des phénomènes actuels et récents que Chastel glissait habilement dans ses réflexions scientifiques les plus détaillées et qui font comprendre que l'histoire est loin d'être une sphère close et reculée. Ses expériences en tant que journaliste ont sans aucun doute affiné les propos, aidé à émousser et dissoudre les contrastes entre le passé et le présent, au profit d'une formidable interaction entre les époques32. Loin de représenter la technique du « narrateur », ce sens de la perméabilité reflète ses véritables intérêts qui embrassent - sa bibliothèque en témoigne - des thèmes comme la restauration chez Viollet-le-Duc, le recensement des monuments italiens détruits ou endommagés pendant la guerre, ou les travaux de Carlo Scarpa à Vérone33. Chastel savait que le travail de l'historien s'alimente de sa propre expérience, alors que la lecture du philosophe-poète Nietzsche et sa revendication d'une utilité des études historiques pour la vie actuelle, ne pouvaient qu'aiguiser sa manière de raisonner. Mais cette forte présence que dégagent ses écrits doit aussi beaucoup au fait qu'aucune antinomie n'existait pour Chastel entre, d'une part, une intelligence érudite et un esprit méthodique et, d'autre part, la contemplation des oeuvres et un goût très sûr. Vu sous cet angle, il est un véritable héritier de Jacob Burckhardt, qui bénéficiait de l'expérience de ses voyages, source élémentaire de ses réflexions. Chastel faisait comme le grand historien suisse quand il traçait des croquis en visitant les monuments - un bon exemple en est la feuille regroupant des détails des Chambres de Raphaël au Vatican34 (fig. 11) - ou quand il cherchait avec acharnement, plan en main, à reconstruire la vie sociale dans un palais vénitien35. Il était « chez lui » dans la Renaissance italienne - autre analogie avec Burckhardt - qui, loin de ne signifier qu'un choix scientifique, représentait aussi un « choix de civilisation » impliquant une orientation de son être et de sa pensée. Il suffit de lire les pages de Chastel sur le baroque italien pour comprendre que cette période était loin de son propre ethos.
Qui a connu Chastel pendant les dernières années de sa vie sait combien l'architecture était devenue pour lui une véritable et constante préoccupation scientifique, à laquelle il se livrait avec satisfaction. Les préparatifs de l'exposition sur Giulio Romano (dont il avait désapprouvé en 1957 « la brutalité »), à Mantoue, lui offrirent une dernière occasion de découvrir l'oeuvre d'un architecte qui attendait encore une valorisation36. La figure du bâtisseur de la Renaissance italienne - artiste, savant, chorégraphe, visionnaire et démiurge - avait gagné progressivement de l'espace dans la vision de Chastel et reflète, comme métaphore, son oeuvre propre, construite, pierre par pierre, autour d'un projet ambitieux : une vision élargie de l'histoire de l'architecture.
Sabine Frommel
Directeur d'études. École pratique des hautes études
1. Voir l'article d'Isabelle Balsamo dans ce catalogue.
2. F. Boudon, J. Blécon, Philibert Delorme et le château royal de Saint-Léger-en-Tvelines, Paris, Picard, 1985.
3. Le Palais Parnèse, Rome, École française de Rome, (1980-1982), 3 vol.
4. La Villa Médicis, A. Chastel (dir.). Académie de France àRome/École française de Rome, 1989-1991, 3 vol.
5. Voir l'article de Jean Guillaume dans ce catalogue.
6. Voir l'article de Floward Burns dans ce catalogue.
7. Voir aussi J. Guillaume, « André Chastel », Quinterni (Storia dell'arte e storia dell'architettura), F. Bardati (dir.), 2007, p. 28-30.
8. M. Fumaroli, préface de Le Présent des oeuvres : articles du Monde, Paris, Éd. de Fallois, 1993, p. 9.
9. A. Chastel, Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique, Paris, PUF, 1959.
10. E. Panofsky, « Idea, ein Beitrag zur Begriffsgeschichte der älteren Kunsttheorie », Studien der Bibliothek Warburg, Leipzig, Teubner, 5, 1924 (trad, it., Florence, 1954).
11. Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, XIII, p. 366 ; Bibliothèque d'Humanisme et de la Renaissance, XIX, 2,1957, p. 359.
12. Paris, Bibliothèque de l'INFlA, collections Jacques Doucet (Archives 90,244, 001).
13. Voir l'article de Carlo Pedretti dans ce catalogue.
14. A. Chastel, Le mythe delà Renaissance 1420-1520, Genève, Skira, 1969, p. 107.
15. Voir l'article d'Eva Renzulli dans ce catalogue.
16. « Cortile et théâtre », publié d'abord dans Le Lieu théâtral à la Renaissance, études réunies et présentés par J. Jacquot, Paris, CNRS, 1964, puis dans Fables, Formes, Figures, Paris, Flammarion, 1978,1, p. 429-438.
17. J. Ackerman, « The Belvedere as a classical villa », Journal of the Warbu rg and Courtauld Institutes, 14, 1951, p. 70-91 ; J. Ackerman, II cortile del Belvedere, Città del Vaticano, Biblioteca Apostólica Vaticana, 1954 (voir A. Chastel, « Travaux sur l'architecture italienne de la Renaissance », Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, XIX, 1957, p. 374).
18. Voir l'article d'Antonio Brucculeri dans ce catalogue.
19. Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 5, 1942, p. 1-33
20. Paris, Bibliothèque de l'INFïA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 348, 071). Brouillon de lettre de Chastel adressée à Richard Krautheimer, en date du 27 novembre 1974.
21. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 225 et 90, 226) ; voir nos notices dans ce catalogue. Nous renvoyons aussi à notre colloque II Sacco di Roma, sous la direction de G. M. Anselmi, S. Frommel, M. Ghelardi et A. Lemoine, les 12 et 13 novembre 2012, Académie de France à Rome, Villa Médicis.
22. Texte dactylographié, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 252) ; voir notre notice dans ce catalogue. L'article a été publié dans le Bollettino del CISA, 7, 1965, n°2, p. 11-22.
23. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 252, 006) ; voir notre notice dans ce catalogue.
24. Dans Palladio e il Palladianesimo. Atti del convegno/ Centro Internazionale di Studi di Architettura Andrea Palladio, Vicence, 1985 ( Bollettino del Centro Internazionale di Studi di Architettura Andrea Palladio, 22, 1980, n° 1, p. 33-46). À nouveau publié dans Palladiana, Paris, Gallimard, 1995.
25. Mélanges pour Gugliemo De Angelis d'Ossat, Rome (« Quaderni dell'Istituto di Storia dell'Architettura »), 1987, p. 321-322.
26. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 244,001).
27. A. Chastel, L'Art français. Temps modernes 1430-1620, nouv. éd., Paris, Flammarion, 2000, p. 134-135.
28. A. Chastel, Culture et demeures en France au xvf siècle, Paris, Julliard, 1989.
29. C. Chastel, « Trent'anni di studi palladiani al CISA », dans Andrea Palladio : nuovi contributi, Milan, Electa, 1990, p. 238-239.
30. R. Wittkower, « La cupola si San Pietro di Michelangelo : desame critico delle testimonianze contemporanee », Arte antica e moderna, 1962, p. 390-437, et Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet, (Archives 90,246,009)
31. Lettre d'Arnaldo Bruschi à Chastel du 28 décembre 1970, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,009, 033).
32. Voir la communication d'Adrien Goetz lors du récent colloque André Chastel (1912-1990). L'histoire de l'art et l'action publique (INHA/Collège de France, 29, 30 nov.1" déc. 2012). Voir aussi la préface de Marc Fumaroli dans A. Chastel, Reflets et regards : articles du Monde, Paris, Éd. de Fallois, 1992, p. 9-26.
33. Je remercie Marco Calafati de ces informations.
34. Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 183). Ce dessin a été fait par André Chastel lors d'une visite des Chambres de Raphaël au palais du Vatican en 1947.
35. Pendant la journée d'études Ricardo di Chastel le 12 décembre 2012 à Bologne (Centro Studi sul Rinascimento), Anna Maria Matteucci a évoqué une visite à Venise avec Chastel.
36. J'ignore si Chastel avait eu connaissance de la thèse de doctorat de Gombrich sur le Palazzo del Te.
André Chastel et Louis Hautecoeur. Points de vue sur Y Histoire de l'architecture classique en France
Enquêter en parallèle sur les parcours et les orientations d'André Chastel et de Louis Hautecoeur n'est pas évident. Il faut se mesurer à un décalage générationnel important (Chastel est né vingt-huit ans après Hautecoeur), à deux manières bien différentes de concevoir et d'écrire l'histoire de l'art ; et encore, à un accès aux sources déséquilibré, car la correspondance personnelle de Chastel, décédé il y a vingt-trois ans, est désormais consultable à la Bibliothèque de l'INHA, tandis que celle d'Hautecoeur demeure inaccessible à la Bibliothèque de l'Institut de France, quarante ans après sa mort. Et pourtant il s'agit de deux protagonistes de l'évolution de l'histoire de l'art en France, dont les parcours se sont déroulés simultanément dans les années qui vont du milieu des années 1940 à la fin des années 1960. C'est dans ces années-là qu'Hautecoeur achève l'Histoire de l'architecture classique en France, dont le projet éditorial remonte à l'entre-deux-guerres1. Il s'agit des mêmes années pendant lesquelles Chastel s'impose à travers l'interprétation renouvelée des relations entre les arts et l'humanisme à Florence aux temps de Laurent le Magnifique, qu'il diffuse par la publication de sa thèse2. Si tous les deux nouent un rapport important avec l'Italie dans les phases de leur formation - Hautecoeur consacrera sa thèse à Rome et la renaissance de l'Antiquité à la fin du xviiic siècle3 -, ce rapport se développe dans le cadre de contextes culturels différents et n'aura pas le même caractère déterminant dans l'évolution de leurs études. Aussi les relations tissées avec Henri Focillon par l'un et par l'autre n'auront-elles pas le même impact sur leurs approches de l'histoire de l'art et sur leurs carrières professionnelles4. Néanmoins, un important point commun existe : l'intérêt porté à l'histoire de l'architecture en tant qu'objet spécifique dans les études en histoire de l'art et la réflexion sur la nécessité et sur les modalités d'inventorier le patrimoine national qui va jusqu'à se traduire, chez Chastel, dans la création de l'Inventaire général5.
Chastel intervient d'ailleurs à maintes reprises lors de la sortie des tomes de l'Histoire de l'architecture classique en France ; on le retrouve parmi ceux qui réagissent en 1944 à la parution du premier tome de cet ouvrage ainsi qu'un quart de siècle plus tard, en 1968, lors de la sortie de la réédition revue et augmentée de ce premier tome. Si les précisions au sujet des limites de cette publication ne manquent pas, Chastel manifestera jusqu'au bout sa reconnaissance pour la « somme » publiée par celui qui, après les convocations au conseil d'enquête chargé d'examiner les cas des anciens fonctionnaires de l'administration des Beaux-Arts sous Vichy (1944-1945) et la nomination temporaire au musée d'Art et d'Histoire et à l'université de Genève (1946-1949), est désormais membre de l'Académie des Beaux-Arts depuis le 27 février 19526. Si en 1953 Chastel peut écrire que « chaque nouveau tome de la grande Histoire de M. Hautecoeur comble une sérieuse lacune et renouvelle, par la force de sa documentation, l'intérêt d'une période »7, quinze ans plus tard il confirmera qu'« il y a peu d'ouvrages d'érudition comparables à la vaste Histoire de l'architecture classique en sept tomes (1943-1957) de Louis Hautecoeur ; au long de ses cinq mille pages fourmillant de références, s'élève et baisse comme une houle la longue suite d'inventions et de modes qui ont inlassablement agi sur l'art de bâtir en France »*. Respectueuse déférence ou réel intérêt porté à un ouvrage centré sur l'architecture « comprise dans ses implications urbaines et décoratives », permettant d'évoquer des « faits de civilisation »9, proposant une « histoire technique, intellectuelle, sociale de l'architecture »10 ? Pour partielle qu'elle soit, une réponse à cette question parvient à travers les commentaires de Chastel lui-même à propos des tomes de l'Histoire de l'architecture classique, en resituant aussi ces commentaires dans le cadre plus large des appréciations exprimées sur l'oeuvre d'Hautecoeur dans les mêmes années.
Le baroque, facette du classique ou expression autonome de l'art français ?
La parution croisée du premier tome de l'Histoire de l'architecture classique en France de Hautecoeur en 1943 et d'un petit essai de Chastel, en 1944, consacré au « baroque français »n, fournit un élément de réflexion majeur quant à la discontinuité entre l'approche historiographique de l'un et l'interprétation historique de l'autre. Plaçant au centre de la discussion la notion de « baroque » de manière problématique12, Chastel passe au crible le concept d'architecture classique véhiculé par Hautecoeur à travers la définition d'un cycle historique englobant quatre siècles d'architecture française dont le premier tome de l'Histoire n'est que le point de départ. Le 26 juin 1944 Chastel envoie en hommage « à M. Louis Hautecoeur » s'apprêtant à donner un cycle de conférences à l'École pratique des hautes études13, un exemplaire de son « essai trop rapide sur un âge de l'architecture française qu'il a magistralement éclairé »14. Mais dans les pages de ce même essai, Chastel met à nu les failles d'une interprétation de l'idée de baroque à son sens trop rapidement réglée par l'auteur de l'Histoire de l'architecture classique. Il ne nie pas l'apport du premier tome de cette Histoire, consacré à « la formation de l'idéal classique », puisqu'« il n'existait aucun ouvrage en français qui embrassât correctement ce sujet »15. Il apprécie le tableau dressé par Hautecoeur sur l'architecture civile du début du xvif siècle et salue sa « sûreté de l'érudition qui saisit le détail à sa place »16. Il souligne l'importance accordée à l'analyse du décor dans les façades, en tant que lieu où « se marque le mieux le conflit des styles », jusqu'au détail de l'étude de cas, que ce soit le portail de l'Hôtel de Vogüé, à Dijon, ou la Bourse de Lille. Mais il se démarque de la vision bipolaire que l'Histoire de l'architecture classique propose et dont la période des règnes d'Henri IV et de Louis XIII est prise à témoin. La « figure à double visage », voire la « divinité "bifrons" » à laquelle Hautecoeur compare l'architecture de cette période17 s'oppose à la vision plus complexe que Chastel réclame.
« Cette vue », écrit-il, « rappelle un peu l'artifice par lequel les histoires de la littérature croient pouvoir ménager une transition continue entre l'humanisme poétique de la Renaissance et l'effort du classicisme ; l'époque intermédiaire est un règne incertain où, en dépit d'une mode italianisante et "baroque", mûrissent les principes de l'art. Mais c'est contre cette confusion radicale de l'ordre esthétique et de l'ordre historique qu'il faut rétablir l'idée d'un "baroque français", sans laquelle la suite des créations, les reflux du goût et du mauvais goût, la maturation même du classicisme, ne se comprennent pas intimement. C'est précisément la coexistence de deux esthétiques à l'intérieur d'une même oeuvre, ou dans une même époque, qui trahit la présence du "baroque". [...] Ce baroque français en architecture, la savante histoire de M. Hautecoeur ne l'analyse pas dans son originalité, elle ne l'"isole" pas de la confusion des traditions et des idées architectoniques, [...] [même si] elle permet par l'abondance des documents et la clarté de l'information de le définir enfin »18.
Hautecoeur ne se reconnaît pas dans cette prise de position. En justifiant son choix de ne pas avoir défini « l'esprit baroque » dans le premier tome de son Histoire19, il finit pourtant par confirmer les caractères de sa construction diachronique-bipolaire, qui se rapproche de l'esthétique qu'Eugenio d'Ors définit dans son essai Du Baroque en 1935 et par rapport à laquelle Hautecoeur ne prendra de manière explicite les distances que dans les années 195020. Chastel, lui, les prendra dès 1944 en saisissant dans l'essai de d'Ors le lieu où « cette généralisation de l'idée de baroque s'est le mieux manifestée, avec la plus agréable et la plus dangereuse fantaisie »2I. De plus, dès cette époque Chastel partage cette orientation avec d'autres auteurs qui néanmoins se joignent, dans les mêmes années, aux éloges adressés à la publication d'Hautecoeur. Ses échanges épistolaires avec Pierre du Colombier, auquel en 1944 Chastel a également envoyé son étude sur le baroque français22, sont éclairants. Du Colombier réfute toute extension du terme « baroque » dans l'interprétation de l'art français, en évoquant la dichotomie entre ancrage esthétique et ancrage chronologique : « "baroque" désigne-t-il un esprit ou "baroque" désigne-t-il une période ? C'est bien compliqué »23 ; aussi, ses propos au sujet de d'Ors ne sont pas des plus flatteurs24. Chastel n'hésite pas d'ailleurs à rechercher et à indiquer les traces d'une possible différente interprétation des faits parmi les écrits qui, dans l'entre-deux-guerres, ont jeté un éclairage sur l'art du xviF siècle en France. Dans cette perspective il cite le volume que René Schneider consacre à l'art français de cette période25.
Tandis qu'au lendemain de la guerre les comptes rendus de Chastel des tomes de l'Histoire de l'architecture classique en France se poursuivent et expriment toujours son appréciation, Chastel lui-même sera le destinataire, au début des années 1960, de lettres au ton tranchant à propos de l'historiographie de l'architecture du xviic siècle en France. Alors qu'en janvier 1963 il est en train de préparer un cours sur l'histoire de l'architecture française au xviF siècle, Willibald Sauerländer met au courant Chastel des difficultés qu'il rencontre à réunir une bibliographie satisfaisante sur le sujet. Sa critique virulente vise l'Histoire de l'architecture classique en France - « je ne savais pas que Hautecoeur est tellement (sans conception aucune) mauvais et tellement comblé d'erreurs »26-, ainsi que les écrits d'Anthony Blunt sur François Mansart, notamment au sujet des relations entre l'oeuvre de ce dernier et celle de Salomon de Brosse27. Sauerländer cible d'ailleurs globalement l'historiographie française : « Je trouve avec tout mon respect soit-il dit, le nouveau livre de Ganay sur Le Nôtre particulièrement maigre. C'est encore de la petite histoire plus un catalogue - ce qui manque est l'histoire de l'art. Le grand problème est quand même le même qu'avec Hautecoeur. On n'étudiera pas le 17e siècle dans l'architecture française sans une connaissance profonde et scientifique de l'Italie »28. Cette « connaissance profonde et scientifique » puise ses racines dans la compréhension de l'architecture italienne du XVIe siècle, qui dès les années 1950 fait l'objet d'un renouvellement massif des études à l'étranger, ce qu'attestent par exemple les travaux de James Ackerman sur la cour du Belvédère à Rome (1954) et sur l'architecture de MichelAnge (1961 )29. On ne peut donc pas se limiter au constat du retard par lequel se concrétise le projet éditorial d'Hautecoeur, par ailleurs enraciné dans la pensée historiographique française du dernier quart du XIXe siècle, mais il faut davantage considérer, de manière plus générale, les apories de l'historiographie de l'art en France au moment où ce projet se réalise : l'Histoire de l'architecture classique demeure la seule référence notable dans le domaine de l'histoire de l'architecture française des temps modernes, au moins jusqu'à la parution de l'édition revue et augmentée du premier tome, au milieu des années I96030.
Le cycle historique de l'architecture classique et le regard inédit sur le xix6 siècle
Depuis le début des années 1950 Chastel a néanmoins compris que l'oeuvre d'Hautecoeur obéit à la logique de la construction d'un tableau d'ensemble. Les termes de la réception de l'ouvrage L'Architecture française qu'Hautecoeur publie en 1950 sont significatifs à ce sujet31. Chastel évoque l'habileté double de l'auteur, « imbattable dans les détails précis d'érudition » et dépositaire du « don des exposés généraux ». L'Architecture française est définie comme un « aperçu net et substantiel », ayant « le mérite de traiter à la fois des monuments et des maisons, de replacer les styles successifs dans les constantes de la géographie humaine »32. Ce jugement trahit le sens le plus profond de l'admiration que Chastel nourrit pour le travail d'Hautecoeur : il pointe la capacité de regarder globalement le développement de l'architecture française, capacité que la dimension du précis exalte33, mais qui est également sous-jacente à l'Histoire en plusieurs tomes.
Le « Grand Traité de Hautecoeur », comme Chastel le définira dans le bilan critique qu'il livre en 1958, une fois paru l'ensemble des sept tomes de l'Histoire de l'architecture classique en France, est présenté comme « une espèce de monument » qui permet de « détailler, commenter, préciser par le menu et finalement présenter en bon ordre l'extraordinaire activité de ces quatre siècles (1500-1900) qui vont de Louis XII au président Fallières »34. C'est dans cette dimension éditoriale encyclopédique que le dessein historique de l'auteur se déplie :
« Mr Hautecoeur excelle dans la narration directe, nerveuse et animée de mille indications précieuses, qui restitue par exemple, la diffusion d'un modèle, le développement d'un quartier (ainsi le pullulement rapide des hôtels du faubourg Saint-Germain sous le règne de Louis XIV, tome III), les vicissitudes d'une carrière aventureuse (comme celle de Bélanger, l'auteur des "folies" pondères de la fin du xviiP siède, tome V), la formation et le succès d'une doctrine (celle de J.-F. Blondel, tome IV ; de Viollet-le-Duc, tome VII). Ces pages sont et resteront des modèles du genre ; on n'attachera pas moins de prix à celles qui exposent, avec une étonnante dextérité dans le jeu des références, les types de charpentes anciens, l'emploi des lucarnes, la forme des toits, l'aménagement des escaliers, l'ordonnance des ponts, des théâtres, des fontaines... Les fiches s'abattent souvent avec le brio et la rapidité d'un tour de cartes, que nul ne saurait imiter »35.
Ce « déroulement des types, des techniques, des doctrines » et le « défilé des architectes » qui l'accompagne permettent à Chastel d'évoquer l'idée d'une « sociologie concrète des modalités de la vie française » se dégageant de l'Histoire de l'architecture classique et dont les potentialités auraient pu inspirer non seulement un Jules Michelet, mais aussi un Marc Bloch ou un Lucien Febvre36. C'est d'ailleurs l'examen des moyens constructifs et de l'organisation professionnelle qui constitue pour Chastel un aspect fondamental et permanent de l'ouvrage d'Hautecoeur : ainsi s'imposent-elles, vis-à-vis de 1'« évolution irrésistible des besoins et des formes », ces « constantes du métier » qui sont à la base du profil du concepteur d'architecture française : « un constructeur pour qui la rigueur du calcul et les exigences de la sensibilité ont un point de convergence précis et qui cherche là ses réussites », comme Chastel l'affirme en reprenant une citation d'après JeanFrançois Blondel dans le troisième tome de l'Histoire de l'architecture classique37.
Dans cet ouvrage, l'aptitude d'Hautecoeur à une lecture de synthèse des phénomènes liés à l'architecture prévaut sur toute analyse ponctuelle de processus de conception et de réalisation des édifices abordés, quoique Chastel puisse remarquer les « jugements circonstanciés qu'Hautecoeur porte par exemple sur le château de Vaux-le-Vicomte ou l'Opéra de Garnier »38. Cette aptitude à une lecture de synthèse est un aspect encore très largement reconnu et fédérateur - à la fois en tant que qualité et limite - lors des dernières réactions à l'édition revue du tome I de l'Histoire dans et hors les frontières nationales, y compris celle de Chastel. C'est à Hautecoeur « cher monsieur et maître », que Chastel s'adresse le 23 février 1964 pour le remercier de l'envoi de la nouvelle édition de la première partie du premier tome de l'Histoire de l'architecture classique39 : « Je dois vous dire », écrit-il, « que la richesse et l'agilité du texte sont plus remarquables encore que dans la première version. Le renouvellement du sujet est passionnant. Je me suis déjà permis d'y faire allusion dans une petite conférence que je donnais vendredi à la S.F.A. »40. Parmi les lettres de remerciement qu'Hautecoeur reçoit à l'époque, les mots de Chastel accompagnent non seulement la réaction amicale de collègues d'Hautecoeur tels que Pierre Lavedan, François Gebelin ou Yvan Christ41, mais aussi l'expression de points de vue extérieurs (et révélateurs), tels que celui qui paraît dans le RIBA Journal en novembre 1966 : si « the reader who expects to find a full description of particular building in one place will in general be disappointed », cela n'empêche pas de lire tout d'abord que « no serious student of French classical architecture can afford to ignore Hautecceur's history, for it has no rival in comprehensiveness and no superior in scholarship » et que « criticism on either grounds is therefore an impertinence »42. Huit ans plus tôt, dans son bilan sur l'ensemble des sept tomes, Chastel avait déjà ébauché le portrait d'un Hautecoeur « étonnamment familier avec les données de tous genres qu'engage l'architecture », même si cela ne comporte pas des développements systématiques :
« Il y circule [dans ces données] à plaisir et, si l'on peut dire, il conduit vite. Comme tous les bons chauffeurs, il n'annonce pas toujours l'itinéraire et il ne s'arrête pas toujours où l'on voudrait. Mais enfin le sujet est organisé, ramifié, vivifié ; et il sera possible de procéder aux analyses, de chercher les liaisons qui approfondiront les problèmes proprement artistiques »43.
Si l'absence de présentation approfondie des projets et des bâtiments évoqués va de pair avec l'incapacité d'Hautecceur de saisir « l'intention spécifique », au-delà de l'oeuvre architecturale en tant qu'« expression psychologique de chaque âge et de chaque société », la synthèse qu'il propose procède d'une collecte raffinée et scrupuleuse des sources, « un dépouillement méritoire des études souvent minuscules mais précieuses, multipliées depuis un siècle par les sociétés d'érudition locale »44.
Par ailleurs, c'est davantage dans le domaine de l'architecture de la fin du xvme siècle et du xixc siècle que le jugement de Chastel saisit la contribution la plus novatrice de l'Histoire de l'architecture classique. Chastel attire l'attention sur l'éclairage porté sur ces architectes « révolutionnaires » tels que Claude Nicolas Ledoux, qui, dès les années 1930 avaient été rapprochés de la modernité d'un Le Corbusier45, dont l'oeuvre est maintenant replongée dans une perspective historique profonde, dans ce paysage artistique et culturel qu'Hautecoeur avait commencé à brosser au début des années 1910, par ses recherches sur le nouveau regard des architectes sur l'Antiquité à la fin du xviiP siècle et sur le style Empire46. Mais surtout, Chastel souligne l'attention portée à l'architecture du xixe siècle, à laquelle Hautecoeur, en véritable pionnier, s'était intéressé depuis ses contributions pour l'Histoire de l'art dirigée par André Michel (1925-1926)47. Le positionnement de Chastel le replace dans un contexte international. Ses appréciations sur l'architecture française du XIXe siècle vue par Hautecoeur sont sans doute comparables aux positions que des historiens de l'architecture étrangers tels que Peter Collins vont exprimer. Son ouvrage Changing ideals in Modem architecture. 1750-1950 secouera dans les années 1960 la lecture généalogique de l'architecture du xixe siècle visant à légitimer le mouvement moderne, gravée par les récits historiques d'entre-deux-guerres publiés par Sigfried Giedion ou Nikolaus Pevsner48. Envoyant le 14 mai 1956 à Hautecoeur son compte rendu du sixième tome de l'Histoire de l'architecture classique, Collins affirme que « [c']est toujours un grand plaisir pour moi de pouvoir ainsi rendre hommage au Maître qui, par ses écrits, m'a tant appris sur la plus belle époque de l'architecture européenne »49. Commentant l'année suivante la sortie du septième et dernier tome de l'Histoire de l'architecture classique, consacré à « la fin de l'architecture classique. 1848-1900 », Chastel peut enfin saluer « la complexité de l'architecture "classique" (...) essentielle à l'art français » et souligner comment dans ce dernier tome « qui aborde le secteur le plus ingrat du xixe siècle », on constate en quelque sorte sa décomposition « en une série de tendances qui donneront l'ancienne gare de Lyon, le Palais Longchamp à Marseille, l'Hôtel central des Postes à Paris ou le château de Chantilly »50, jusqu'à évoquer la définition, chez Hautecoeur, de cette catégorie interprétative qu'est 1'« éclectisme », pour discutable qu'elle soit51. C'est dans le cadre d'une étude inédite des phénomènes de l'éclectisme et des historicismes en architecture que Chastel situe entre autres la « revalorisation inattendue de l'oeuvre de Viollet-le-Duc (...) placé en tête de l'école qui ne vise pas à imiter les formes gothiques, mais à "appliquer leur système à la construction moderne" et à établir "une sorte de concordance entre la structure des églises des XIIIe et XIVe siècles et celle des bâtiments métalliques" »52. C'est aussi dans ce cadre qu'il applaudit à la mise en perspective historique de diverses réalisations liées à l'Exposition universelle de Paris, en 1889, telles que le Palais des Beaux-Arts ou la Galerie des Machines. « M. Hautecoeur et B. Zevi », précise Chastel, « nomment [cette dernière, l'oeuvre de] Contamin [alors que] S. Giedion et d'autres auteurs [l'attribuent à] Cottancin »53 : un complément d'information qui n'est pas anodin et qui nous semble souligner en réalité, à travers et au-delà du rapprochement avec Bruno Zevi, l'écart et l'épaisseur qui marquent l'enquête sur le XIXe siècle menée par l'auteur de l'Histoire de l'architecture classique.
Pour conclure et répondre à notre question de départ, on constate un réel intérêt porté à l'ouvrage d'Hautecoeur, qui apparaît en filigrane et se construit à travers les diverses positions exprimées au fur et à mesure par Chastel. Il s'agit d'un intérêt qui ne se traduit pas de façon linéaire ou exclusive dans des convergences ou des divergences, mais qui comprend les deux, à travers des comptes rendus et des échanges épistolaires témoignant d'accords mais aussi de perplexités, avec une prise de distance méthodologique qui s'affiche dès 1944 et, pourtant, une admiration qui progresse incontestablement au fil de la parution des tomes de l'Histoire de l'architecture classique en France. Ses points de force résident dans l'attention à quelques traits essentiels : la valeur d'un ouvrage qui comble un énorme vide dans l'historiographie architecturale française ; l'esprit de synthèse gouvernant le projet historique d'Hautecoeur, avec ses atouts et ses faiblesses ; son apport généreux mais aussi brut d'informations inédites, pourtant non négligeable pour toute élaboration successive, aussi avec ses imprécisions.
Antonio Brucculeri
École pratique des hautes études
École nationale supérieure d'architecture Paris-Val de Seine
Je remercie Sébastien Chauffour, ainsi que Marco Calafati et Eva Renzulli, pour l'aide précieuse dans mes recherches dans les archives d'André Chastel.
1. Voir A. Brucculeri, Du dessein historique à l'action publique. Louis Hautecoeur et l'architecture classique en France, Paris, Picard, 2007, en particulier p. 112-118. Sur la conception historiographique de l'architecture française chez Hautecoeur, voir aussi A. Brucculeri (dir.), Louis Hautecoeur et la tradition classique, Paris, INHA, 2008.
2. A. Chastel, Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique, Paris, PUF, 1959, publication à partir de la thèse d'État soutenue par l'auteur en 1950.
3. L. Hautecoeur, Rome et la Renaissance de l'Antiquité à la fin du xvnf siècle, Paris, Fontemoing, 1912.
4. Hautecoeur a des échanges épistolaires avec Focillon dès son arrivée à Rome au palais Farnèse, en 1909, et c'est avec Focillon, préparant une thèse sur Jean-Baptiste Piranèse, qu'il se confronte au moment du choix de son propre sujet de thèse. Voir A. Brucculeri, Du dessein historique à l'action publique..., op. cit., p. 69-80. Sur les relations entre Chastel et Focillon, voir la récente communication de M. Passini, « André Chastel et Henri Focillon. Communautés savantes et mémoire disciplinaire » au colloque André Chastel (19121990). L'histoire de l'art et l'action publique, INHA/Collège de France, 29, 30 nov.-l"déc. 2012.
5. L'intérêt porté à l'architecture n'est pas d'ailleurs sans renvoyer à l'héritage de Focillon. Voir A. Thomine, « L'enseignant. Quelques idées ont autant de facettes que les yeux des papillons », dans Ch. Briend et A. Thomine (dir.), La vie des formes. Henri Focillon et les arts, Paris, Snoeck, 2004, p. 161. Pour une lecture des dynamiques et des enjeux qui caractérisent la naissance de l'Inventaire général, voir X. Laurent, Grandeur et misère du patrimoine : d'André Malraux à Jacques Duhamel, 1959-1973, Paris, École des Chartes, 2003, notamment p. 215-239. Une intervention d'Isabelle Balsamo, « André Chastel et la France : science et poésie de l'Inventaire général », a abordé plus spécialement le sujet lors du colloque André Chastel (1912-1990). L'histoire de l'art et l'action publique.
6. H sera nommé secrétaire perpétuel de l'Académie des Beaax-Arts trois ans plus tard, le 22 juillet 1955. Voir les repères biographiques dans A. Brucculeri, Du dessein historique à l'action publique..., op. cit.,p. 391-395, notamment p. 395.
7. A. Chastel, « La fin du xviiic siècle en France », Le Monde, 2 janvier 1953, coupure de presse, Bibliothèque de l'Institut de France (dorénavant BIF), Papiers L. Hautecceur, ms. 6927, f. 410.
8. A. Chastel, « Une somme. "Histoire de l'architecture classique en France" de Louis Hautecceur », Le Monde, 15 juin 1968, p. VI.
9. Ibid.
10. A. Chastel, « Défense et illustration de l'architecture française », Le Monde,22 août 1958, rééd. dans A. Chastel, Architecture et patrimoine : choix de chroniques du journal « Le Monde », textes réunis et annotés par D. Hervier et Ch. Lorgues-Lapouge, Paris, Imprimerie nationale, 1994, p. 115-120.
11. L. Hautecceur, Histoire de l'architecture classique en France, I, La formation de l'idéal classique. 1° La Renaissance ; 2° L'Architecture sous Henri TV et Louis XIII, Paris, A. Picard, 1943,2 vol. ; A. Chastel, Sur le baroque français, dans F. Léger, la Fin de la Ligue (1589-1593), suivi de Trois études sur le seizième siècle, par Ph. Ariès, A. Chastel, R, Charmet, Paris, Les Éditions de la Nouvelle France, 1944, Cahiers de la restauration française, n° 4, p. 177-214, exemplaire envoyé par Chastel à Hautecceur : BIF, Papiers L Hautecceur, ms. 6927, f. 370-392.
12. Seulement trois ans plus tôt, Chastel était en contact avec Wölfflin, au sujet de la traduction en français de son ouvrage sur Albrecht Dürer, comme l'attestent les échanges épistolaires entre Wölfflin et Chastel du 2 novembre et du 28 décembre 1941, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 019, 120).
13. Hautecceur sera directeur d'études à l'École pratique des hautes études entre juillet 1944 et février 1945, lorsqu'il assurera un cycle de conférences sur « la mystique et l'architecture », qui donnera lieu à son ouvrage : Mystique et architecture : symbolisme du cercle et de la coupole, Paris, A. et J. Picard et Ck, 1954.
14. Voir l'exemplaire envoyé par Chastel à Hautecceur : BIF, Papiers L. Hautecceur, ms. 6927, f. 370.
15. Ibid.,1. 387 r (p. 285).
16. Ibid., f. 387 v (p. 286).
17. « L'architecture sous Henri IV et Louis XIII [...] participe au grand monument baroque, qui agite l'Italie et les Handres [...]. Mais ce temps est aussi celui de Malherbe et de Descartes ». L. Hautecceur, L'Architecture sous Henri IV et Louis XIII, op. cit., p. 838, cité dans A. Chastel, Sur le baroque français, op. cit., BIF, Papiers L. Hautecceur, ms. 6927, f. 388 r (p. 207).
18. Ibid.
19. Voir la lettre de Hautecceur à Chastel du 26 juin 1944, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 013, 036). Hautecceur semble ne pas saisir ou ne pas vouloir saisir la plus profonde raison de la critique que lui adresse Chastel : « Vous me reprochez de ne pas avoir voulu définir l'esprit baroque : je n'ai pas voulu inclure dans ce premier tome des considérations que j'aurais répétées dans le second ».
20. E. d'Ors, Du Baroque, Paris, Gallimard, 1935 et L Hautecceur, L'art baroque, Paris, Club français de l'art, 1954, p. 9. À ce sujet voir A. Brucculeri, Classico e barocco, categorie oltre gli stili : Eugenio d'Ors e Louis Hautecceur, interpretazioni a confronto nel contesto frúncese, dans S. Frommei et A. Brucculeri (dir.), L'idée du style dans l'historiographie artistique, Rome, Campisano, 2013 (sous presse), p. 321-334, notamment p. 332, note 39.
21. A. Chastel, Sur le baroque français, op. cit., BIF, Papiers L. Hautecceur, ms. 6927, f. 375 v (p. 182).
22. Pierre du Colombier publie en 1941 un petit volume intitulé Le style Henri IV-Louis XIII (Paris, Larousse, 123 p.). Voir aussi son compte rendu du premier tome de l'Histoire de l'architecture classique en France : P. du Colombier, « La formation de l'architecture classique », Comoedia, 3 avril 1943, coupure de presse, BIF, Papiers L Hautecceur, ms. 6927, f. 355.
23. Lettre de Pierre du Colombier à Chastel, 20 juin 1944, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 010, 073).
24. Ibid. : « Est-ce parce qu'Eugenio d'Ors est un des êtres qui me tapent le plus violemment sur les nerfs ? » ajoute Pierre du Colombier dans sa lettre à Chastel lorsqu'il lui annonce son opposition à l'extension du mot « baroque ».
25. R. Schneider dans L'art Jrançais, xvif siècle (16101690), Paris, Laurens, 1925, rééd. en 1939, p. 12 affirme l'existence d'un « baroque français ».
26. Lettre de Willibald Sauerländer à Chastel, 7 janvier 1963, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,018,027).
27. Voir A. Blunt, François Mansart and the Origins of French Classical Architecture, Londres, The Warburg Institute, 1941.
28. Lettre de Sauerländer à Chastel, 24 janvier 1963, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,018, 027). Allusion est faite au volume d'E. de Ganay, André Le Nostre (1613-1700), Paris, Vincent, Fréal &Cc, 1962.
29. Voir J. S. Ackerman, The Cortile del Belvedere, Città del Vaticano, Biblioteca Apostólica Vaticana, 1954 ; id., The Architecture of Michelangelo, Londres, Zwemmer, 1961.
30. Voir le jugement qu'en 1989, Jean-Marie Pérouse de Móntelos porte encore sur l'Histoire de l'architecture classique en France en tant que « monument d'érudition ». Voir J.-M. Pérouse de Móntelos, Histoire de l'architecture française de la Renaissance à la Révolution, Paris, Mengès, 1989, cité dans A. Brucculeri, Du dessein historique à l'action publique..., op. cit., p. 23.
31. L. Flautecoeur, L'Architecture française, Paris, Boivin, 1950.
32. A. Chastel, « Problèmes d'architecture », Le Monde, 15 février 1951, coupure de presse, BIF, Papiers L. Hautecoeur, ms. 6935, f. 34, dté dans A. Brucculeri, Du dessein historique à l'action publique..., op. cit., p. 146.
33. Hautecoeur avait déjà publié un précis consacré à l'histoire de l'architecture de la Renaissance à nos jours en 1941. Voir L. Hautecoeur, L'Architecture française de la Renaissance à nos jours, Paris, Les éditions d'Art et d'Histoire, 1941. Sur le rôle du précis dans la construction historique d'Hautecoeur, voir A. Brucculeri, Du dessein historique à l'action publique..., op. cit., p. 126-148.
34. A. Chastel, « Défense et illustrations de l'architecture française », op. cit., p. 115-116.
35. Ibid., p. 117.
36. Ibid., p. 116.
37. Ibid.
38. Ibid., p. 117.
39. Le tome I, paru en 1943, se présente maintenant en deux tomes (de deux volumes chacun), qui paraissent toujours chez Picard, respectivement en 1963 et en 1967.
40. Lettre de Chastel à Hautecoeur, 23 février 1964, BIF, Papiers L. Hautecoeur, ms. 6927, f. 583. La correspondance entre les deux se prolonge jusqu'au seuil des années 1970. Voir les lettres de Hautecoeur à Chastel du 12 juillet 1967, 20 juillet 1968,9 août 1970,12 mai 1971,31 août [1971], Bibliothèque de l'INFIA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 013, 036 et 90, 006, carnet n° 2).
41. Voir BIF, Papiers L. Hautecoeur, ms. 6927, lettres de Gebelin, 12 juillet 1963 (f. 581) ; de Christ, 16 février 1964 (f. 582) ; de Lavedan, 10 mai (1964) (f. 585).
42. Exemplaire dactylographié du compte rendu paru dans RIBA Journal, novembre 1966, BIF, Papiers L. Hautecoeur, ms. 6927, f. 537.
43. A. Chastel, « Défense et illustration de l'architecture française », op. cit., p. 117.
44. Ibid., p. 116.
45. Voir E. Kaufmann, Von Ledoux bis Le Corbusier: Ursprung und Entwicklung der Autonomen Architektur, Vienne, Passer, 1933.
46. A. Chastel, « La fin du xvmc siècle en France », op. cit. Voir L. Hautecoeur, Rome et la Renaissance de l'Antiquité..., op. cit. ; id., « Les Origines de l'art Empire », Revue des études napoléoniennes, III, mars-avril 1914, p. 145-161 et id., « Études sur l'art du Premier Empire », Revue des études napoléoniennes, juillet-août 1914, p. 122-137.
47. Id., « L'Architecture en France de 1789 à 1850 », dans A. Michel (dir.), Histoire de l'art depuis les premiers temps chrétiens jusqu'à nos jours, Paris, Colin, 1905-1929, 9 t. (18 vol.), VIII, vol. 1 (1925), p. 1-44; ¿¿^«L'Architecture en France de 1850 à nos jours », ibid., VIII, vol. 2 (1926), p. 473-507.
48. P. Collins, Changing ideals in Modem architecture 1750-1950, Londres, Faber & Faber, 1965, trad. fr. : L'architecture moderne -.principes et mutations, 17501950, Marseille, Parenthèses, 2009.
49. Lettre de Peter Collins à Hautecoeur, 14 mai 1956, BIF, Papiers L. Hautecoeur, ms. 6927, f. 580.
50. A. Chastel, « Chroniques. L'architecture du XIXe siècle », Médecine de France, [1957], coupure de presse, BIF, Papiers L. Hautecoeur, ms. 6927, f. 456-458.
51. « À juste titre péjoratif mais susceptible de bien des aspects divers », dans A. Chastel, « Chroniques. L'architecture du XIXe siècle », op. cit., f. 457.
52. Ibid., f. 457 v. Chastel remarquera, huit ans plus tard, l'exposition organisée à l'hôtel de Sully par P.-M. Auzas pour la Caisse des Monuments historiques. Voir A. Chastel, « Un grand esprit du siècle dernier : Viollet-le-Duc », Le Monde, 21 mai 1965, réimpr. dans A.Chastel, Architecture et patrimoine : choix de chroniques, op. cit., p. 161-165.
53. Id., « Chroniques. L'architecture du XIXe siècle », op. cit., f. 457 v.
Les colloques de Tours Une vision européenne de l'architecture de la Renaissance
Le Centre d'études supérieures de la Renaissance, créé en 1956, avait acquis dès la fin des années soixante une réputation internationale grâce aux colloques d'études humanistes organisés en juillet, qui avaient pour objet l'étude de la culture intellectuelle de la Renaissance dans toute l'Europe. Toutefois, les arts n'y avaient guère de place et l'on chercha à combler cette lacune. En 1970 un poste de maître-assistant d'histoire de l'art fut créé et je fus choisi pour l'occuper, avec le soutien de mon directeur de thèse.
Cette nomination créait une situation nouvelle. Chastel, qui avait vu comment fonctionnaient les colloques d'été, comprit que le Centre pourrait lui permettre de réaliser un projet qui lui tenait à coeur : réunir les historiens de l'architecture moderne de l'université, du CNRS et de l'Inventaire général dans des journées d'études où ils pourraient présenter leurs travaux et confronter leurs expériences avant de participer à des excursions qui leur feraient découvrir la région. La communauté de travail qu'il avait réussi à créer à Paris avec le « Centre de recherche sur l'architecture moderne »', le CRHAM, devenu aujourd'hui, par extensions successives, le « Centre Chastel » de l'université Paris-Sorbonne, pourrait ainsi s'étendre à toute la France et même plus loin puisque les amis étranger travaillant sur notre architecture seraient invités à ces réunions - à leurs frais bien entendu puisque nous ne pouvions pas payer voyages ni hôtels mais seulement quelques déjeuners (excellents) dans la salle à manger du Centre...
Nous avons donc organisé à Tours en 1973 les premières « Journées d'études sur l'architecture française » moderne qui eurent pour thème « le château à la Renaissance ». Ce fut une réussite : une trentaine de participants dont deux étrangers, Rosalys Coope et Volker Hoffmann qui venaient de publier leurs travaux sur Salomon de Brosse et le château d'Écouen. Chastel était ravi et nous étions tous heureux de lui présenter nos recherches qu'il fit paraître l'année suivante dans deux numéros de L'Information d'histoire de l'art. Tous les participants souhaitèrent que cette réunion à la fois savante et amicale ait une suite. En fait, elle en eut deux. On décida à la fin des « journées » que les suivantes auraient lieu à Bordeaux et qu'elles seraient dédiées au néoclassicisme. En même temps apparut l'idée que le petit groupe des spécialistes de la Renaissance pourrait se retrouver à Tours, deux semaines après les journées de Bordeaux, pour y tenir une « table ronde » sur un sujet précis - la galerie et ses origines - qui venait de faire l'objet d'un livre de Wolfram Prinz publié en Allemagne.
La « table ronde », rebaptisée entretemps « colloque », eut lieu en avril 1974 avec seize participants dont quatre étrangers. W. Prinz y découvrit la galerie du Plessis-Bourré (Maine-et-Loire) et R Coope y conçut l'idée d'une recherche sur les galeries anglaises qui aboutit dix ans plus tard.
Ce succès nous incita à reprendre cette formule les deux années suivantes avec un sujet plus stylistique, le traitement des façades, qui attira de nouveaux collègues étrangers venus parler des créations italiennes, espagnoles et hongroises. Parallèlement, les troisièmes « Journées d'études sur l'architecture française » eurent lieu à Aix-en-Provence, organisée par Jean-Jacques Gloton, mais ce furent les dernières : personne ne prit le relais et Chastel ne chercha pas à les relancer : son intérêt se concentrait désormais sur ce qu'on commençait à appeler, en France et à l'étranger, les « colloques de Tours »2.
Ceux-ci ont changé d'échelle en 1977. Nous avions choisi comme thème la maison de ville à la Renaissance parce que ce sujet intéressait beaucoup les chercheurs de l'Inventaire général, mais au lieu de nous préoccuper avant tout de la France comme nous l'avions fait jusqu'alors, nous avons décidé d'étudier l'ensemble de l'Europe. Une douzaine de collègues étrangers ont accepté de venir, bien que nous ne fussions toujours pas capables de leur offrir le voyage. L'intérêt éveillé par les précédentes réunions, la publicité faite par les participants enchantés de leur séjour à Tours et plus encore le prestige d'Arndré Chastel et son réseau de relations expliquent que nous ayons pu ainsi étendre d'année en année notre cercle3. C'est à la suite de ce cinquième colloque, le premier vraiment international, que nous avons décidé de créer chez Picard une collection destinée à les publier, « De architectura », où La maison de ville parut en 1983. Début modeste car ce livre et le suivant furent composés à Tours sur des machines à écrire afin de réduire les coûts.
La suite de l'histoire est bien connue. Il suffit de regarder les sommaires des volumes de la collection « De architectura » pour voir qu'à partir du colloque de 1979 consacré à l'escalier dans l'architecture de la Renaissance, sujet cher à Chastel qui en avait le premier vu l'importance, les deux-tiers des exposés concernent l'Europe et que les trois-quarts des intervenants sont des étrangers parlant anglais, italien, espagnol, allemand et aussi français : la diversité des langues n'a jamais été un obstacle à nos échanges.
Par une sorte de développement naturel, non prévu au départ, les « journées d'études » de 1973 se sont donc transformées en colloques d'histoire comparée de l'architecture européenne auxquels ont participé les meilleurs spécialistes de chaque pays, heureux de se retrouver autour de Chastel, dans un cadre extrêmement agréable, et de participer à une réunion où une grand place était laissée aux discussions, à un vrai dialogue entre les chercheurs. J'ai dit tout à l'heure que les premières réunions avaient été savantes et amicales. Il est remarquable qu'elles aient conservé ce caractère quand les participants sont devenus plus nombreux et plus illustres. Beaucoup sont d'ailleurs devenus des fidèles avec lesquels nous choisissions le sujet du prochain colloque, ouvrant ainsi chaque fois un champ de recherche qui répondait à une attente.
Le plaisir que nous avions à travailler ensemble quelques jours tous les deux ans explique qu'une idée nouvelle soit apparue en 1984 : Bruno Tollon proposa d'organiser l'année suivante, année sans colloque, un voyage d'étude de quatre jours dans la région de Toulouse. L'expérience fut si réussie que nos amis anglais proposèrent de la renouveler chez eux en 1987. Ce fut notre premier voyage à l'étranger à la découverte de l'architecture européenne et nous en conservons tous un merveilleux souvenir : Chastel était tellement heureux de revoir les châteaux anglais sous un soleil radieux et de patronner ce développement international de nos activités, dernier avatar des « journée d'études » de 1973.
Il n'y eut pas pour lui d'autre voyage, mais tout ce qu'il avait créé à Tours lui a survécu. Le vingtième voyage en Europe a eu lieu cette année, le quinzième volume de la collection « De architectura » est paru il y a un mois, les colloques de Tours sont devenus depuis 2003 les « Rencontres d'architecture européenne » organisées à Paris, au Centre Chastel, par Claude Mignot et Monique Chatenet, depuis toujours associés aux colloques de Tours : les prochaines auront lieu en juin 2013, consacrées aux toitures en Europe, un sujet neuf, comme l'était l'escalier trente-quatre ans plus tôt.
Cette continuité est impressionnante. Elle met en évidence l'influence profonde exercée par celui qui fut notre maître à tous : il a véritablement refondé en France l'histoire de l'architecture moderne en l'insérant dans un cadre plus vaste, franco-italien puis réellement européen. Dans cette entreprise les colloques de Tours ont joué un rôle essentiel : ils ont changé notre regard sur l'architecture française, créé une communauté de travail internationale et donné à tous ceux qui les ont vécus avec lui de grands moments de bonheur1 2 3 4.
Jean Guillaume
Professeur émérite à l'université Paris-Sobonne
1. M>ir le témoignage de Françoise Boudon et Monique Mosser, « De architectura », Revue de l'Art, 1991, n° 93, p. 60-63.
2. Kunstchronik a publié des comptes rendus des colloques en septembre 1973, juillet 1974, août 1977, octobre 1978, mai 1987, août 1991 et février 1995.
3. Chastel a lui-même attiré l'attention sur le succès des colloques de Tours et sur les recherches poursuivies en même temps à Tours par l'Inventaire général dans un long article du Monde daté du 30 juillet 1981 : « Découverte de l'architecture à Tours ».
4. Je pourrais citer de nombreux témoignages, tel celui de Kurt Forster qui avait voulu assister au colloque Architecture et vie sociale (1988) : « It was delightful to take part in the latest colloque... to listen to so many presentations of new materials and ideas I hadn't heard before. The atmosphere surrounding the meetings, the chatter in the beautiful courtyard and the few cheerful moments we had at lunch will remain in my memory ».
Mythe pour mythe ... Dans le sillage du surréalisme
S l'on me demandait un seul souvenir de l'enseignement d'André Chastel, il se situerait l'année où nous préparions le certificat d'histoire de l'art moderne et contemporain, avec un « cours magistral » sur le maniérisme. Travaillant de préférence en faisant projeter deux diapositives côte à côte - sur le modèle wolffiinien peut-être, mais plus encore selon l'enseignement italien qu'il considérait le meilleur sous l'angle pédagogique -, André Chastel montra, à un moment donné de sa démonstration, une gravure des Bizzarie de Braccelli (1624) et un dessin de la Cité des tiroirs de Dali (1936). H y avait là quelque chose d'évident et de surprenant. Vraisemblablement, le premier document lui avait été fourni par son ami Jean Adhémar, qui, au Cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale, présentait en 1965 Quelques ancêtres du surréalisme. André Chastel avait une manière bien à lui de provoquer son auditoire, de le forcer à sortir des chemins tranquilles des « écoles » et des « périodes », ne fut-ce qu'avec deux diapositives dont la proximité laissait le spectateur dubitatif dans un premier temps, puis très vite désireux de poursuivre dans le même sens : la surprise, l'inattendu, le plaisir à remettre en jeu ses propres certitudes.
De Michel-Ange ou Cambiaso à Dali, de la Renaissance et du maniérisme au surréalisme, ou encore du baroque à Cézanne, les écarts semblaient immenses. Il n'en restait pas un simple effet de kaléidoscope : la mémoire visuelle de l'auditeur allait s'en nourrir à son insu.
Bien d'autres exemples viendraient à l'esprit de ceux qui furent mes condisciples aux cours de Chastel à l'Institut d'art et d'archéologie de la rue Michelet dans les années soixante. La chaire qu'il occupait depuis son élection à la Sorbonne en 19551, « Histoire de l'art moderne et contemporain » (de la Renaissance au xxe siècle, selon la norme française - ce qui voulait dire, à l'époque, jusqu'aux années vingt environ), fut scindée en deux périodes en 1962 et le professeur René Jullian, à l'origine spécialiste de la sculpture romane italienne et féru de futurisme, fut élu pour diriger ce qui relevait de l'art contemporain, soit les xixe et xxc siècles. Cela n'empêcha pas que l'art contemporain s'invitât dans les cours d'André Chastel, comme on Ta vu, ainsi que dans quelques séminaires de DES ; mais jamais il n'empiéta sur les frontières de son nouveau collègue pour la direction des thèses.
Cependant, pour ses anciens étudiants de licence et de diplôme d'études supérieures qui optaient pour des recherches sur l'art des XIXe et XXe siècles, Chastel restait disponible, libre de converser et de donner des avis, soit à son bureau de la rue Michelet, puis à partir de 1970 dans celui du Collège de France, soit encore chez lui, rue de Lübeck. Je m'aperçois maintenant, avec le recul du temps, que cette présence était d'une extraordinaire générosité. Prêt d'ouvrages et don de tirés à part de sa bibliothèque, rencontres avec ses collègues d'outre-Atlantique comme Meyer Schapiro - le cher « Meyer » qui, lui aussi, traversait les époques et travaillait plus souvent sur les marges (Moyen Âge d'un côté, xixe-xxe siècles de l'autre) -, sans aucune « familiarité » au sens vulgaire du terme, mais avec une simplicité indéniable, et cette façon presque anodine de ne jamais dévier du sujet même le plus ardu.
L'approche de l'homme, de ses réseaux, de ses travaux, ne peut donc se cantonner aux archives qu'il a laissées, malgré le nombre stupéfiant d'informations qu'elles contiennent. En dépit de ses effets grossissants et de ses manques désastreux, la mémoire des paroles échangées est une autre archive, indispensable et fugitive. C'est aussi à travers ces relations verbales, attentives, piquantes, que j'ai pu connaître un Chastel différent du professeur, et cela, dans le champ particulier de l'art du XXe siècle : Chastel, qui n'avait plus de responsabilité universitaire dans ce domaine2, mais que ses fonctions de journaliste, d'une part, de directeur de revue savante, d'autre part, occupaient quotidiennement, restait un historien à l'affût de ce qui pouvait compter, notamment hors de France : « Cette Rosalind Krauss, dont on parle, je me demande... » Ou : « Vous êtes allée à Londres ? Ah ! C'est bien... racontez-moi ». «... Bacon... très grand peintre, enfin, je ne sais pas... Leiris l'adore. » Mine de rien, il fallait traduire : sous quelle forme en écrire, comment faire connaître autrement que par engouement, rester en phase, ne pas se laisser dépasser en France par l'accélération des travaux outre-Manche et outre-Atlantique sur l'art contemporain ? Chastel avait besoin d'être rassuré sur ce qui se passait au présent, doutant que tout le présent pût être mémorable. Pour ce dont il n'avait pas le temps matériel de s'occuper lui-même, ou dont il n'était pas sûr, il s'en remettait aux travaux de quelques fidèles parmi ses anciens auditeurs de l'Institut de la rue Michelet, dont plusieurs venaient et revenaient sans le moindre besoin de diplôme : je pense tout particulièrement à Jean Clair, à Werner Spies. Et c'est ainsi que, par une sorte d'ironie ou de logique des générations, ce surréalisme dont il estimait l'histoire faite et bien faite après les conclusions de Ferdinand Alquié dans son ouvrage de 1955, Philosophie du surréalisme', refit surface autour de lui.
Il s'était formé autour de Chastel, en quelques années, d'une manière informelle et sans liens autres que personnels le cas échéant, une petite grappe d'historiens de l'art passionnés par le surréalisme et, en ce qui concerne Jean Clair, par le cas Duchamp. N'est-ce pas à José Vovelle, pionnière des études sur Magritte4 et les surréalistes nordiques, et dalinienne avertie, que Chastel confia en 1969 la rubrique consacrée aux expositions des galeries, dans Le Monde ? Werner Spies, installé en France à partir de 1961, allait devenir le spécialiste international de Max Ernst, mais il se retrouvait aussi avec Chastel dans le cercle de Daniel-Henry Kahnweiler et de Maurice Jardot à la galerie Louise Leiris qui exposait les « sages » de la peinture cubiste et post-cubiste, Braque, Gris et Léger, tout autant que les deux « fous de dessin » et « fous de peinture », Picasso et Masson. Qu'on me permette d'évoquer à nouveau des souvenirs personnels. Je connus pour ma part la galerie Leiris et Kahnweiler lui-même quelque temps avant la mort de ce dernier, ce qui me permit d'avoir accès à la correspondance d'André Masson et de son principal marchand. Si j'eus l'idée et le désir d'entreprendre une thèse sur Masson, c'est parce que, l'année de mon mémoire de DES sur « La Danse de Picasso et le surréalisme en 1925 », Chastel m'avait envoyée interroger Masson sur ce qu'il savait de Picasso et du surréalisme, car c'était un des derniers peintres français vivants ayant fréquenté l'un et l'autre. Quelque temps plus tard, après un bref détour par « La couleur chez Delacroix », le retour au « rebelle du surréalisme » s'imposait à moi comme une évidence ; René Jullian accepta ce changement de sujet de thèse qui allait inévitablement me rapprocher d'André Chastel. Quant à Jean Clair, qui avait suivi les cours de ce dernier à l'Institut d'art au début des années soixante, obtenant un certificat de licence tout en se dirigeant vers la conservation des musées, il donna à la Revue de l'Art, en 1976, un article essentiel sur « La fortune critique de Marcel Duchamp »5, sur qui il travaillait depuis plusieurs années, envisageant surtout, au début, la dimension du hasard et du calcul6. L'exposition Marcel Duchamp qui fit l'ouverture du Centre Pompidou, en 1977, lui était due, et elle tranchait sur bien des points avec les (rares) précédentes. André Chastel en fit un long compte rendu dans Le Monde, sans pouvoir masquer ses incertitudes sur l'oeuvre, et plus encore sur les tonnes de commentaires qu'elle avait déjà suscités7.
L'intérêt de Chastel pour le surréalisme et ses alentours se manifestait donc de manière ponctuelle à travers ses relations, des bribes de son enseignement universitaire, des comptes rendus d'expositions, et les articles qu'il encourageait à publier dans diverses revues y compris la Revue de l'Art-où l'on put lire régulièrement, dans les années 1970-1980, des études sur l'art du XXe siècle. Comme la chronologie de ses propres textes le fait comprendre, cet intérêt se manifesta « en pointillé » tout au long de sa vie. Cet intérêt n'allait pas de soi. La lecture de textes sur des artistes non inféodés au mouvement permet de cibler la qualité essentielle autour de laquelle André Chastel construisait sa démarche mal assurée : le ludisme. Ludique, Giacomo Balia8 ; ludique, Marcel Duchamp ; ludique, Paul Klee...« La crise de l'art du xxc siècle doit être considérée comme un aspect de la crise de l'élément ludique, dans la civilisation moderne »9. La « connivence » de l'art et du jeu, il la voyait plus concrète et plus « démystifiante » chez Dada que dans la « dé-réalisation » où se perdait à son avis l'activité surréaliste. Mais ses efforts pour la contourner ne faisaient que renforcer les interrogations.
Le surréalisme n'était pas une découverte pour Chastel après la guerre. Il l'avait rencontré au début des années trente, par l'intermédiaire d'un camarade de khâgne au lycée Louis-leGrand de 1931 à 1933, puis à Normale entre 1933 et 1937: Roger Caillois10. Il l'a écrit, et ce fut redit : Roger Caillois fut un initiateur exceptionnel à la culture surréaliste telle qu'elle se manifestait alors à Paris. Resituer à grands traits ce qu'était le surréalisme avant la guerre, n'est sans doute pas inutile pour éviter des malentendus.
Le surréalisme des années 1930-1939 en France n'est plus celui des temps de la fondation, de 1919 (Les Champs magnétiques) à 1929. Paradoxalement, il sent encore le soufre tout en s'engouffrant déjà dans la mode, les galeries, les salles de vente, et le cinéma. Le groupe avait implosé soit de l'intérieur soit en vertu des exclusions prononcées. La question de la guerre se pose. Ce sont, en 1937, La Métamorphose de Narcisse de Salvador Dali (Tate Gallery), en 1938, Le Chant du crépuscule de Max Ernst (MoMA), Le Labyrinthe d'André Masson (Centre Pompidou-MNAM). L'image devient une parabole. Le symbole se frotte au réel, le rêve à la paranoïa généralisée. Des intellectuels dissidents du premier groupe surréaliste, ou étrangers à lui, cherchent des lieux de parole, de débat, créent des publications, éphémères mais combatives. On est dans un temps de combat et les positions se raidissent. Le désir d'André Breton de retrouver une publication périodique d'importance se concrétise par un accord avec l'éditeur Skira à Genève, qui crée la revue Minotaure en 1933. Jamais les surréalistes, anciens et nouveaux compagnons d'André Breton, n'avaient eu à leur disposition une publication d'un tel luxe. En face, si l'on peut dire, Georges Bataille réalise occultation désirée puis négligée par le groupe des années vingt ; il s'en remet à l'érotisme sadique, à la conjuration, au secret : Acéphale avec Masson et Klossowski, le Collège de sociologie... Le rôle de Caillois est primordial dans cette entreprise. Ayant rompu des lances, et rompu tout court, avec le surréalisme d'André Breton dans Procès intellectuel de l'art, paru en avril 193511 (il publie à la fin de la même année un article sur Dali12), Roger Caillois, qui a rencontré Georges Bataille chez le docteur Lacan, s'engage ardemment dans les projets et discussions du Collège jusqu'en 193913. D'Espagne, en 1935, André Masson s'en prend de façon virulente à La Bête noire, une sorte de troisième voie où Michel Leiris et Raymond Queneau se seraient égarés14. Trois numéros de La Bête noire se trouvent dans le fonds des revues conservées par Chastel15. Dès le premier, en avril 1935, le surréalisme était balayé, laissé aux « professeurs ». La critique est très libre, le ton vif, la position politique antifasciste et antistalinienne prononcée. Antonin Artaud, Roger Vitrac, Jacques Baron y publient. Chastel lui-même participe à la rubrique des films. Le jeune cinéphile du Quartier Latin laisse à peine filtrer sa culture surréaliste ; à propos du Nouveau Gulliver (au Cinéma du Panthéon) : « Le recours aux prestiges des poupées articulées est la trouvaille du film »16 ; ou encore, dans un article sur les rapports de la technologie filmique et de la représentation : « La part de l'étrange ou plus simplement de l'émouvant vit encore à l'état sauvage dans notre esprit17 ». Le titre de l'article, « Technique de la mythologie »18, renvoie à un centre d'intérêt qu'on peut supposer commun à l'auteur ...et à Roger Caillois ; il ne s'agit cependant pas de mythologie classique, mais de la création, « par le monde », d'une « "mythologie naissante" » « qui doit tout à l'ambiance du cinéma »19.
Chastel a exposé, dans un texte d'une tonalité personnelle rare chez lui, les modulations de sa camaraderie intellectuelle avec Roger Caillois. À la lecture de son texte d'ouverture des Cahiers pour un temps, on comprend mieux l'amplitude comme les limites de leurs liens20. La connaissance, par l'intermédiaire de Caillois, d'un milieu d'artistes, de poètes, de philosophes, superlativement intelligent et frémissant, ne pouvait que l'aider à transgresser la routine de l'enseignement classique, qu'il ne désavoua cependant jamais dans ses aspects philologiques. L'ouverture sur l'actualité, la visite d'expositions de peintures surréalistes (Dali en 1932, a-til précisé - certainement à la galerie Pierre Colle qui l'avait déjà exposé l'année précédente -, et Tanguy, peut-être en juin 1935 à la galerie Cahiers d'art, ou un peu plus tôt dans des expositions surréalistes de groupe), impliquaient une deuxième vie, oblique par rapport à la tradition scolaire qui ne laissait à l'enseignement de l'histoire de l'art qu'une place congrue du lycée à l'agrégation (et à l'agrégation d'histoire uniquement)21. L'incongruité du choix de Chastel, khâgneux et normalien « littéraire », en faveur de l'histoire de l'art et, dans cette histoire de l'art savante, sa première inclination vers un sujet « fantastique », comme on verra plus loin, ne sont pas sans rapport avec les affiliations non académiques de Caillois. Celui-ci, attiré dès le lycée par une théorie qu'il prétendait développer sous l'intitulé « la fantastique » en l'opposant à « la logique »22, s'était inscrit en 1933-1934 dans la section des sciences religieuses à l'École pratique des hautes études où il rédigea, après un séjour de travail en Europe centrale l'été 1934, un mémoire sur « Les spectres de midi dans la démonologie slave », qui parut en deux livraisons dans la Revue des études slaves en 1936 et 193723. De son côté, Chastel, après avoir suivi des cours à l'École du Louvre en 1933-1934 et obtenu un certificat d'histoire de l'art du Moyen Âge à la Sorbonne en juin 1934, rédigea son mémoire sur « Le thème de la tentation de Saint Antoine dans l'art, des origines à Jérôme Bosch »24 ; il y montrait en particulier qu'il revenait à Bosch de dépeindre « le dernier état [...] de l'animal démoniaque »25. Il obtenait son diplôme à la Sorbonne en juin 1935, Caillois à l'EPHE en juin 193626. Ainsi étaient-ils devenus l'un et l'autre en peu de temps, sur la base de matériaux très différents, spécialistes de démonologie... Caillois resta plus fidèle que Chastel à son premier corpus légendaire. Quant à l'auteur de « La Tentation de Saint Antoine ou le songe du mélancolique »27, pouvait-il imaginer que Jérôme Bosch et ses extravagances deviendraient quelques années et une guerre plus tard, le topos d'une histoire universelle ... du surréalisme ?
Dans les années cinquante et soixante, il devint courant en effet de mettre le surréalisme en général en relation étroite avec l'art dit fantastique, baroque, maniériste. Ce n'était que suivre (en histoire de l'art) les positions d'un Alfred H. Barr, qui avait réalisé dès 1936 au MoMA la première grande exposition historique intitulée Fantastic Art, Dada, Surrealism28, succédant à Cubism and Abstract Art. L'art fantastique, ancêtre direct du surréalisme dans cette nouvelle taxinomie, était représenté abondamment du XVe siècle à la fin du XIXe, de Bosch à Redon en passant par Bracelli, Arcimboldo, Piranèse, Füssli, Grandville et bien d'autres. La Tentation de saint Antoine connaissait, outre-Adantique, une nouvelle vie générationnelle29. Après la guerre, ce fut une déferlante. Chastel, qui suivait de près les actualités germaniques et anglo-américaines en matière de publications, ne pouvait ignorer l'ouvrage de Gustav René Hocke paru en 1957 sous le titre Die Welt als Labyrinth, sous-titré pour la traduction française dix ans plus tard Le Surréalisme dans la peinture de toujours : les thèmes définis par l'auteur dans le déroulement de ce livre permettaient de passer aisément de Michel-Ange à Paul Klee. De leur côté, Marcel Brion et René de Solier avaient mis à la mode une filiation entre le baroque et le surréalisme. Ces affinités étaient suggestives31. En 1964, y ajoutant une dimension alchimique, Patrick Walberg présentait à la galerie Charpentier l'exposition Le surréalisme. Sources - Histoire - Affinités, avec les mêmes « correspondances anciennes ». André Chastel y voyait, à mon avis, plus de curiosité que de continuités réelles. Il y avait là un paradoxe indéniable. D'un côté, son propre jugement sur le surréalisme reposait sur des analogies formelles, intellectuelles, morales, avec la Renaissance et le maniérisme : la terribilità demeurait pour lui la qualité première qu'on pouvait attendre de tout artiste portant assez d'énergie et d'imagination pour imposer son style, particulièrement dans des moments critiques. D'un autre côté, rien ne devait l'agacer davantage que les analogies faciles entre les images et, surtout, l'idée que le surréalisme serait la continuation du maniérisme, ou du baroque. Cette position était difficile à tenir pour qui cherchait à fixer les données précises d'un contexte culturel. Son ironie à l'égard des « musées imaginaires » et des grandes perspectives assimilatrices, relevait de ce même scrupule. Entre le jeu des séductions formelles, auquel Chastel ne résistait pas lui-même, et les exigences de la méthode historique, le surréalisme créait des difficultés.
C'est là qu'intervient sans doute le fil rouge du mythe, déroulé par Caillois tout au long de ses publications, avant même qu'il n'inventoriât les formes sociales du jeu. Le mythe et le jeu : l'affinité intellectuelle entre Chastel et Caillois, comme leurs divergences, se conçoivent sous ces deux instances. Car il convient de préciser que Chastel, dans les années trente, n'eut jamais à prendre, ou ne voulut jamais prendre, des positions politiques et sociologiques au sens où l'entendaient les créateurs du Collège de sociologie en 1937-1938, parmi lesquels Caillois s'était montré l'un des plus empressés à développer l'analyse des pouvoirs et du sacré32. Cependant, la réflexion sur les fonctions communautaires et l'individu (qui mettait, de fait, l'humanisme en question), pour peu que Chastel ait été en mesure d'en prendre connaissance dans ces années-là, ne devait pas non plus le laisser indifférent. Mais c'est une autre histoire.
À partir de leurs publications respectives après 1945, il vaudrait la peine de tresser les motifs et les références qui donnent un nouveau souffle aux relations entre Caillois et Chastel, par écrits interposés plus que par conversations directes, et dans la poursuite toujours controversée d'une « logique de l'imaginaire »33. Si l'intérêt de Chastel pour les quelques peintres surréalistes auxquels il consacre des comptes rendus est, on l'a vu, mitigé mais réel, Caillois, de son côté, demeure attaché à la notion de fantastique en général : il le circonscrit par un choix de textes puis d'images qu'il décrit et organise selon une taxinomie dérivée de ses travaux sur le rêve34. Pour l'un et l'autre, la mythologie est une formation majeure de l'esprit humain, et, dans chaque activité humaine, la faculté de créer iconographiquement des mythes, légendes, fables, rêves, est aussi fondamentale que le langage : c'est pourquoi leurs réflexions sont toujours susceptibles de concerner le surréalisme - devenu un mouvement historique après la mort d'André Breton en 1966. L'intérêt de Chastel à l'égard de l'oeuvre de Paul Klee est significatif. Les surréalistes avaient été les premiers à s'approprier l'oeuvre de Klee dès leur exposition de groupe en 1925. Quand on commence à la découvrir un peu mieux en France, Chastel en rend compte. Lors de l'exposition qu'organise en 1969 Françoise Cachin, conservatrice au musée national d'Art moderne (et qui fut aussi l'une de ses auditrices à l'Institut d'art), il cible avec justesse l'ironie romantique de Klee, « composante fidèle, [...] avec toutes les inflexions de l'humour et toutes les permissions ludiques »35. Il le compare ailleurs à Dürer36, un artiste qui avait fait l'objet d'une admiration partagée avec Caillois dans les années trente.
De son côté, Roger Caillois donne l'exemple d'une pensée qui se déplace à travers les frontières disciplinaires, ce qui avait provoqué dès 1934 la sympathie de Gaston Bachelard37. Chastel achoppe non point à cette dimension (après coup, elle lui apparaîtra comme un préalable à la fondation des sciences humaines), mais à l'ambition universaliste de Caillois : « ... penser dans le général... s'établir dans l'universel... » le laisse perplexe, et même hostile38. Parce que l'histoire, face à une anthropologie pluraliste, est plus forte dans le détail, la précision. Le contexte socio-historique devrait, sur chaque image, sur chaque mythe, sur chaque « thème rare », apporter sa part d'explication ; il est significatif que Chastel ait eu avec Caillois une discussion sur le commentaire de l'Allégorie dite du Purgatoire de Giovanni Bellini ; Caillois la rattache à la veine du fantastique ; la dispute suit : « ...quand on tient pour insolites ce pavement, ces putti, ces saints, ce More [...], je crains de devoir comme le contradicteur d'André Breton devant le mystère des "haricots sauteurs", réclamer la donnée historique et culturelle comme contexte très définissable de l'ouvrage qui rend compte d'un bon nombre des éléments qui interviennent dans le thème rare »39.
En mettant au point, à plusieurs occasions, sa réflexion sur « Le jeu et le sacré dans l'art moderne », dont il reprend le texte del955 unifié et mis à jour pour Fables, Formes, Figureí40, Chastel se situe, selon nous, dans un double lien de complicité et de rivalité avec Caillois, renvoyant en note aussi bien à ce dernier («Le jeu et le sacré », dans L'Homme et le Sacré, nouvelle édition, Paris, 195 0) qu'à Huizinga (Homo Ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu, Paris, 195141), à Georges Bataille dans sa propre revue Critique et enfin à Émile Benvéniste, dont « Le jeu comme structure » avait paru en 1947 dans Deucalion, la revue de Jean Wahl. Toutes les notions dont Caillois a déjà fait grand usage (le sacré, le jeu, le mythe, la fête...) sont rebattues par l'auteur au profit du seul domaine de l'art contemporain et de son histoire. « Si le problème de l'art du xxc siècle oblige le critique à mettre en cause toute la civilisation, c'est pour en arriver là : après un ébranlement peut-être sans précédent, qui a eu l'heureux résultat d'écarter des styles et des valeurs où la part du jeu comme celle du sacré n'apparaissaient plus, il reste à savoir si la valeur de l'oeuvre d'art et du fait artistique sera ou non confirmée »42.
Mythe pour mythe. Jeu pour jeu. Des spectres de midi aux tentations des saints du XVe siècle, de l'échiquier des jeux de société au drôle de damier en manteau d'Arlequin du Petit Fou en transe de Paul Klee (1929)43, de combien à'écarts Chastel n'a-t-il tenu à faire et défaire les circuits ? Sans parvenir, en définitive, à mettre hors champ les diables impudiques du surréalisme...
Françoise Levaillant
Directeur de recherche honoraire au CNRS
1. André Chastel avait été assistant à l'Institut d'art et d'archéologie de la Sorbonne de 1945 à 1948 ; il y fut nommé maître de conférences en 1955 puis professeur de 1957 à 1970. Ses titres étaient ceux d'un médiéviste et d'un seiziémiste.
2. Précisons que la scission de la Sorbonne à partir de 1969 concerna directement l'Institut d'art et d'archéologie. L'université de Paris-Sorbonne (Paris-IV) fut créée fin 1970. Bernard Dorival y était le professeur d'histoire de l'art contemporain, René Jullian ayant opté pour Paris-1Panthéon-Sorbonne. André Chastel au Collège de France et à l'EPHE consacra ses cours et séminaires soit à l'iconologie soit à l'histoire de l'art italien du xvf siècle.
3. « Cette interprétation apporte, elle aussi, un point final », écrit Chastel dans une note de l'article « Le jeu et le sacré dans l'art moderne » (1955), rééd. dans Fables, Formes, Figures, Paris, Flammarion, 1978, H, p. 502, note 23.
4. José Vovelle soutint sa thèse de troisième cycle sur Le Surréalisme en Belgique en décembre 1968, avec au jury : René Jullian son directeur, André Chastel et Ferdinand Alquié. Publication sous le titre Le Surréalisme en Belgique, Bruxelles, André de Rache éditeur, 1972.
5. J. Clair, « La fortune critique de Marcel Duchamp », Revue de l'Art, 1976, n°34,p. 92-100.
6. Signalons aussi que plusieurs des monographies de Jean Clair, outre celles consacrées à Duchamp au fil des années, portèrent sur des artistes contemporains que Chastel connaissait et appréciait avec une conviction nettement plus assurée qu'à l'égard de Duchamp : Balthus, Music...
7. « L'au-delà de la peinture de Marcel Duchamp », Le Monde, 3 février 1977, repris dans L'Image dans le miroir, Paris, Gallimard, 1980, p. 377-386. Dans cette édition, André Chastel fait précéder ce texte du compte rendu intitulé « Hommage à Méphisto » qu'il avait publié dans le même journal dut ans plus tôt, le 9 juin 1967, à l'occasion de l'exposition des frères Marcel Duchamp et Raymond Duchamp-Villon, au Palais de Tokyo, sous la direction de Jean Cassou et de Bernard Dorival.
8. Voir F. Roche, « Aux sources de l'esprit "ludique" : Ballaet les futuristes », Revue de l'Art, 1971, n° 12, p. 35-39.
9. A. Chastel, « L'art moderne et le jeu », extrait de Arte e Cultura Contemporanee, P. Nardi (dir.), Florence, Sansoni, s. d., p. 395.
10. Roger Caillois obtint l'agrégation de grammaire en 1936 et resta à l'École normale pendant un an comme « caïman » (agrégé répétiteur) de lettres ; André Chastel, qui perdit une année de préparation pour l'amour de l'art (témoignage personnel), obtint l'agrégation de lettres en 1937 (la même année que Bernard Dorival) après l'avoir tentée sans succès en 1936. En 1938 ils eurent l'un et l'autre une affectation dans un lycée. Puis leur destin divergea jusqu'au retour de Caillois d'Amérique latine en 1945.
11. R. Caillois, Procès intellectuel de l'art, Marseille, éditions des Cahiers du Sud, 1935.
12. IL Caillois, « Déterminations inconscientes en peinture », Documents 35,3e année, n° 6, nov.-déc. 1935.
13. Sur le Collège de sociologie, ses textes et ses conflits internes, voir en priorité D. Hollier, Le Collège de sociologie, Paris, Gallimard, 1" éd. 1979.
14. Pour plus d'information, voir A. Masson. Les années surréalistes. Correspondance 1916-1942, édition établie, présentée et annotée par Fr. Levaillant, Paris, La Manufacture, 1990, p. 253,256-269. Dirigé par les critiques d'art M Raynal et E. Tériade, ce périodique sous-titré Actualité artistique et littéraire, au format journal, de huit pages, annonçait dut publications par an.
15. Numéros 6 ( 1er octobre 1935), 7 (1er décembre 1935) 8 et dernier (1er février 1936). Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 090,073).
16. Premier long métrage soviétique d'animation hybride (acteurs et 1500 marionnettes), par A. Ptushko (Alexandre Ptouchko), sorti le 25 mars 1935. A. Chastel, « Films », La Bête noire, n°6, 1eroctobre 1935, p. 3.
17. Je souligne. Allusion à la fameuse phrase d'André Breton au début de sa série d'articles « Le Surréalisme et la Peinture » : « L'oeil existe à l'état sauvage. »
18. A. Chastel, « Technique de la mythologie », La Bête noire, n° 7 (Les précurseuts du cinéma), 1"décembre 1935, p. 3.
19. Ibid. Chastel compare ce qu'il appelle « mythologie naissante » à « l'hydrogène naissant » en chimie.
20. A. Chastel, « La loyauté de l'intelligence », dans Cahiers pour un temps/Roger Caillois, Paris, Centre Pompidou/Pandora éditions, 1981, p. 29-59.
21. Une réforme de 1925 rendait obligatoire l'enseignement de l'histoire de l'art dans l'enseignement secondaire tant « moderne » que « classique », et pour les garçons comme pour les filles. Les agrégatifs d'histoire, depuis la fin du XIXe siècle, pouvaient avoir (très rarement) une question d'histoire de l'art au programme. Voir M.-Cl. Genet-Delacroix, « L'enseignement supérieur de l'histoire de l'art (18631940) », dans le Personnel de l'enseignement supérieur en France au xrx' siècle, Paris, CNRS/IHMC, 1985, p. 86-87.
22. Je souligne. Voir la lettre que lui adresse Roger GilbertLecomte le 30 janvier 1930 (Caillois était en classe de philosophie), fac-similé publié dans Cahiers pour un temps, op. cit., 1981, p. 180-181.
23. Je renvoie à l'article de V. Linhartová, « Premiers jalons, premiers détours », ibid., p. 105-116. L'auteure aborde avec justesse la question de l'influence du peintre tchèque Sima, alors en France, sur le choix du sujet de son ami Caillois. Elle montre les liens qui ont pu s'établir à Prague (quelques mois avant la venue orchestrée de Breton et d'Éluard) entre Caillois et les surréalistes tchèques qui venaient de créer leur groupe.
24. Notes biographiques autographes d'André Chastel, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet, (Archives 090, 005). Chastel écrivant « Saint Antoine », nous l'avons laissé tel quel id, mais nous avons rectifié la typographie pour le titre du document cité infra, note 25.
25. A. Chastel, « La Tentation de saint Antoine ou le songe du mélancolique », Gazette des Beaux-Arts, XV, 1936, p. 218-229 (citation p. 228). Il s'agit du panneau du musée de Lisbonne.
26. On remarque aussi une coïncidence de date dans leur apprentissage parallèle de disciplines étrangères aux études de lettres : en été 1934, Chastel, muni d'une « bourse Lavisse », part pour l'Italie, tandis que Caillois, boursier de recherche de l'EPHE, part pour Prague, puis voyage en Slovaquie et en Ukraine.
27. Article tiré du mémoire de DES, cité supra, note 19. Il distingue l'iconographie des démons inaugurée par Schongauer de celle de Bosch, qu'il situe sur un plan différent.
28. Fantastic Art, Dada, Surrealism, A. H. Barr, Jr. (éd.), essais de G. Hugnet, New York, The Museum of Modem Art, déc. 1936 ; 2e éd. revue et augmentée, 1937 ; 3e éd., 1947. Reéd., Arno Press, 1968.
29. Je ne puis ici approfondir la question, mais il faut mentionner qu'en 1945 Max Ernst peint une Tentation de saint Antoine qui sera reproduite l'année suivante sur la brochure du concours pour le film d'Albert Lewin La vie privée de Bel Ami, à New York ; jury : Marcel Duchamp, Sydney Janis, Alfred H. Barr... Voir W. Spies, Max Ernst. Leben und Werk, Cologne, DuMont, 2005, traduction en français : Max Ernst. Vie et OEuvre, Paris, Centre Georges Pompidou, 2007, ill. p. 187.
30. Traduit de l'allemand par C. Heim, Paris, éditions Gonthier, collection « Grand format Médiations », 1967. Le sous-titre de 1967 sur la couverture est peut-être le résultat d'une erreur très significative : en effet, la page de grand titre indique en sous-titre Le maniérisme dans l'art européen.
31. En 1979 encore, le premier numéro de Mélusine, revue universitaire consacrée au surréalisme, proposait un article de Mary-Ann Caws portant sur les motifs littéraires et figuratifs communs au baroque et au surréalisme : « Du geste baroque au geste surréaliste : doigt qui recueille, oeil qui ondoie », l'ouvrage de Hocke de 1967 y étant cité avec le texte d'Henri Zerner dans Meaning of mannerism, Hanovre, University Press of New England, 1972.
32. La question du sacré et du religieux ayant un point d'application des plus importants en histoire de l'art, Chastel reprendra le problème dans son commentaire précis et sans concession du livre de H. Sedlmayr, Verlust der Mitte. Die Bildende Kunst des 19. und 20. Jahrhunderts als Symptom und Symbol in derZeit (Salzbourg, 5e éd., Müller, 1951), dans son fameux article de Critique (juin 1955, n° 97) sur « Le jeu et le sacré dans l'art moderne », « moderne » couvrant ici les sax' et XXe siècles.
33. L'expression est de Roger Caillois qui sous-titre « Essai sur la logique de l'imaginaire » son petit ouvrage La Pieuvre, Paris, éditions de la Table Ronde, coll. « La mémoire » dirigée par Alain Bosquet, 1973. Son objectif est de trouver les analogies concernant cet animal dans la zoologie et dans les représentations (dans le réel et dans l'imaginaire - contes, rêves).
34. Voir notamment Images, images. ..Essais sur le rôle et les pouvoirs de l'imagination, Paris, José Corti, 1966.
35. A. Chastel, « Paul Mee : doctor angelicas », Le Monde, 27 novembre 1969, repris dans L'Image dans le miroir, op. cit, p. 404-405.
36. Ibid., p. 402-403.
37. Caillois rencontra Bachelard à Prague, à l'occasion du 8' Congrès international de philosophie en septembre 1934. Bachelard y prononça la communication « Critique préliminaire du concept de frontière épistémologique ». (V. Linhartová, « Premiers jalons, premiers détours », op. cit., p. 105-116.) Voir aussi sa lettre à Caillois de novembre 1935, fac-similé dans Cahiers pour un temps, op. cit., p. 194-195.
38. A. Chastel, « La loyauté de l'intelligence », op. cit., p. 41-42.
39. Ibid., p. 48.
40. « L'art moderne et le jeu » parut en deux parties (I et II) et en deux livraisons de la revue Critique (juin et juillet 1955, n°97 et n° 98) dont on sait qu'elle demandait à ses auteurs un commentaire à la fois objectif et personnel à partir de publications récentes, regroupées sous un thème. Les deux parties furent réunies d'abord en un seul tiré à part. La version de Fables, Formes, Figures (Paris, Flammarion, coll. « Idées et Recherches » dirigée par Y. Bonnefoy, 2 vol., 1978, p. 489-518, dernier article du second volume) unifie le tout et abandonne la liste des ouvrages discutés en tête d'article comme c'était (et c'est toujours) l'usage de Critique.
41. Première traduction en français de l'ouvrage de Huizinga paru en allemand en 1938.
42. « L'art moderne... », dans Fables, Formes, Figures, op. cit., p. 518.
43. 1929, Cologne, Wallraf-Richartz-Museum.
André Chastel historien
Dans la vie d'un chercheur, il arrive un moment où, avec une certaine surprise, il commence à comprendre que, plutôt que d'être d'abord un découvreur et un interprète de sources, il est devenu lui-même une source, le dépositaire de souvenirs qui peuvent intéresser d'autres chercheurs.
Comme beaucoup d'autres historiens de l'art et de l'architecture, j'ai été en relation avec André Chastel durant une assez longue période, et cette relation a joué un rôle important dans ma propre carrière de chercheur. Je le rencontrai d'abord lors de conférences internationales, où il était toujours prêt à parler et à échanger des idées avec de jeunes chercheurs, sans cette réserve ou cette infatuation qui, à cette époque, caractérisaient encore d'éminents professeurs.
À bien des égards, André Chastel était une personne exceptionnelle, et supérieure dans le meilleur sens du terme, par son intelligence, par son érudition, par ses oeuvres, par ses relations avec de nombreux chercheurs dans plusieurs pays, et par son habileté à plaider la cause de la culture et de la recherche aussi bien en France qu'en Italie. Cette supériorité, il la manifestait avec légèreté, avec une véritable sprezzatura} et une disposition à parler et à agir librement, en dehors et au-dessus des normes conventionnelles. H n'était pas opposé à certains gestes théâtraux et nullement conventionnels. Ainsi pouvait-il, pendant une conférence universitaire, faire la publicité des élégants colliers fabriqués par les épouses de ses collègues. Ou - et c'est un épisode dont je fus le témoin - s'agenouiller devant Paola Marini au café Garibaldi, à Vicence, afin de lui demander avec davantage d'énergie de bien vouloir assumer la direction du Centre Palladio, bien que cette démonstration chevaleresque froissât son costume. Dans tout cela, il y avait bien sûr davantage que la petite joie de provoquer et de se montrer simplement anticonformiste, - un aspect de Chastel que reflète parfois son expression, sur les photographies. Je me souviens, par exemple, qu'après une intervention particulièrement brillante et bien accueillie sur Giulio Romano, au palais du Té, à Mantoue, il me dit : « Avez-vous remarqué la citation [faite en latin] tirée d'Érasme ? Eh bien, elle n'est pas d'Érasme, c'est moi qui l'ai inventée. »
Chastel exerça une influence sur moi bien avant que je ne le rencontre. Étudiant, j'avais acheté son livre Art et humanisme au temps de Laurent le Magnifique, qui fut pour moi la révélation de tout un monde et des sources de ce monde. Je fus témoin des heureux effets de ses contribuions aux débats lors des séminaires, à Tours, sur l'histoire de l'architecture, et quand il présidait les réunions du comité scientifique du Centre Palladio, à Vicence. Là, cependant, son attention et sa patience à l'égard des interventions de ses collègues fléchissaient sensiblement quand approchait l'heure du déjeuner, qui signifiait, en ces jours heureux, un excellent repas au restaurant très bien nommé Scudo di Francia [L'Écu de France\.
Tels sont les souvenirs, tantôt significatifs, tantôt insignifiants, mais souvent révélateurs de moments, de motivations, de personnalités ou de circonstances déterminant des événements qui, autrement, resteraient ignorés. Toutefois, un projet aussi complexe que celui d'évaluer l'apport d'André Chastel en tant qu'historien, exige des recherches, des entretiens avec ses collaborateurs et des témoins directs, l'étude précise des lettres qu'il a reçues - aujourd'hui conservées à la Bibliothèque de l'INHA, à Paris - et de celles qu'il a écrites et que gardent différentes personnes et institutions. Ce travail est déjà entrepris, grâce aux efforts d'Eva Renzulli, de Laura de Fuccia et de Marco Calafati. Beaucoup de nouveaux éléments de réflexion ont aussi été apportés par Isabelle Balsamo, Jean-Pierre Babelon, Sabine Frommei, Maurizio Ghelardi, Jean Guillaume, Michel Hochmann et Claude Mignot, lors de l'important colloque André Chastel (1912-1990). L'histoire de l'art et l'action publique qui s'est tenu à Paris les 29 et 30 novembre, et le 1er décembre 2012.
Mais s'il est trop tôt encore pour prendre toute la mesure de l'historien que fut Chastel, il est possible d'esquisser un aperçu provisoire de son oeuvre, laquelle est immense, composée d'articles sur des sujets spécifiques, et de livres qui présentent les principaux résultats de ses travaux. Si nous cherchons « André Chastel » dans le Kubikat [qui met en ligne les bibliothèques du Kunsthistorisches Institut, à Florence, du Max-Planck-Institut, à Munich (Zentralinstitut fur Kunstgeschichte) et de la Bibliotheca Hertziana, à Rome], nous trouvons plus de six cents entrées, soit une énorme quantité, même si l'on tient compte du fait que s'y trouvent des revues et des articles sur les travaux de Chastel. Celui-ci fut un chercheur hautement professionnel, expert dans la lecture des oeuvres d'art, servie chez lui par une remarquable maîtrise de la bibliographie relative aux sujets qu'il traitait. Sa participation à de nombreux colloques et séminaires (et notamment ceux sur l'histoire de l'architecture, à Tours et à Vicence) montre aussi qu'il se tenait au courant des idées et découvertes nouvelles bien avant qu'elles ne fussent publiées.
Chastel était aussi un latiniste, qui, depuis sa jeunesse, admirait les poètes latins, et il usait d'une méthode qui lui permettait de lire les textes de très près, - une approche qu'il appliqua au monde des images, avec l'aide de ce qu'il avait appris à Londres de Panofsky, de Warburg et des collaborateurs de ce dernier. Même s'il ne travaillait pas lui-même dans les archives, de telles recherches occupent une place éminente dans des projets pour lesquels il joua un rôle central : en témoignent les volumes consacrés à deux des plus beaux bâtiments de Rome, le palais Farnèse et la Villa Médicis2. De même, s'il n'avait pas une formation d'architecte, il était fasciné par ces bâtiments, par la complexité de leurs histoires et de leurs structures. Je me souviens de merveilleuses visites avec lui, au palais Farnèse et à la Villa Médicis, depuis les pièces sous les toits jusqu'aux caves : il se plaisait à faire remarquer les fondations romaines sous le palais Farnèse, et les grandes poutres, enlevées à l'ancienne basilique Saint-Pierre, servant à porter le toit du même palais. Il était également passionné par l'archéologie du Louvre.
Indépendamment de ses écrits, Chastel apporta d'importantes contributions aux études d'histoire de l'art. La création de la Revue de l'Art est l'une d'elles. Une autre fut la transformation, quand il était président du comité scientifique du Centre Palladio, à Vicence, du petit mais respectable Bollettino en une revue d'un format plus généreux et ouverte aux contributions touchant à tous les aspects de l'histoire de l'architecture, les Annali di Arcbitettura, - qui devinrent tout de suite et demeurèrent l'une des principales revues dans leur domaine.
Chastel s'intéressa très tôt aux sujets qui allaient l'occuper sa vie durant, des sujets pour lesquels il fut influencé par l'approche d'Aby Warburg et de ses collaborateurs. Son premier article écrit après la guerre, « Melancholia in the sonnets of Lorenzo de' Medici », fut publié dans le Journal of the Warburg and Courtauld Institutes en 1945. Son Marcile Ricin et l'art (1954 ; c'est un ouvrage sans illustrations) allait au delà des limites conventionnelles de l'histoire des idées ou de l'histoire de l'art. Ce livre n'aurait pu être écrit sans l'étroite relation que Chastel entretenait avec l'Institut Warburg, à Londres, et appartient au même moment de recherches historiographiques que l'ouvrage révolutionnaire de Wittkower Architectural Principles in the Age of Humanism ( 1949), qui établit un lien entre l'architecture de la Renaissance et le néoplatonisme3. Dans le livre qu'il tira de sa thèse de doctorat, Art et humanisme au temps de Laurent le Magnifique (1959), Chastel jette de même un pont entre les idées et les arts - y compris l'architecture - de cette époque. Même s'il a été écrit avant les recherches des dernières décennies sur la société florentine et le mécénat au temps de Laurent le Magnifique, et conséquemment surestime le rôle de celui-ci dans l'architecture, ce livre reste un ouvrage de référence fondamental.
D'un point de vue littéraire, Le Sac de Rome (édition anglaise en 1983, française en 1984) peut être considéré comme le chef-d'oeuvre de Chastel : par son style, ses idées, son plan, ce livre est une importante contribution au débat sur la question, à la fois essentielle et complexe, des dernières phases de la Renaissance italienne4. Il témoigne d'une claire conscience de l'énormité de l'événement : la ville qui, sous les papes Jules II et Léon X, avait été le grand centre artistique et architectural de l'Italie, est brutalement mise à sac en 1527 et va rester occupée pendant de longs mois par une armée de soudards - des mercenaires protestants pour une part - soumis à nulle discipline ni contrôle. En écrivant sur ce sujet, Chastel savait qu'il choisissait un événement-clé intéressant à la fois la religion, le pape et l'empereur, les idées et l'imagerie populaires, et le destin du grand art et de la culture. Il savait aussi qu'il se mesurait à de grands historiens de la vie politique et culturelle de la Renaissance, depuis Vasari et Guicciardini jusqu'à Burckhardt, mais aussi, pour ce qui concerne la méthode, Panofsky et Warburg d'un côté, et, d'un autre côté, les tenants d'une histoire non narrative illustrée par Fernand Braudel (que Chastel connaissait et auquel il dédia un article) et Jean Delumeau5.
D'un point de vue historiographique, l'un des passages-clés du Sac de Rome est celui où Chastel note que les informations apportées par Delumeau montrent que Rome s'est rapidement remise, en termes de démographie et d'activité économique, de l'événement. En ce sens, le sac de Rome n'aurait été qu'un accident passager, sans conséquences ni signification particulières. Chastel s'avise qu'une autre sorte d'histoire était nécessaire pour comprendre la pleine signification de l'événement : il étudie alors la littérature et notamment les publications populaires, l'imagerie dans les estampes et les illustrations des livres de l'époque, les commentaires des contemporains et les graffiti protestants tracés par les soldats dans les Chambres du Vatican et à la Farnesine. Il étudie les prophéties qui annonçaient l'imminente destruction de Rome, et l'idée qui faisait de Rome une nouvelle Babylone. Il dessine ainsi une histoire de l'imagerie et des comportements, en confrontant les textes et les images afin de lire l'événement d'une manière que l'analyse statistique de la population ne permet pas. En même temps, il définit un champ valable pour la recherche historique, - un champ qui, depuis, a été exploité par des historiens travaillant sur différents pays et différentes périodes. Il est intéressant de noter que Chastel établit un parallèle entre sa propre étude des oeuvres d'art et des images populaires relatives au sac de Rome, et le célèbre livre de son ami Millard Meiss, Painting in Siena and Florence after the Black Death (dont la première édition date de 1951 ) qui analyse aussi les relations entre les arts et un événement historique traumatisant.
Quelles furent les principales réalisations de Chastel et quel est l'héritage qu'il nous laisse ?
En premier lieu, il faut évoquer son engagement à tous les niveaux en faveur de l'histoire de l'art et de l'architecture, depuis le travail fondamental de documentation et de catalogage exigé par l'Inventaire général, jusqu'aux monographies exhaustives consacrées au palais Farnèse et à la Villa Médicis, en passant par la publication de recherches nouvelles dans la Revue de l'Art et dans les Annali du Centre Palladio, et par sa participation aux débats et, là encore, à la présentation de recherches nouvelles à Tours et à Vicence, - toutes choses qui manifestent le vaste réseau de relations et d'échanges dont sa correspondance témoigne aussi. Puis il y a bien sûr son enseignement, l'attention qu'il portait aux questions de conservation, et, pour finir, ses livres et ses articles.
Le Quattrocento de Chastel, tel qu'il apparaît dans ses livres sur Marsile Ficin et Laurent le Magnifique, est dominé par la figure de Marsile Ficin, perçu avant tout comme un penseur religieux, mystique. Ce Quattrocento n'est pas d'abord celui des héros de son ami Eugenio Garin, celui de Leonardo Bruni, de Lorenzo Valla et d'Alberti, des penseurs profondément intéressés par la question du bien-être de la société, et volontiers critiques de leur temps et même de l'Antiquité. En termes d'histoire de l'art stricto sensu, le mérite de Chastel - dans ses livres les plus lus - a été d'attirer l'attention sur la multiplication des centres de production artistique en Italie, et sur l'importance de pratiques artistiques autres que la peinture et la sculpture : le vitrail, la marqueterie - étroitement liée à l'étude de la perspective -, la mosaïque et ce qu'on appelle les arts décoratifs en général. On peut se demander si cette nouvelle (et alors nullement familière) approche du système des arts au Quattrocento n'était pas influencée par la connaissance qu'avait Chastel de l'art médiéval et renaissant français. On peut aussi se demander si cette lecture de la production artistique de la Renaissance italienne n'influença pas en retour les nouvelles interprétations de l'art français du XVIe siècle proposées par Henri Zerner et d'autres chercheurs.
Dans toutes ses activités, Chastel manifestait un esprit de curiosité intellectuelle et visuelle, un désir de diffuser idées et connaissances, une générosité et un véritable enthousiasme pour l'art et l'étude de l'art, souvent suscité par l'émerveillement et la surprise qu'il éprouvait devant les créations du passé, qu'il s'agit par exemple du « tableau dans le tableau », des surfaces exemptes de toute décoration des bâtiments de Palladio, ou du culte qu'il portait à la Mona Lisa de Léonard. Ses livres sur la Renaissance italienne exercèrent une grande influence et restent toujours beaucoup lus. Des invitations à faire des conférences furent souvent à leur origine ; un cas particulièrement heureux est-il celui du Sac de Rome, un ouvrage qui résulta de l'invitation qui lui avait été faite de donner une série de conférences à Washington, à la National Gallery of Art.
Chastel était très actif et savait apporter du nouveau. Il usait de son influence, de sa stature publique, pour obtenir les soutiens nécessaires à de grands et petits projets créatifs. Son rôle public, ses réalisations et réussites publiques comptèrent peut-être davantage que son influence en tant qu'écrivain et érudit, même si, en fait, ces deux parts de son activité se recoupaient et se renforçaient l'une l'autre. Ses premiers voyages de chercheur, comme sa visite au Warburg Institute en 1934 (dont Michel Hochmann a parlé lors du récent colloque à Paris), ne résultent pas seulement, semble-t-il, d'une curiosité intellectuelle et d'un enthousiasme pour l'étude et pour l'art, mais aussi, déjà, d'une volonté de renouveler et de moderniser l'histoire de l'art. Après les destructions de la guerre, ses efforts peuvent être rapprochés de ceux de ses contemporains appliqués à réparer et à restaurer, et pas seulement dans le cadre de la reconstruction matérielle, mais aussi dans celui des études personnelles. Faire et rendre plus sûr un monde nouveau sgnifiait aussi faire et rendre plus sûres une nouvelle culture et une nouvelle Europe, - ce qui voulait dire préserver, documenter et étudier le passé de l'Europe, désormais comprise comme un vêtement sans coutures, comme un riche territoire culturel unifié où n'existe plus aucune frontière fortement tracée. Quoique fier de l'héritage culturel français (il avait l'habitude de dire que l'on voyait bien que la France était un pays de haute culture puisqu'elle produisait plus de cinq cents variétés de fromages), Chastel était à la fois un Européen et un internationaliste, nullement un nationaliste. Dans ses études sur l'art italien, comme dans ses appels, lors des séminaires et dans les publications des centres de Tours et de Vicence, à aborder l'histoire de l'architecture dans une large perspective européenne, Chastel contribua grandement à renouveler cette discipline, pour laquelle la circulation des architectes, des ouvrages et des mécènes n'importe pas moins que les frontières nationales ou linguistiques.
Les grands livres de Chastel et beaucoup de ses articles continueront d'être lus, de susciter de nouvelles recherches et d'ouvrir de nouvelles perspectives. À un moment où la confiance en l'Europe et le soutien apporté à la culture et aux études humanistes vacillent, la leçon de Chastel pourrait, et même devrait être rappelée comme un exemple et une source d'inspiration.
Howard Burns
Scuola Normale Superlore, Pisa / Centro Andrea Palladlo, Vicenza
(traduction de l'anglais : Alain Madeleine-Perdrillat)
1. Le mot est ainsi défini par Baldassare Castiglione, dans son Livre du courtisan : « c'est qu'il faut fair, autant qu'il est possible, comme un écueil très acéré et dangereux, l'affectation, et pour employer peut-être un mot nouveau, faire preuve en toute chose d'une certaine sprezzatura, qui cache l'art et qui montre que ce que l'on a fait et dit est venu sans peine et presque sans y penser. » (N. d. T.)
2. Le Palais Farnèse, Rome, École française de Rome, 1980-1982, 3 vol. ; La Villa Médicis, A. Chastel (dir.), Rome, Académie de France/École française de Rome, 1989-2010, 5 vol.
3. La connaissance approfondie du livre de Wittkower par Chastel a été discutée par Claude Mignot lors du récent colloque André Chastel (1912-1990). L'histoire de l'art et l'action publique (INHA/Collège de France, 29, 30 nov.-l" déc. 2012).
4. Pour de nouvelles contributions sur le sac de Rome et sur son interprétation par Chastel, il faut attendre la publication des actes du récent colloque international « Il Sacco di Roma (1527) », qui s'est tenu à Rome, à la Villa Médicis, Académie de France, les 12 et 13 novembre 2012.
5. J'exprime ma reconnaissance à Eva Renzulli de m'avoir fait connaître l'article de Chastel « Vasari économiste » publié dans les Mélanges en l'honneur de Fernand Braudel, Toulouse, Privat, 1973,1, p. 145-150. Quant au livre de Jean Delumeau, Rome au xvf siècle, Rome, École française de Rome, 1975, il est fondamental, comme Chastel le reconnaissait, pour la connaissance de la société romaine de cette époque.
Chastel, une histoire critique personnelle
Né en 1912 et formé à l'école d'Henri Focillon, André Chastel témoigna le plus grand intérêt pour l'art italien de la Renaissance dont il étudia avec beaucoup d'intelligence les composantes artistiques (mais aussi philosophiques et politiques) dans des ouvrages restés célèbres, notamment Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique (1959). Les aspects historiques le retenaient particulièrement, ce dont témoignent ses livres consacrés à Venise et à Florence, qui montrent l'intérêt presque exclusif qu'il portait à l'art italien. Qu'il suffise d'évoquer L'Art italien de 1955, ses recherches sur Botticelli en 1958, et, dix ans plus tard, La Crise de la Renaissance. C'est ainsi qu'il aborda de front l'interprétation décadente du maniérisme qui, née en Europe dans l'immédiat après-guerre, faisait suite aux travaux de Gustav René Hocke et d'Arnold Hauser.
En tant qu'élève de Focillon, Chastel ne pouvait abandonner la notion de contenu, liée à une extraordinaire exigence littéraire, ni, pas plus que son maître, procéder, face à la beauté formelle de telle ou telle oeuvre, à des exégèses pénétrées d'interprétations idéologiques. En ce sens, Chastel restait sur la ligne de l'iconologie d'Émile Mâle plutôt que sur celle de la tradition allemande.
Chastel fit preuve d'une grande activité autour de divers centres d'intérêt, comme le montrent ses articles dans le quotidien Le Monde, qui auront nourri toute une génération. Fondateur de la Revue de l'Art (1968), professeur d'histoire de l'art moderne à la Sorbonne, il écrivit aussi pour des journaux et plusieurs revues.
Lors de ses fréquentes visites, Chastel évoquait l'amitié de Cesare Gnudi, lequel se rendait souvent ces années-là à Princeton où il entretenait de cordiales relations avec Millard Meiss. C'est surtout pendant ces absences de Gnudi qu'il me revenait d'accueillir l'ami français et de l'assister dans ses recherches. Ce fut une belle époque, longue et heureuse, dont je tirai un grand profit, bénéficiant de l'expérience scientifique et de la méthodologie de Chastel ; elles exercèrent sur moi une influence d'autant plus importante que sa manière de lire le contenu des oeuvres me surprenait beaucoup, en raison aussi de ma tendance à un certain formalisme littéraire. Marilena Camerini nous invitait souvent à des soirées particulièrement agréables via Marsigli. La cuisine y était excellente, conforme à une tradition raffinée. La gentillesse de Marilena, qui entretenait de nombreuses relations suivies dans le monde de la culture, faisait que l'on rencontrait là des amis détenteurs de précieuses informations.
J'ai connu André Chastel lors de l'exposition de Bologne sur les Carrache. La responsabilité du secrétariat d'accueil, que j'avais déjà exercée en 1954 pour l'exposition Guido Reni, a été pour moi une chance unique de nouer des contacts et des amitiés. Je me souviens ainsi d'avoir rencontré Michel Ladotte au cours de cet été 1954. Germain Bazin l'avait chargé du convoiement à l'Archiginnasio de la Remise des clés à saint Pierre, merveilleux tableau qui, autrefois à Fano, se trouvait alors à Perpignan, où il avait été déposé à l'époque napoléonienne ; à son retour en France après l'exposition, il prit place dans la Grande Galerie du Louvre. C'est cet événement qui me permet de dater, je crois, ma rencontre avec le milieu de l'histoire de l'art, avec notamment Jacques Thuillier et les jeunes Hans Belting, Jan Bialostocki, Anton Boschloo, Irving Lavin et Donald Postner.
Chastel tenait à l'époque une rubrique dans Le Monde, qu'il conserva pendant des décennies ; ses articles se recommandaient par la diversité de leurs sujets et le talent de leur auteur. Il prêta une attention constante aux grandes initiatives de la ville de Bologne qui le conduisit notamment à faire le compte rendu de l'exposition Federico Barocci en 1975, dont j'avais la responsabilité.
L'amitié que tous les collègues étrangers, et notamment français, portaient à Cesare Gnudi (et, pour moi, grâce aussi à Irène Bizot) était immense. Rompant avec certains comportements courants, Chastel reconnaissait en Gnudi un expert indiscutable de l'histoire de la sculpture marquée par le classicisme et par l'héritage de la sculpture romaine. Ainsi, lorsque l'on retrouva, en 1977, lors de travaux de creusement pour la construction d'une banque, les Têtes des rois de Juda de la façade de Notre-Dame de Paris - des sculptures médiévales qui, après avoir été abattues pendant la Révolution, furent enfouies dans une fosse, et qui, restaurées, se trouvent aujourd'hui musée de Cluny, à Paris -, c'est à Gnudi que fut confiée leur étude. Très significative, cette décision était sans doute due à la connaissance qu'avait Gnudi du classicisme grec et romain, et de ses développements méconnus. Le lien qu'il établissait entre la beauté grecque et la sculpture romane explique que son projet d'étude fût choisi, - mais le fait de lui confier une telle tâche s'explique aussi par l'estime et la véritable amitié que l'on portait à l'homme. L'ensemble des résultats fut publié dans la Revue de l'Art.
Après notre première rencontre à Bologne, je commençai assez vite, aussi pour des raisons professionnelles, à fréquenter Chastel à Paris, où il enseignait au Collège de France. Le décor de la vénérable institution datait encore du XIXe siècle et le bureau de Chastel, plutôt exigu, avait quelque chose d'inoubliablement désuet. Un jour, il me fit entrer dans ce lieu où, en attendant d'aller déjeuner dans une célèbre brasserie située à deux pas de là, il ouvrit une petite armoire (qu'à Bologne on appelle un stracantone) et me montra, fixée par quatre punaises, la photographie prise lors de l'une de nos rencontres, au cours de la visite du château de Ponte Poledrano, siège rural de la seigneurie de Bentivoglio. On nous y voit tous deux dans la cour, sur le point de monter à l'étage découvrir les Storie del Pane d'un artiste ferrarais.
Chastel se distinguait déjà par cette cordialité lorsqu'il fonda la Revue de l'Art ( 1968), pour le premier numéro de laquelle il me chargea généreusement de faire la chronique de l'exposition Adam Elsbeimer. J'avais déjà écrit en 1963 quelques notices pour l'exposition Ideale Classico présentée à Bologne dans le cadre des Biennales d'art ancien dirigées par Cesare Gnudi, - une exposition exaltante grâce aux prêts consentis par les musées européens, et tout spécialement par le Louvre dont le directeur, Germain Bazin, qui avait abordé ce thème un an auparavant, mit à la disposition de la pinacothèque de Bologne pas moins de vingt-trois tableaux de Nicolas Poussin, outre quelques peintures de Gaspard Dughet et de Claude Lorrain. Pour la recension de l'exposition Elsbeimer, je me rendis à Francfort, au Stadel Museum, avec Sir Denis Mahon. Comme toujours avec lui, le voyage se fit en avion, alors qu'un excellent train de nuit au départ de Bologne desservait la ville allemande, où il arrivait à huit heures du matin. Ce jour-là, à l'aéroport, nous aperçûmes à travers le brouillard un avion qui avait fini sa course hors piste : c'était un appareil britannique et Mahon releva, très contrarié, qu'il s'agissait d'un appareil de Sa Majesté. Comme on peut l'imaginer, la mission que Chastel m'avait confiée m'absorba entièrement. J'étais bien décidé à être à la hauteur du défi scientifique et je voulais faire la preuve de mes talents critiques. Heureusement, la visite sur l'autre rive du Main, dans le beau musée, se révéla très positive et me fournit l'occasion de renouer avec un thème que j'avais donc déjà abordé, lors de l'exposition Ideale Classico, en analysant le milieu culturel romain.
Outre la présence de Chastel dans notre ville, que motivaient ses recherches ainsi que celles de ses élèves, je dois mentionner les fréquentes visites de Michel Laclotte et d'autres directeurs de musées ou celles, plus tard, d'Édouard Pommier, un historien non académique. Lors de la conclusion du colloque du Comité international d'histoire de l'art (CIHA), présidé par Cesare Brandi, on attribua un prix à Cesare Gnudi pour avoir dirigé, avec l'aide du restaurateur Ottorino Nonfarmale, l'exemplaire restauration de la façade de la basilique San Petronio et des célèbres sculptures de Jacopo della Quercia. Grâce aux solides liens d'amitié et à l'activité de personnalités telles que Gnudi, Chastel, Mahon, ainsi que de beaucoup d'autres scientifiques européens et d'opérateurs locaux, Bologne avait alors acquis en Europe une position de premier plan, qui répondait aux ambitions de l'administration de la commune et de la région.
Après la guerre et la captivité, Chastel parvint à exercer, grâce à ses articles dans divers journaux et revues, un véritable magistère critique et une réelle influence sur un vaste public, qui correspondait à sa volonté d'assurer une bonne circulation de l'information et d'affiner autant que possible sa pensée méthodologique et historique. Il croyait profondément au rôle de la formation - ce qui est typique de l'après-guerre -, qui devait entraîner une meilleure vision critique et historique et une meilleure organisation des administrations, dans le domaine de la restauration et de la conservation. Dans le cadre de cette réflexion institutionnelle (qui, hélas, s'est aujourd'hui dissoute dans l'économisme), il s'intéressait de près aux structures que constituaient les surintendances conçues à l'époque de Giolitti et mises en oeuvre sous une forme décentralisée par Corrado Ricci1. Le traitement des questions au niveau national restait alors lié à une véritable attention portée aux réalités locales.
Chastel aborda avec beaucoup d'attention et de méthode la question de l'iconologie, comme en témoignent des oeuvres de jeunesse comme son livre sur Marsile Ficin, issu de sa première Histoire de l'art (1954), et Europe de la Renaissance (1963), qu'il écrivit avec Robert Klein - un ouvrage qu'il voulut bien m'offrir et qu'à mon tour j'ai donné à ma fille Michela. Quand, à Bonn, au congrès du CIHA, Chastel fit une conférence sur « L'image dans l'image », il traita un thème intéressant toute la culture moderne. Mais sa capacité à tracer des perspectives historiques allait bien au delà de la simple analyse des oeuvres d'art et de leurs aspects formels. Sa bonne connaissance de l'époque moderne et de ses nouveaux modes culturels lui permettait d'obtenir de meilleurs résultats dans l'élaboration de l'histoire de l'art.
Son action procédait d'une approche critique servie par une finesse d'observation ellemême soumise à un souci constant de ce que la connaissance vraie exige d'efforts. La richesse de l'histoire, dont il avait un sens inné, s'en trouvait renforcée par une grande et véritable maîtrise de la discipline : l'important était d'en faire un corps vivant, comme dans l'oeuvre de Focillon, et non pas de la réduire à des notions idéologiques (comme cela arrivait souvent dans cette période d'après-guerre).
Chastel fit une rencontre importante à Padoue et à Venise, dans l'université qui avait fait connaître les travaux d'Aloïs Riegl en Italie. Il y avait là un groupe de professeurs parmi lesquels Sergio Bettini. Ce dernier, qui traduisit La Vie des formes d'Henri Focillon, avait publié son travail sous la signature de Diego Valeri, pour des raisons politiques. Des années plus tard, un jour où Chastel lui rendait visite dans sa maison de Prato della Valle (en compagnie d'un très jeune homme, Lionello Puppi), Bettini lui dit qu'il était le véritable auteur de la traduction et qu'il avait utilisé un pseudonyme afin d'en accélérer la publication. Bettini continua pendant des années à aller villa Virginie, où habitait la fille de Focillon, Hélène. Et c'est justement à Padoue que Chastel revit l'ami des années difficiles passées en captivité, Alessandro Bettagno. Ils se retrouvèrent lors de l'ouverture de la première et mémorable Biennale de Venise de l'après-guerre (1948), dont Chastel analysa les différentes sections, qui étaient véritablement « cosmopolites » (c'était la fameuse Biennale organisée par Rodolfo Pallucchini, avec un commissariat extraordinaire où figuraient Lionello Venturi, Roberto Longhi et Carlo Ludovico Raggianti), - une analyse qui lui valut le Premier Prix de la critique étrangère. Après la Libération, il commença à dresser l'inventaire de l'atelier d'Édouard Vuillard, ce qui lui permit d'écrire une monographie sur ce peintre au cours de l'été 1945. Le livre parut l'année suivante.
Chastel était donc lié à Alessandro Bettagno, alors professeur à Venise, par une vieille amitié. Avec Florence et Rome, cette ville fut l'objet de l'une des plus grandes affections de sa vie. Ses écrits sur la Sérénissime ont été recueillis après sa mort par le même Bettagno dans un livre d'une grande beauté et du plus grand intérêt. Le recueil, qui rassemble les écrits publiés dans Le Monde à partir de 1950, rappelle aussi la place éminente que Chastel occupa dans un milieu qui - grâce à Sergio Bettini, avant d'autres - avait su tirer profit de la lecture de ce livre exceptionnel qu'est La Vie des formes de Focillon (1934). La captivité partagée avec Bettagno est évoquée dans l'introduction du volume Formes, Fables, Figures, qui date de 1978 et fut traduit et publié par les éditions Einaudi en 1988. Le rôle complexe de Sergio Bettini est au coeur de l'affection que Chastel portait à Venise. Pour ma part, poussé par le culte de Focillon, je me hasardai à demander à Chastel une introduction pour la traduction du recueil Maîtres de l'estampe, que la fille de Focillon, Hélène (elle travaillait alors à l'ambassade américaine et avait épousé Jurgis Baltrusaitis), m'avait offert et pour l'édition italienne duquel elle m'accorda gracieusement tous les droits : traduit par Giuseppe Gugliemi sous le titre Grandi maestri dell'incisione, le livre parut à Bologne, aux éditions Alfa.
En Italie, la rétrospective Caravage, en 1952, marqua la reprise des grandes expositions d'étude et d'analyse critique (qui n'étaient pas livrées, comme il arrive aujourd'hui, au sensationnalisme le plus débridé) et ce fut l'occasion pour Chastel de ciseler régulièrement, dans le journal Le Monde, des chroniques sur les plus remarquables d'entre elles. Notamment sur celles qui avaient lieu dans notre pays, qu'il tenait pour sa seconde patrie, - on le constate dans le documentaire intitulé Un sentiment de bonheur (Les Films du Louvre, Edgardo Cozarinsky, 1990), qui reste un témoignage passionné et mémorable sur ses dernières années.
Un événement important fut la création en 1951 de la Fondation Giorgio Cini sur l'île de San Giorgio, - un établissement qui permit l'élargissement du cercle d'intellectuels et d'artistes où figuraient, outre Bettini, Francesco Valcanover et Giuseppe Mazzariol, Emilio Vedova et Alberto Viani. Toujours à Venise, l'amitié que Chastel entretint avec Vittore Branca lui permit d'approfondir sa connaissance du monde de la Renaissance italienne, et notamment de la Renaissance vénitienne et florentine. De tous ces échanges savants naquirent aussi des liens affectifs.
Quand je pense au caractère de Chastel, le souvenir qui me vient spontanément à l'esprit est celui d'une gentillesse innée et d'un esprit d'initiative qui se manifestait aussi bien dans le domaine public ou diplomatique que dans les relations amicales. Si ses activités se fondaient toujours sur tout un travail de préparation scientifique, il restait attentif aux avis des jeunes chercheurs, à l'égard desquels il se montrait courtois et disponible, sans cette clôture que l'on observe souvent dans les milieux académiques.
Sur le plan de la méthode, comme lui-même l'a écrit plusieurs fois, Chastel occupait une position particulière, que j'estimais propre à concilier beaucoup de choses. Sa pensée se trouvait au carrefour de la tradition allemande, avec ce qu'elle peut avoir de dogmatique, du très agile empirisme anglo-saxon, et - en simplifiant beaucoup les termes du problème - de l'expertise italienne dans le domaine de la connaissance et de l'identification des formes. À nous autres Italiens, il reconnaissait en effet cette intelligence des formes et cette maîtrise de l'attributionnisme qu'il trouvait naturellement chez Roberto Longhi. Un tel résumé peut paraître un peu sommaire mais, dans le cadre de cette évocation, il aide à comprendre comment la méthode critique de Chastel se fonde sur l'équilibre de diverses composantes, sans jamais s'enfermer dans des définitions péremptoires. C'est dans cet équilibre instable, très savant, que l'on doit reconnaître la grandeur de Chastel. Une grandeur qui se manifestait dans ses multiples activités, tant à la Sorbonne, où il fut maître assistant puis professeur, qu'au Collège de France et en de nombreux autres lieux, notamment aux États-Unis, où il donna des cours à Washington (1977), à Vicence, où il présida le Centre Palladio, et bien sûr à Rome, à l'Académie des Lincei.
Ma dernière rencontre avec lui est pour moi un très beau souvenir, par sa valeur presque symbolique. À l'occasion des célébrations du printemps 1990 au Vatican, un colloque eut lieu dans la chapelle Sixtine : Sidney Freedberg, l'un de nos grands amis, aurait dû y intervenir mais, souffrant, il fut remplacé par Kathleen Weil-Garris, qui lut sa communication. Après un bref concert à la fin de la soirée, Chastel se leva et, avec sa femme, guidé par quelque officiel du lieu, se dirigea avec lenteur et, je m'en souviens, avec une gravité et un détachement inaccoutumés, vers son appartement au Vatican. En regardant le petit groupe qui s'éloignait, j'eus presque le sentiment d'un adieu aux armes. Et de fait, André Chastel disparut deux mois plus tard, au cours de l'été 1990.
Andrea Emiliani
Accademia dei Lincei
(traduction de l'italien : Alain Madeleine-Perdrillat)
1. Giovanni Giolitti (1842-1928) fut plusieurs fois Président du Conseil du Royaume d'Italie entre 1892 et 1921. Archéologue et historien de l'art, Corrado Ricci ( 18581934) fut nommé en 1906, directeur général au ministère de l'Instruction publique. (N. d. T).
André Chastel « millimétrique »
Une amitié de toute une vie. Une amitié soutenue par un échange épistolaire jamais interrompu, intense et passionné. Toutes ces lettres nous permettaient de nous réjouir de rencontres profitables et sincères, justement parce que, riches de conseils, elles étaient de fidèles témoignages de la naissance de nos oeuvres : une correspondance qui montre bien ce qui liait étroitement la stature d'un intellectuel de premier ordre et celle d'un ami. Mais je veux ici me souvenir d'André Chastel en reproduisant le texte de présentation que l'on m'avait demandé pour un recueil de ses essais, une oeuvre posthume qui parut ensuite comme le Leonardo da Vinci d'André Chastel1 ce que l'éditeur n'aurait jamais dû faire - même s'il ne s'agit que d'un titre sur la couverture -, comme il n'aurait jamais dû permettre que tant d'illustrations soient reproduites inversées. Écarté parce qu'il fut considéré comme un portrait, « un profil perdu », et non comme un « essai » - quand la grande tradition de cette maison d'édition exigeait un essai -, mon texte fut publié plus tard, comme une recension, dans le volume de 1996 de VAchademia Leonardi Vinci.
Dans le volume de 1991 de VAchademia Leonardi Vinci, l'architecte Francesco di Teodoro a publié un essai qui s'ouvre sur cette note : « Cet essai est né de mes relations avec André Chastel, pour qui la recherche léonardesque, "même si elle est millimétrique, reste toujours attrayante". Je me réjouis donc de le dédier à la mémoire de l'illustre disparu »2.
De la simplicité d'une affirmation à caractère privé procède ici un portrait insolite, pour ne pas dire inédit, de Chastel, l'image qu'un spécialiste reconnu se garderait bien de divulguer de lui-même, conscient du fait que sa propre réputation est liée à l'étendue et à l'importance de son oeuvre, mais aussi à sa qualité de professeur raffiné qui ne peut ni ne veut perdre de vue l'ample et complexe contexte historique et intellectuel que chaque problème étudié comporte. Chastel était ainsi. Il pouvait paraître doctoral, avec ce rien de pompe qui intimide davantage que le respect et l'admiration, mais il trouvait toujours les mots - en italien, comme il préférait le faire - pour se racheter, restituer la véritable image de lui-même, qui était plus proche de celle des habitués de l'Académie de Careggi que de celle des personnes qui participaient à nos colloques internationaux.
Et quand il se trouvait, comme il arrivait souvent, dans des situations de collégialité, où les positions individuelles s'accordent en fonction d'un programme, il se révélait être un coordinateur adroit et expérimenté, capable de créer tout de suite l'atmosphère la plus propice au déroulement des travaux, mais aussi un très habile pilote pour éviter les écueils ; ainsi pour limiter une communication se prolongeant obstinément, après de nombreux et aimables rappels à l'ordre, il recourait à l'arme toujours efficace et infaillible de la plaisanterie : « Mais alors, il nous faut appeler la police ! »
H avait en fait, même s'il ne l'a jamais vraiment dit, le culte de la brièveté, mais il s'agissait d'une ligne de conduite qu'il s'imposait à lui-même, laissant aux autres son éloquent exemple à suivre. Les élèves qui s'exerçaient à la recherche apprenaient vite qu'il y a toujours trop à faire et à comprendre pour céder à la séduction du compte rendu ampoulé qui risque de se répandre comme une tache d'huile en considérations floues et inessentielles. À ses disciples qui, grâce à lui, apprenaient à aimer l'italien, il inculquait le respect de la langue maternelle qui, comme toute langue, est à la fois un instrument poétique et scientifique.
Il y avait aussi sa générosité. Toujours disponible pour prodiguer aide et conseils, avec le même élan d'enthousiasme que lorsqu'il en recevait lui-même, toujours prêt à reconnaître les mérites d'autrui, et libéral de ses propres mérites, au point de ne pas attendre la gratitude qui lui était due.
Après plus de trente années de relations amicales et confraternelles, c'est ainsi que je me le remémore. L'aspect extérieur de majesté académique était un masque que l'érudit imposait, par pudeur naturelle, à son humanité profonde, humble et affectueuse. Enquêteur passionné, capable de porter une attention scrupuleuse aux moindres détails d'une citation bibliographique - d'où l'idée gratifiante d'une recherche « millimétrique » -, André Chastel s'était approché de très près de Léonard. Et il en avait fait bien vite un objet d'enseignement, sachant qu'avec Léonard on n'a jamais fini d'apprendre.
La célébration du cinquième centenaire de la naissance de Léonard, en 1952, fut l'occasion officielle de ses débuts en tant que « léonardien ». Dans le cadre du colloque organisé en France sur Léonard et l'expérience scientifique au xvf siècle, auquel participèrent de grands savants du moment - de George Sarton à Pierre Francastel, de Giorgio De Santillana à Bertrand Gille, en passant par Elmer Belt, Raymond Klibansky et Alexandre Koyré -, André Chastel apparaît avec un texte sur « Léonard et la culture ». Placé en appendice dans les actes du colloque (en lanterne rouge, aurait-il dit lui-même), à la suite de la conclusion de Lucien Febvre, ce texte sera repris peu après dans une communication faite à Blois, lors d'un colloque international d'historiens de la Renaissance.
Et ce fut une bonne chose que sa contribution parût tout de suite, à côté de celles des plus grands historiens de la science et de la pensée venus à Paris de toutes les parties du monde. Le caractère provocant de son intervention ne se manifesta donc qu'm absentia, par les pages imprimées, et avec un effet non seulement immédiat mais propre à supporter l'épreuve du temps. C'était en fait une évaluation, qui reste valable aujourd'hui, du rapport de Léonard avec la culture de son temps. Ce texte ouvrait la voie aux travaux d'Eugenio Garin, parus en 1954, sur la culture florentine à l'époque de Léonard, et à l'étude de Carlo Dionisotti, publiée en 1962, sur « Léonard homme de lettres ».
Aussi est-il juste que, dans ce recueil de textes sur Léonard, savamment composé par Giancarlo Coccioli, cette contribution prophétique soit placée en tête, à cause de la position qu'elle occupe chronologiquement, mais aussi des réflexions qu'elle suscite par rapport au texte qui la suit, l'un des derniers essais de Chastel, rédigé exactement trente ans plus tard, en 1982 : un texte très bref, et à bien des égards inégalé, sur les limites de la pensée scientifique de Léonard.
L'entrée de Chastel dans le monde léonardien fut tout de suite saluée par les anciennes et nouvelles forces de la recherche. À mes débuts, en 1953, j'insistais moi aussi sur la nécessité d'une méthode dont Chastel venait de démontrer la validité : « Beaucoup reste encore à étudier », écrivais-je, « et il faut au besoin entreprendre un vaste travail de révision, en étant conscients de la nécessité de tirer profit d'une simple note offrant des éléments et des considérations nouvelles, et qui, par cela même, s'avère plus utile qu'un énorme travail de compilation privé de contributions originales »3.
Chastel ne pouvait pas ne pas se reconnaître dans cette tendance qui proclamait l'importance de la simple note, célébrant l'apport de la recherche « millimétrique ». Et son essai, dont les conclusions allaient être reprises dans le grand ouvrage sur Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique, qui date de 1959, fut tout de suite remarqué pour son originalité, pour son argumentation serrée qui conduisait à des synthèses recourant à de nouvelles données factuelles passées au crible d'analyses attentives et minutieuses. Giuseppina Fumagalli, fut l'un des premiers auteurs à s'y référer, dès 1954, dans une communication sur les pièges dans lesquels on peut tomber en étudiant Léonard : elle y attirait l'attention sur une « petite découverte » de Chastel - petite, mais si riche en implications et conséquences ! « Un autre cas intéressant », écrivait Fumagalli, « est celui de la phrase "Chi pinge figura e se non pô essere lei, non la pô porre" ["qui peint une figure, si elle n'est en lui, ne la peut former": traduction de Christian Bec], que l'on croyait jusque-ici de Léonard et qui est en fait tirée, avec une légère modification, de la troisième Canzone (vers 52-53) du Convivio de Dante. Le mérite de cette petite découverte revient à André Chastel, qui s'en est servi pour étayer sa conviction que des études toujours plus minutieuses et rigoureuses permettront de délimiter et de resserrer le champ de la pensée originale de Léonard, dont la grandeur n'est à chercher que dans l'art de la peinture et de la parole »*.
Historien de l'art formé à la grande école d'Henri Focillon, Chastel envisage chaque aspect de l'art et de la pensée de Léonard, et réalise une autre synthèse imposante : l'édition française du Trattato della pittura de Léonard, publiée en 1961, qui intègre des textes écartés de la compilation du xvf siècle. Puis il s'intéresse à Léonard architecte ; à Léonard en tant que maître, dans ses rapports avec ses élèves ; à Léonard encore présent dans la culture et la pensée de notre temps.
Tous les essais réunis dans ce volume - orchestrés comme il l'aurait fait lui-même - se placent chronologiquement et thématiquement entre deux pôles bien solides. Entre, au départ, l'enthousiasme de la recherche, et, à l'arrivée, l'approche de la synthèse, laquelle résulte d'une admirable expérience. Prononcés dans leur dimension « millimétrique », des mots sobres et modérés, qui ont la force d'un symbole.
Carlo Pedretti
Professeur émérite à l'université de Californie, Los Angeles
(traduction de l'italien : Alain Madeleine-Perdrillat)
1. A. Chastel, Leonardo. Studi e ricerche 1952-1990, G. Coccioli (éd. et trad.), Turin, Einaudi, 1995.
2. F. P. Di Teodoro, « Le "rotture de' muri" : cause, rimedi, prevenzioni », Acbademia Leonardi Vinci, IV, 1991, p. 158-170.
3. Documenti e memorie riguardanti Leonardo da Vinci a Bologna e in Emilia, Bologne, Editoriale Fiammenghi, 1953, p. XV.
4. G. Fumagalli, Leonardo ieri e oggi. Pise, Nistri-Lischi, 1959, p. 216 et note 36. En fait, le mérite de la découverte revient à Fumagalli elle-même, qui la publia dans son ouvrage Leonardo « Omo sanza lettere », Florence, Sansoni, 1939, p. 264, note 1, comme d'ailleurs le reconnaît Chastel lui-même. On peut noter que, dans les Scritti de Léonard de Vind publiés par C. Vecce, Milan, Mursia, 1992, note 1, on retrouve l'erreur commise par Fumagalli.
André Chastel et Robert Klein
J'ai eu longtemps le privilège de fréquenter assidûment André Chastel et Robert Klein. Chastel eut beaucoup d'élèves et de disciples qui ont suivi ses traces, mais Robert Klein fut un véritable collaborateur. Il était presque son contemporain et ils se sont rencontrés alors que tous deux étaient pleinement formés. Les deux hommes étaient aussi différents que possible. On se souvient d'André Chastel comme d'un homme de belle allure, un peu mondain, suffisamment à l'aise dans la bonne société parisienne pour être fier de ses origines rurales lozériennes. Éminent intellectuel, c'était aussi un organisateur auquel les institutions de l'histoire de l'art en France doivent énormément. Robert Klein ne payait pas de mine. Il était de petite taille, un peu malingre, on pourrait dire presque étiolé. Apatride, totalement démuni de biens, vivant au jour le jour, sans attaches familiales, c'était un oiseau sur la branche. Il exerçait néanmoins une sorte de fascination sur les personnes, non seulement par son esprit mais aussi par une extrême attention humaine. Son apparence ne laissait pas deviner une vie affective particulièrement intense, passionnée, et presque totalement secrète. C'était par excellence un être privé.
C'est peut-être leur extrême différence, associée à un profond respect réciproque, qui leur a permis une collaboration aussi harmonieuse. Chastel avait une relation viscérale à l'art, et particulièrement à l'architecture, tandis que Klein, qui n'avait pas à l'origine une formation d'historien de l'art, mais de philosophe, avait un point de vue surtout intellectuel. Le talent littéraire de Chastel lui servait à décrire l'effet expressif de l'art, tandis que l'écriture de Klein était avant tout analytique. Ils avaient aussi des curiosités et des opinions très différentes, mais ils se rencontraient parfaitement dans l'étude de la culture humaniste à la Renaissance. Une phrase de Robert Klein reste dans mon esprit comme caractéristique de leurs rapports, il me disait de Chastel qu'il n'avait pas une formation philosophique vraiment approfondie mais que son flair, son exceptionnelle intuition lui permettaient de pénétrer la philosophie humaniste. Le livre de 1963 L'âge de l'humanisme : l'Europe de la Renaissance est le résultat le plus complet de cette rencontre de deux pensées. La disparition prématurée de Robert Klein en 1967 marque sans doute la fin d'un chapitre dans la vie intellectuelle d'André Chastel.
Henri Zerner
Professeur émérite à l'université Harvard
La correspondance André Chastel - Roberto Longhi
L'hommage rendu à André Chastel, lors du colloque parisien des 29 et 30 novembre, et 1er décembre derniers, et la rencontre à Bologne du 12 décembre, m'ont amenée à signaler la présence à Florence, dans les archives de la Fondation Roberto Longhi, de correspondances qui ne figurent pas dans le choix d'archives des différents correspondants de Chastel fourni par l'Institut national d'histoire de l'art (INFLA).
L'LNHA faisait état de l'existence de quatorze lettres de Roberto Longhi à André Chastel (auxquelles s'en ajoutent deux) datées de 1950 à 1969, et de trois lettres d'Anna Banti, l'épouse de Longhi, à Chastel, qui remontent, elles, aux années 1970 et sont donc postérieures à la mort de Longhi. On peut remarquer - et je le fais avec plaisir - que les lettres de Longhi à Chastel ont un ton familier, différent de celui auquel nous autres ses élèves étions habitués.
La Fondation Longhi conserve cinquante quatre lettres et un billet d'André Chastel, qui représentent un ajout important aux lettres déjà connues, en ce sens qu'elles les complètent et permettent de mieux documenter les relations de travail et d'amitié que les deux érudits entretinrent de 1950 à 1969, années caractérisées par une intense activité intellectuelle.
La revue Paragone fut fondée par Roberto Longhi en 1950 avec l'intention d'assurer avec élégance la plus large diffusion d'une culture de haut niveau. C'est à cette tâche que Longhi se consacra prioritairement au cours de ces années. Les lettres montrent bien l'estime qu'il portait à Chastel et son désir de l'associer à la revue.
Les relations avec Chastel occupent une place importante dans la vie intellectuelle du grand historien italien. Les cinquante quatre lettres de son ami français mettent en évidence la longue durée de leur relation et fournissent des informations jusqu'en novembre 1969, - une date qui précède de quelques mois celle de la mort de Longhi (3 juin 1970).
De ces précieux documents il ressort que Chastel a été pour Longhi un interlocuteur important en France. À côté de lui, il faut rappeler le nom de Vitale Bloch, l'érudit russe, grand admirateur et ami de Longhi, émigré depuis de longues années à Paris avec son frère et d'autres membres de sa famille. Il est mentionné dans quelques lettres de Chastel, qui indiquent qu'ils se fréquentaient et veillaient ensemble à tenir Longhi informé de ce qui se passait et se faisait à Paris, et à lui suggérer des projets de voyage.
Cette constatation appelle une remarque préalable : pour Longhi, Paris fut toujours la principale référence culturelle et il a toujours tourné ses regards vers Paris. Un tel lien, si solide, s'était créé pour lui au cours de ses années de jeunesse et s'était maintenu quand, dans les années 1950, la culture italienne s'orientait fortement vers le monde anglo-saxon.
Grâce à ces lettres, il est possible d'entrer directement dans le vif - et dans les plis et replis - de la relation entre Longhi et Chastel. Si le Français tenait informé Longhi des nouveautés parisiennes, ce dernier comptait bien sur la collaboration de Chastel à Parajqone Arte, la revue qui, enl949, comme ces lettres le montrent également, était en cours de préparation (le premier numéro parut en janvier 1950), et pour laquelle Chastel envoya une note sur Vuillard e il destino di Mallarmé', puis , dans les "Appunti" [Notes] du numéro de novembre, un compte rendu très dense de l'exposition Trésors des Bibliothèques d'Italie présentée à Paris, à la Bibliothèque nationale. Au même moment, Longhi invitait Chastel à apporter sa contribution au volume d'écrits en hommage à Pietro Toesca qui se préparait ; ces écrits furent réunis en 1950 dans la revue Proporzioni.
Dès leurs débuts, Chastel se trouva donc sérieusement engagé dans les initiatives éditoriales de Longhi, lesquelles sont très caractéristiques de l'après-guerre. On note une confiance croissante de Longhi quand, de Florence, il envoie à son collègue français, évidemment pour le remercier de ses projets de traduction (dont il est question en 1949 et 1950), certains ouvrages qui lui manquaient, notamment le Carlo Braccesco ; de ce livre, Chastel disait qu'il lui avait fait comprendre ce qu'étaient les souvenirs parisiens de Longhi. L'envoi comprenait aussi les Ampliamenti dell'Officina ferrarese, alors difficiles à se procurer en librairie.
Les indications succintes données ici éclairent l'importance de ces lettres, qui trouvent place dans le panorama de l'intense reprise des relations culturelles entre l'Italie et la France au lendemain de la guerre.
Mina Gregori
Présidente de la Fondazione di Studi di Storia dell'Arte Roberto Longhi
(traduction de l'italien : Alain Madeleine-Perdrillat)
1. Cette note ne fut pas publiée dans Parggone Arte, mais, sous le titre « Un petit portrait de Mallarmé par Vuillard », dans Paragone Lettemtum, n° 2, février 1950, p. 40-41 (précision fournie par Eva Renzulli, N. d. T.).
Les archives et la bibliothèque d'André Chastel à l'INHA
« La vraie histoire étant mêlée à tout, le véritable historien se mêle de tout. »
Retrouvée dans ses archives parmi des notes manuscrites consacrées à son combat pour la protection du quartier des Halles à Paris1, cette citation qu'André Chastel a extraite des Misérables semble assez bien indiquée pour évoquer l'impressionnante énergie qu'il a su déployer dans ses activités de chercheur et d'universitaire, dans son magistère sur l'histoire de l'art et sur la promotion du patrimoine français dans les vingt dernières années de sa vie. Impliqué dans des institutions telles que l'École pratique des hautes études, la Bibliothèque et l'Institut d'art et d'archéologie, le Collège de France, l'Institut, le Comité international d'histoire de l'art, l'INHA, l'Institut Warburg, le Centre Palladio, la Villa Médicis, le quotidien Le Monde, mais aussi fondateur de l'APAHAU, du CRHAM, de l'Inventaire général, de la revue Art de France, de la Revue de l'Art, et maître de plusieurs générations d'historiens de l'art et de conservateurs, Chastel a laissé une documentation d'une rare richesse qui témoigne de l'ampleur de son activité d'historien de l'art et d'acteur public.
Ses archives représentent de loin l'un des plus importants fonds de l'INHA (45 mètres linéaires, totalisant 361 cartons d'archives). L'inventaire qui a été réalisé est, à ce jour, le plus détaillé de nos collections d'archives, avec 5200 notices créées sur la base AGORHA2.
À la lecture des pièces du fonds et des correspondances échangées, c'est toute l'histoire de l'art et les débats qui l'ont animée de 1935 à 1990, en France et à l'étranger, qui s'offrent au chercheur.
Historique du fonds
Le fonds, tel qu'il est mis aujourd'hui à disposition du public, a été constitué en plusieurs étapes depuis la disparition de Chastel.
En 1992, c'est d'abord la bibliothèque de Chastel qui est acquise auprès de ses héritiers. L'INHA n'existant pas encore, c'est par la Bibliothèque nationale que cette acquisition est réalisée. L'achat de la bibliothèque, qui se compose de plus de 7 500 volumes, est financé pour moitié par la BN3, pour moitié par la direction du livre et de la Lecture, via une subvention du Fonds du Patrimoine. Il est négocié auprès de la famille Chastel dans l'idée que la bibliothèque rejoigne par la suite les collections du centre de documentation en histoire de l'art en train de se constituer sur le site Richelieu4. La bibliothèque est déménagée fin 1992-début 1993, affectée au département des Estampes et de la Photographie, et stockée dans un local située sous la salle Ovale, encore appelé aujourd'hui « Magasin Chastel ».
Fin 2004, la famille Chastel fait don à l'INHA, créé administrativement trois ans plus tôt, de l'équivalent de 81 cartons d'archives (10 mètres linéaires). Dans le même temps, la rétrocession de la bibliothèque Chastel est négociée avec la Bibliothèque nationale de France. Une convention de dépôt est signée avec l'INHA, et les 7500 ouvrages de Chastel rejoignent ainsi le fonds général de la Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet. Mais au moment de ce déménagement, un important fonds d'archives est retrouvé parmi les livres et déposé également par la BnF à l'INHA. Ce fonds, qui représente l'équivalent de 280 cartons (35 mètres-linéaires), vient quadrupler le volume initial des archives Chastel.
S'ajoute enfin à cela le manuscrit de L'Art français, conservé jusque-là chez Marie-Geneviève de La Coste-Messelière, ancienne collaboratrice de Chastel à la Revue de l'Art, qui s'était chargée de la publication posthume de l'ouvrage aux éditions Flammarion5.
Les archives Chastel se composent donc de deux fonds qui obéissent à deux régimes juridiques distincts : Io le don, constitué des 81 premiers cartons, appartenant en propre à l'INHA, 2° le dépôt, constitué des cartons 82 à 361, appartenant à la BnF, mais conservés à l'INHA. Des dossiers se trouvent parfois dispersés dans les deux parties, c'est le cas des papiers concernant le quartier des Halles par exemple, c'est aussi le cas des dossiers de correspondance, où un même correspondant peut se retrouver dans le don et dans le dépôt. Pour des questions de régime de propriété, la fusion des deux fonds n'est pas possible. Le travail d'inventaire et d'indexation dans la base AGORHA permet de pallier cette dispersion et de repérer pour un même correspondant l'ensemble des documents qui le concernent. Pour la correspondance Chastel/Malraux, la base permet de localiser ainsi la présence de trois dossiers dans le fonds : dans la correspondance-don (6 pièces), dans la correspondance-dépôt (10 pièces), et dans la série Revue de l'Art, rattachée au don (7 pièces).
Enfin, deux autres fonds d'archives Chastel existent. L'Institut Mémoire de l'édition contemporaine (IMEC) conserve à l'abbaye d'Ardenne (Calvados), dans le cadre d'une convention de dépôt avec le Collège de France (2001), les archives des chaires du Collège (cours, préparations de conférences et de colloques, documentation), dont celle occupée par Chastel de 1970 à 1984, archives qui se trouvaient dans son bureau de la place Marcellin-Berthelot au moment de sa disparition6. En outre, le Centre André Chastel (université de Paris 4/CNRS, UMR 8150) conserve les archives photographiques et diapositives que Chastel utilisait pour ses conférences au Collège de France (documentation iconographique, clichés de musées et d'agences photographiques, clichés personnels)7. Elles ont été données par le professeur Roland Recht en 2005.
Contenu
Le fonds couvre l'ensemble de la vie et des activités de Chastel de la fin des années 1920 à 19908.
On constate une certaine différence de contenu entre les archives du don et celles du dépôt. Les premières comportent des papiers qui touchent plus étroitement à la personne de Chastel et fournissent davantage d'éléments biographiques : cahiers d'écolier, écrits poétiques, cours du lycée Louis-le-Grand, cours d'histoire de l'art en Sorbonne (H. Focillon), service militaire, carrière en lycées (1937-1951), fonctions professorales et administratives dans les grandes institutions (EPHE, Institut d'Art, Centre Palladio, CIHA, Villa Médicis), photographies, curriculum vitae, carnets de voyage. On compte bien quelques cartons de dossiers documentaires et en rapport avec ses publications (dossier sur Art et humanisme, sur L'Art français), mais en quantité limitée. À l'inverse, hormis l'intéressant dossier autobiographique qui comporte le texte « Pour me présenter un jour », les papiers du dépôt concernent essentiellement la documentation rassemblée par Chastel pour ses cours, ses conférences et ses publications. La majorité des cartons contiennent des dossiers thématiques ou monographiques sur telle ou telle question artistique.
La genèse et le développement des travaux de recherche de Chastel peuvent être bien documentés, depuis ses premières notes jusqu'à la réception de l'ouvrage : notes de lecture et réflexions (souvent couchées sur de petits papiers, format A5 ), rédaction manuscrite du texte, version dactylographiée, épreuves, tirés à part, coupures de presse et courriers reçus à propos de l'ouvrage9. Un ensemble important de documents concerne la genèse des travaux de Chastel sur le quartier des Halles à Paris, qui aboutira à plusieurs publications, dont le célèbre Système de l'architecture urbaine : le quartier des Hallet0, et au combat qui s'ensuivit sur la scène publique pour sa protection. On conserve ainsi notes bibliographiques, études monographiques de l'urbanisme parisien (« La rue de la Ferronnerie », « L'üot du Roule »), textes dactylographiés des membres du groupe de recherche que Chastel avait constitué (R.C.P. n°10, « Recherches méthodologiques et enquête sur l'architecture et l'habitat : le quartier des Halles »), préparation de la publication des travaux dans le Bulletin monumental1. On conserve aussi l'ensemble des courriers (appel passionné des lecteurs du Monde12, courriers du Club Jean-Moulin, de l'Union des Champeaux, etc.), appels à pétitions13, réunions publiques, invitations à conférences, coupures de presse (notamment les articles de Pierre Trey dans le Monde) en lien avec les tentatives de protection du quartier suite aux projets de « rénovation » des édiles parisiens14.
Sa correspondance, qui représente près de 40 cartons d'archives sans compter les lettres qui ont été conservées dans les dossiers thématiques, constitue l'un des aspects les plus intéressants du fonds15. Elle témoigne de l'aura internationale de Chastel et ce qu'on pourrait appeler son magistère sur toute une génération d'historiens de l'art français à partir des années 1960. Chastel a ainsi correspondu avec plus de 2 000 personnes, en France et à l'étranger. Les lettres sont rédigées en français, en italien, en anglais et en allemand. Afin d'obtenir copies de certaines lettres adressées par Chastel, des demandes ont été effectués avec les institutions étrangères conservant les correspondances d'autres personnalités de l'histoire de l'art du XXe siècle. On a ainsi obtenu copies des lettres de Chastel à Sergio Bettini (université Ca'Foscari, Venise), Erwin Panofsky (Archives of American Art), Nikolaus Pevsner, Leo Steinberg, Douglas Cooper (Getty Research Library, Los Angeles). Ces échanges se poursuivent.
Classement
La bibliothèque Chastel a été traitée par le service du Développement des collections de la Bibliothèque de l'INHA, dirigé par Catherine Brand, les archives par le service du Patrimoine dirigé par Dominique Morelon. Chaque titre de la bibliothèque a été identifié dans le catalogue comme ouvrage du fonds Chastel et estampillé « Fonds Chastel/dépôt BnF ». Les notes glissées par Chastel entre les pages de ses livres ont été extraites pour des questions de conservation et de communication des documents, et jointes aux archives Chastel. Repérables par la cote de chaque ouvrage, elles sont consultables au même titre que les archives, selon les conditions de consultation des documents patrimoniaux.
Dans le cadre d'une convention entre l'INHA et l'École pratique des hautes études, le classement des archives a été supporté financièrement par les deux institutions et effectué en 2005-2006 et en 2010-201216. Les archives entrées à l'INHA étaient conservées dans l'appartement parisien d'André et Paule-Marie Chastel. Elles sont arrivées sans classement, hormis quelques dossiers qu'on sait tenus par Chastel lui-même ou ses collaborateurs, notamment M.-G. de La Coste-Messelière pour la Revue de l'Art et L'Art français, A.-M. Lecoq pour les papiers concernant le Collège de France qui se trouvaient au domicile de Chastel et qui n'ont pas rejoint l'IMEC, et C. Lorgues. On trouve également dans le fonds des papiers provenant de Paule-Marie Grand (cartons 77 et 78) et de Robert Klein. Ceux-ci ont été récupérés et classés par Chastel après le suicide de Klein en 1967 (cartons 78 à 81 )17.
Les archives de chercheurs sont souvent difficiles à classer du fait que l'on ne sache pas toujours à quelle publication, à quelle conférence ou quel cours rattacher les notes manuscrites et la documentation rassemblée. Le principe archivistique de respect des fonds (respect de la provenance d'un fonds d'archives et du classement des documents qui le composent) a déterminé le classement des archives Chastel. Principe d'autant plus important à suivre que l'INHA conserve des fonds qui se complètent. Aux archives d'André Chastel, répondent celles des chercheurs avec lesquels Chastel a collaboré au cours de sa carrière : Marcel Aubert (archives 2), Louis Grodecki (archives 20)18, Francis Salet (Archives 108), Jacques Thuillier (archives 51), mais aussi Maurice Besset (archives 124), Jean Feray (archives 130), Pierre Francastel (archives 43) et Charles Picard (archives 30).
Le colloque André Chastel. L'histoire de l'art et l'action publique, qui s'est tenu à l'INHA et au Collège de France les 29 et 30 novembre et le 1er décembre 2012, a bien montré tout le parti qu'on pouvait tirer de l'exploitation de ces archives. Aujourd'hui mises à disposition du public, elles vont permettre d'alimenter les travaux de recherche sur l'histoire de l'art du XXe siècle.
Sébastien Chauffour
Conservateur, Institut national d'histoire de l'art
1. Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 267).
2. <http://agorha.inha.fr>
3. Décision modificative n° 1 au budget 1992 de la BN.
4. En 1992-1993, deux rapports commandés par les pouvoirs publics préconisent, d'une part (Rapport Fr. Benhamou), la création d'une Bibliothèque nationale des arts sur le site Richelieu, à partir des collections 1° des départements spécialisés de la Bibliothèque nationale ; 2° de la Bibliothèque d'art et d'archéologie, fondation Jacques Doucet ; 3° de la Bibliothèque centrale des musées nationaux ; 4° du fonds d'architecture de l'École nationale supérieure des beaux-arts, d'autre part (Rapport P. Encrevé) la création d'un Institut international d'histoire des arts, dont 1'assodation de préfiguration, dirigée par M. Laclotte, voit le jour le 1er janvier 1993. Fr. Benhamou, « Le projet de la Bibliothèque nationale des arts », Bulletin des Bibliothèques de France, 1993, n° 1, p. 2426 ; M. Poulain, « Le projet d'institut international d'histoire des art », ibid., p. 27-28.
5. INFIA, Procès-verbal de réception du don de M.-P. GrandGiastel du manuscrit de L'Art français, 7 décembre 2004.
6. <http://www.imec-archives.com>.
7. <http://www.centrechastel.paris-sorbonne.fr>.
8. N. Manceau et E. Renzulli, « Les archives d'André Chastel », Nouvelles de l'INHA, n° 39, avril 2011, p. 21-22.
9. Voir infra, notices 28, 41, 44. Voir aussi l'étude sur « La Tentation de saint Antoine » par L. de Fuccia, « Les archives d'André Chastel à l'INHA », communication donnée au colloque André Chastel (1912-1990). L'histoire de l'art et l'action publique (INHA/Collège de France, 29, 30 nov.-l" déc. 2012). Actes à paraître.
10. Fr. Boudon, A. Chastel, H. Couzy, Fr. Hamon, Système de l'architecture urbaine : le quartier des Halles à Paris, Paris, CNRS, 1977, 2 vol.
11. « L'aménagement du marché central de Paris et la "réformation des halles" du xvic siècle à celle du XIXe siècle », Bulletin monumental, 1.127-1 et 127-11,1969, p. 7-26 et p. 69-106.
12. « Pourquoi n'avez-vous pas proposé le principe de la conservation et de la réutilisation des Halles de Baltard ? C'est un chef-d'oeuvre de la grande architecture de fer du XIXe siècle », Lettre d'un lecteur (Fr. Laisney) à Chastel, non datée [v. 1970], Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 259).
13. « Contre le massacre du quartier des Halles. Déclaration d'écrivains et d'artistes », appel signé par Chastel, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 258, 14).
14. Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 259).
15. Voir M. Hochmann, « André Chastel, sa correspondance, ses méthodes », supra.
16. Ce classement a été réalisé par Nathalie Manceau, Eva Renzulli et Laura de Fuccia, sous la responsabilité du service du Patrimoine. Nathalie Manceau, chargée d'étude et de recherche à l'INHA en 2005-2006, a effectué le classement et l'inventaire des 81 premiers cartons d'archives et indexé la correspondance du don (cartons 7 à 22) ; recrutée par l'École pratique des hautes études (EPHE) comme vacataire scientifique en 2010, elle a ensuite classé sommairement les cartons 82 à 340 provenant du dépôt BnF et versé les données dans AGORHA. Eva Renzulli, recrutée comme vacataire par l'EPHE en 2010-2011, a repris à la pièce la correspondance du don (cartons 7 à 22), inventorié à la pièce la correspondance du dépôt BnF (cartons 340 à 361), et s'est chargée du versement de ces données dans AGORHA. Laura de Fuccia, recrutée comme vacataire par l'EPHE en 2011, a traité à la pièce la correspondance institutionnelle et les dossiers en rapport (cartons 20, 21 et 35), et la correspondance concernant Le Monde et la Revue de l'Art (cartons 31 à 34) ; elle s'est chargée du versement dans AGORHA de l'inventaire papier réalisé par Nathalie Manceau en 2005 (cartons 1 à 81). Marco Calafati, recruté comme vacataire par l'EPHE, a fait l'étude des ouvrages de la bibliothèque d'André Chastel, des notes marginales et papiers glissés dans les ouvrages. Vincent Dupanier, Solène d'Armaillé et Laura Le Coz, recrutés comme moniteurs ou vacataires par l'INHA, ont été chargés de la correction des notices AGORHA.
17. Voir cat. 60.
18. M. Tchernia-Blanchard, « Le fonds Louis Grodecki à la Bibliothèque de l'INHA », Nouvelles de l'INHA, n° 41, déc. 2012, p. 17-18.
Plan de classement
- cartons 001-005 - Papier personnels et écrits poétiques
- cartons 006-022 - Correspondance
- cartons 023-030 - Formation : enseignement secondaire, Sorbonne (H. Focillon)
- cartons 031-039 - Carrière : enseignements secondaire et universitaire ; Instituts ; activité de journaliste
- cartons 039-072 - Travaux et documentation
- cartons 073-076 - Écrits qui ne sont pas de Chastel : publications reçues, tirés à part
- carton 076 - Portraits et photographies
- carton 077 - Divers : cartes, publicités, autres articles
- cartons 077-078 - Papiers Paule-Marie Grand Chastel
- cartons 078-081 - Papiers Robert Klein rassemblés après sa mort (1967) par Chastel
- cartons 082-095 - Rôle institutionnel : EPHE, Collège de France, Villa Médicis
- cartons 096-101 - Séjours à l'étranger : voyages professionnels (Italie, Angleterre, Allemagne, États-Unis, pays de l'Est et Russie, Japon) ; invitations, programmes de conférences, correspondances, photographies
- cartons 102-104 - Notes sur la littérature
- cartons 105 - Antiquité égyptienne, étrusque, grecque et romaine : notes, documentation
- cartons 106-109 - Moyen Âge : notes, études sur la Reine de Saba
- carton 110 - Monde musulman : notes et préparation de conférences
- cartons 111-130 - Dossiers monographiques : documentation
- cartons 133-136 - Pays-Bas, Flandres, Angleterre, Allemagne : notes et documentation sur l'art
- cartons 137-143 - Le maniérisme et l'École de Fontainebleau : notes, travaux d'étudiants
- cartons 144-165 - Art français : notes et documentation, manuscrits
- carton 166 - Photographie, cinéma. Fédération internationale du film sur l'art
- cartons 167-168 - Musées, collections et marché de l'art : documentation
- cartons 169-172 - Édition et réception d'articles, ouvrages ; courriers avec les éditeurs ; ouvrages préfacés
- cartons 173-181 - Notes sur l'histoire de l'art, les historiens de l'art, dossiers sur la création d'un institut national d'histoire de l'art
- carton 182 - « Pour me présenter un jour » : notes autobiographiques
- cartons 183-243 - L'Italie : dossiers sur l'art italien, notes pour la préparation d'ouvrages
- cartons 244-255 - Architecture : dossiers documentaires, articles reçus
- carton 256 - Urbanisme : documentation, articles reçus, courriers de lecteurs
- cartons 257-259 - Urbanisme parisien : études sur l'îlot du Roule, sur les Halles, courrier reçu
- cartons 260-268 - Le patrimoine : dossiers monographiques
- cartons 269-298 - Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France : papiers administratifs, préparation de publications
- cartons 299-301 - Coupures de presse : actualités culturelles
- carton 302 - Grands formats : documentation photographique
- cartons 303-309 - Documentation iconographique : illustrations originales
- cartons 310-311 - Documentation iconographique : reproductions
- cartons 312-315 - Papiers incommunicables pour cause de détérioration
- cartons 316-339 - Publications reçues
- cartons 340-361 - Correspondance
André Chaste I Chronologie
établie par Sébastien Chauffour, Laura de Fuccia et Eva Renzulli
15 novembre 1912 Naissance à Paris
1931-1932 Licence ès-Lettres, Sorbonne
1933 Admis à l'École normale supérieure
1933 Inscrit à l'Institut d'art et d'archéologie ; travaille sur le Moyen Âge et la Renaissance, sous la direction d'Henri Focillon
Juin 1934 Certificat d'Histoire de l'art du Moyen Âge
Novembre 1933-juin 1934 Inscrit à l'École du Louvre
1934 Voyage à Londres, visite l'Institut Warburg
1934 Voyage en Italie (bourse Lavisse)
1935 Mémoire pour le diplôme d'études supérieures : Le thème de ta Tentation de saint Antoine dans l'art
1937 Agrégation de Lettres. Commence à collaborer aux Cahiers du Sud
Octobre 1937-octobre 1938 Service militaire
1938-1939 Nommé professeur au lycée du Havre
Mars 1939 Rappelé aux armées
22 juin 1940 Captivité (oflag III C de Lübben, Brandebourg)
13 février 1942 Libéré
Été 1942 Inventaire de l'atelier Vuillard. Entretiens avec Maurice Denis et Ker-Xavier Roussel
1942-1943 Auditeur au séminaire d'Augustin Renaudet, EPHE
Décembre 1942 Nommé professeur au lycée Voltaire, Paris
3 mars 1943 Mort d'Henri Focillon
1943 Mariage avec Paule-Marie Grand
1944- 1945 Professeur au lycée Marceau, Chartres
1945- 1948 Assistant à l'Institut d'art et d'archéologie
1945-1988 Chroniqueur au journal Le Monde
Septembre-octobre 1946 Voyage en Italie
Automne 1947 Séjour à Florence
Septembre 1948 Participation au 1er Colloque international pour les Arts figuratifs, Florence
1948 XXIVe Biennale de Venise. Lauréat du Prix de la critique étrangère
1948-1949 Professeur au lycée Marcelin-Berthelot, Saint-Maur-des-Fossés
28-30 octobre 1948 Participation au 1er Colloque international du CNRS, organisé par Henri Bédarida : Pensée humaniste et tradition chrétienne aux >M et wf siècles
1949 Chroniqueur à Médecine de France
27 janvier-mai 1949 Fodllon Fellow at Yale University
1949-1951 Professeur au lycée Carnot, Paris
11 juin 1950 Soutenance de sa thèse ès-Lettres
1951-1978 Directeur d'études à l'École pratique des hautes études, chaire « Histoire de la Renaissance » (succède à Augustin Renaudet)
1951 Membre du comité de direction de la Revue des Arts
1955-1970 Professeur d'Histoire de l'art moderne et contemporain, Sorbonne (succède à Pierre Lavedan)
1956 Fondation de l'Association des professeurs d'archéologie et d'histoire de l'art de l'université (APAHAU)
1957 L'Information culturelle artistique devient L'Information d'histoire de l'art
19-21 septembre 1958 Colloque Nicolas Poussin, Paris
1959 Création du Centre de recherches d'histoire de l'architecture moderne (CRHAM)
1961 Parution du premier numéro d'Arf de France Membre du Comité des Travaux historiques et scientifiques, section Archéologie et Histoire de l'art
4 mars 1964 Création de la Commission nationale chargée de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Nommé vice-président (1964-1974)
1967 Mort de Robert Klein
1968 Parution du premier numéro de la Revue de l'Art
1969 Vice-Président du Comité international d'histoire de l'art (CIHA)
1970-1984 Nommé professeur au Collège de France, chaire « Art et Civilisation de la Renaissance en Italie »
20 janvier 1971 Leçon inaugurale au Collège de France
1972 Membre du conseil d'administration de la Villa Médias
1973 Première journée d'études sur l'architecture française. Tours (« Le château à la Renaissance »)
1974-1981 Président de de la Commission nationale pour l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France
1975 Membre de l'Institut, Académie des inscriptions et belles-lettres
1976 Membre de l'Academia dei Lincei, Rome
1978 Mellon Lectures (The Sack of Rome), Washington Grand prix national des Arts et Lettres
1981 Président du Conseil scientifique du Centro internazionale di studi di architettura Andrea Palladio, Vicence
1984 Professeur honoraire au Collège de France Zaharoff Lecture (The Palace ofApolidon), Maison française d'Oxford
18 juillet 1990 Mort d'André Chastel
Bibliographie sélective
Ouvrages (hors rééditions)
-A. Chastel, Vuillard, 1868-1940, Paris, Fleury, 1946.
-Id., Marsile Ficin, Paris, Droz, 1954.
-Id., L'Art italien, Paris, Larousse, 1956, 2 vol.
- Id., Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique. Études sur la Renaissance et l'humanisme platonicien, Paris, Presses universitaires de France, 1959.
- A. Chastel et R. Klein, L'Europe de la Renaissance. L'Âge de l'humanisme, Bruxelles, Édition de la Connaissance - Paris, Les Deux Mondes, 1963.
-A. Chastel, Renaissance méridionale : Italie, 1460-1500, Paris, Gallimard, 1965.
-Id., Le Grand atelier d'Italie : 1460-1500, Paris, Gallimard, 1965.
- Id., La Crise de la Renaissance : 1520-1600, Genève, Skira, 1968.
- Id., Le Mythe de la Renaissance : 1420-1520, Genève, Skira, 1969.
- Fr. Boudon, A. Chastel, H. Couzy, Fr. Hamon, Système de l'architecture urbaine. Le quartier des Halles à Paris, 2 vol., Paris, éditions du CNRS, 1977.
- A. Chastel, Chronique de la peinture italienne à la Renaissance : 1280-1580, Fribourg, Office du Livre - Paris, Vilo, 1983.
- Id., Le Sac de Rome, 1527. Du premier maniérisme à la Contre-Réforme, Paris, Gallimard, 1984.
-Id., Musca depicta, Milan, Franco Maria Ricci, 1984.
-Id., Le Cardinal Louis d'Aragon. Un voyage princier de la Renaissance, Paris, Fayard, 1986.
-Id., La Grottesque. Essai sur I'« ornement sans nom », Paris, Le Promeneur, 1988.
-Id., L'Illustre incomprise : Mona Lisa, Paris, Gallimard, 1988.
- Id., Culture et demeures en France au xvr siècle, Paris, Julliard, 1989.
-Id., L'Art français : I, Pré-Moyen Âge, Moyen Âge ; II, Temps modernes, 1430-1620; III, Ancien Régime, 1620-1775 ; IV, Le Temps de l'éloquence, 1775-1825, Paris, Flammarion, 1993-1996.
Traductions et présentation de textes
- Laurent le Magnifique, Ambra, Chansons de carnaval, l'Altercation et Lettre à Frédéric d'Aragon, A. Chastel (éd.), Paris, La Colombe, 1947.
- Léonard de Vinci par lui-même, A. Chastel (éd.), Paris, Nagel, 1952.
- Dante, La Divine comédie, A. Chastel (éd.), Paris, Le Club du Libraire, 1958.
- Léonard de Vinci, Traité de la peinture, A. Chastel et R. Klein (éd.), Paris, Club des Libraires, 1960.
- Pomponius Gauricus, DeSculptura (1504), A. Chastel, R. Klein et alii (éd.), Genève-Paris, Droz, 1969.
- G. Vasari, Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, A. Chastel (dir.), Paris, Berger-Levrault, 1983-1987,11 vol.
Recueil d'articles
-A. Chastel, Fables, Formes, Figures, Paris, Flammarion, 1978, 2 vol.
- A. Chastel, et alii, L'Histoire de l'art. Fins et moyens (éditoriaux de la Revue de l'Art), Paris, Flammarion, 1980.
-A. Chastel, L'Image dans le miroir, Paris, Gallimard, 1980.
- Id., Reflets et regards : articles du Monde, Paris, Éd. de Fallois, 1992.
- Id., Le Présent des oeuvres : articles du Monde, Paris, Éd. de Fallois, 1993.
- Id., Architecture et patrimoine : choix de chroniques parues dans Le Monde, D. Hervier (éd.), Paris, 1994. Réédition, Paris, Éditions du Patrimoine, 2012.
Préfaces d'ouvrages
- R. Klein, La Forme et l'intelligible, Paris, Gallimard, 1970.
- Fr. de Staël, J. Dubourg (dir.), Nicolas de Staël. Lettres de Nicolas de Staël. Catalogue raisonné des peintures, Paris, Éditions du Temps, 1970.
- É. Male, L'art religieux du xviPsiècle : Italie, France, Espagne, Flandres, Paris, Armand Colin, 1984.
- J. von Schlosser, La Littérature artistique : manuel des sources de l'histoire de l'art moderne, traduit de l'allemand par J. Chavy et M. Le Cannu, mise à jour d'O. Kurz, Paris, Flammarion, 1984.
- B. Cellini, La Vie de Benvenuto Cellini : fils de Maître Giovanni, Florentin, écrite par lui-même à Florence (15001571), traduction et notes de N. Blamoutier, Paris, Scala, 1986.
Autour d'André Chastel
- Il se rendit en Italie : études offertes à André Chastel, Rome, Edizioni dell'Elefante - Paris, Flammarion, 1987.
- F. Levaillant, H. Tison, « Entretien avec André Chastel », Historiens et Géographes, n° 317, 1988 [1989] et n° 322.
- André Chastel : un sentiment de bonheur, entretien filmé avec G. Cogeval et Ph. Morel, réalisation E. Cozarinsky, Les Films d'ici, 1990. Réédition. Musée du Louvre, 1993.
- Hommage à André Chastel, numéro spécial d'Histoire de l'art, n° 12, décembre 1990.
- Hommage à André Chastel, numéro spécial de la Revue de l'Art, n° 93, 1991.
Introduction
[Cat. 1]
André Chastel. Pour me présenter un jour..., [1978].
Feuillet manuscrit. H. 29,6 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 182).
[Cat. 2]
André Chastel. « Nous autres, philologues... », propos recueillis par G. Breerette et Fr. Edelmann, Le Monde, 5 octobre 1978, p. 21.
H. 50 ; L. 32,6.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 182).
Parmi les notes, réflexions, coupures de presse rassemblées dans le dossier intitulé « Pour me présenter un jour », se trouve cet étonnant résumé biographique : « à 12 ans un saint, à 15 ans un héros, à 18 ans un poète, à 25 ans un professeur ». Cette formule réapparaît, quelque peu modifiée dans la chronologie, dans un entretien qu'André Chastel avait accordé au Monde à l'occasion de la publication du recueil Fables, Formes, Figures. L'article, paru le 5 octobre 1978 en page 21 du journal, permet d'éclairer le sens de ces notes : « Comme beaucoup de petits Français je crois, à douze ans, je voulais être un saint ; à quinze ans un héros, de préférence militaire, à dix-huit ans, un poète, à vingt-cinq ans un professeur ». Chastel s'explique : « Je n'irai pas jusqu'à dire - en souriant - que cette dernière condition réunissait quelque chose des trois autres. Mais elle signifiait la volonté de mener avec une certaine conviction la vie intellectuelle ». Le sens des autres réflexions portées sur la feuille manuscrite, à l'apparence plutôt énigmatiques. s'éclaire aussi grâce à ce même entretien de 1978. Ainsi, Chastel explicite l'idée de I'« art comme un exercice indispensable » : « Nous sommes des êtres contradictoires. Nous nourrissons en nous à la fois ce qui nous stimule et ce qui risque de nous paralyser. Dans l'art, des impulsions contraires s'organisent, et c'est là quelque chose d'essentiel au plaisir et à l'activité humaine [...]. Le savoir queje cherche est peut-être quelque chose du même ordre. Un reproche qu'on peut me faire, c'est une diversité qui va vers l'éparpillement. Comment le justifier ? C'est un besoin d'ouvrir des portes ; de regarder toujours autre chose, de déceler le scintillement de l'inconnu... ». Dans cette même feuille manuscrite, Chastel évoque aussi les liens d'amitié développés entre lui et le poète René Char (1907-1988) et l'idée de « Découverte de la continuité totale », concept sur lequel il reviendra dans « Un sentiment de bonheur » (Revue de l'Art, 1991, n° 93). [L.d.F.]
[Cat. 3]
André Chastel. Les livres qui... [1989-1990].
Quatre feuillets manuscrits. H. 29,3 ; L. 20, 5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 182).
André Chastel répond là à un questionnaire que Le Monde lui avait fait parvenir sur le thème « Les livres qui vous ont fait ». Le texte paraîtra posthume dans La Bibliothèque imaginaire du Collège de France. Trente-cinq professeurs du Collège de France parlent des livres qui ont fait d'eux ce qu'ils sont en 1990. Chastel y évoque son attirance première pour les lettres classiques, notamment les Bucoliques de Virgile, ainsi que son intérêt progressif pour les arts, notamment suscité par la rétrospective Eugène Delacroix présentée par le musée du Louvre en 1930. La fascination pour l'Italie, cette « aspiration méditerranéenne », avait été stimulée par la lecture de La Philosophie de Nietzsche d'Henri Lichtenberger (1898) et par le Nietzsche en Italie de Guy de Pourtalès (1929). En égrenant les souvenirs des livres qui l'ont plus particulièrement marqué, Chastel évoque également les oeuvres de Marcel Proust, la Tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert, l'étude sur la gravure Melencolia I d'AIbrecht Dürer par Erwin Panofsky et Fritz Saxl (1923), mais aussi la Vie des formes d'Henri Focillon (1934) et YOfficina ferrarese de Roberto Longhi (1934). [L.d.F.]
[Cat. 4]
Portraits d'André Chastel.
Quatre photographies d'identité.
Collection particulière et Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 01).
[Cat. 5]
Portrait d'André Chastel.
Photographie. H. 17,9; L. 12,7.
Collection particulière.
[Cat. 6]
Portrait d'André Chastel.
Photographie. H. 17,9 ; L. 12,7.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 13).
[Cat. 7-8]
Laurent Chastel. Portraits d'André Chastel.
Tirages d'après les photographies originales conservées dans une collection particulière.
H. 19 ;L. 12,5.
[Cat. 9-10]
Laurent Chastel. Portraits d'André Chastel.
Tirages d'après les photographies originales conservées dans une collection particulière.
H. 11,5; L. 15.
[Cat. 11]
Laurent Chastel. Vue de Ravine (Savignac-les-Églises, Dordogne).
Tirage d'après la photographie originale conservée dans une collection particulière.
H. 11,5; L. 15.
Formation et carrière
[Cat. 12]
André Chastel. Notes pour le cours d'Histoire de l'art du Moyen Âge [1933-1934].
Cahier de notes manuscrites. Sur la couverture : "André Chastel/Histoire de l'Art/H. Focillon", H. 21,8 ; L. 17.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 24).
I s'agit des notes du cours d'Histoire de l'art du Moyen Âge donné par Henri Focillon à la Sorbonne et suivi par Chastel en 1933-1934 lors de sa première année à l'École normale supérieure. L'intitulé du cours annoté par Chastel est « L'architecture gothique pendant la première moitié du xme siècle en Europe Occidentale ». Introduites par une page sur les « Principes méthodologiques de M. Focillon », les notes qui suivent mélangent texte et dessins de plans, coupes, élévations et détails des principales cathédrales gothiques françaises, allemandes, anglaises et italiennes. Les croquis architecturaux ébauchés dans les pages du cahier sont souvent complétés par des dessins sur feuillets volants et on retrouve aussi des feuillets avec des bibliographies dactylographiées fournies par Focillon. [E.R.]
[Cat. 13]
André Chastel et Henri Focillon. Composition rédigée par André Chastel pour l'obtention de son certificat d'études supérieures d'Histoire de l'art du Moyen Âge à la Faculté de Lettres de l'Université de Paris, corrigée par Henri Focillon, 11 juin 1934.
Feuillet imprimé avec notes manuscrites. H. 32 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 25).
Le thème donné était : « Que reste-t-il de l'art du xiie siècle dans l'architecture de la première moitié du xme siècle ». La copie porte la note « 14 + » et les commentaires de Focillon : « Bonne copie, malgré q[uel] q[ues] erreurs et la fin qui n'est pas au point. Q[uel]q[ue] tendance aussi à glisser des survivances aux innovations, mais l'ensemble est pensé avec fermeté, vu juste et a[ssez] b[ien] conduit ». Plus bas : « L'idée est juste, les termes impropres ». [E.R.]
[Cat. 14]
André Chastel. Notes de lecture sur Panofsky. [v. 1947].
Carnet manuscrit, 58 p. H. 22,3 ; L. 17.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (4 Mon 3697 [1]).
Dans les années 1934-1935, André Chastel trouva dans la bibliothèque de l'École normale supérieure, rue d'Ulm, l'ensemble des publications de l'Institut Warburg. Ces travaux n'étaient alors guère connus que des spécialistes. André Chastel parvint à lire un petit fascicule qui devait jouer un grand rôle dans sa vie comme il le déclara plus tard : Dürers "Melencolia /" (A. Chastel, G. Cogeval, Ph. Morel, « Entretien avec André Chastel », Revue de l'Art, 1991, n° 93, p. 79).
Dans ce carnet, Chastel note quelques réflexions et commente les points-dés du livre d'Erwin Panofsky (18921968), Studies in Iconology: Humanistic Themes in the Art of the Renaissance (New York, Oxford Univ. Press, 1939). Chastel a utilisé ces notes pour ses études ultérieures. Ce carnet doit être postérieur à 1947, date de la publication la plus récente à y être mentionnée. Chastel cite notamment les travaux de Panofsky sur Piero di Cosimo : « Erwin Panofskys Polemik gegen R. Langton Douglas Buch Piero di Cosimo » dans The Art bulletin, n°28, 1946, p. 286-289. Il mentionne quelques-unes des oeuvres de Piero comme le Vulcain et Éole et La chute de Vulcain sur Tile de Lemnos. Ce carnet témoigne du vif intérêt de Chastel pour l'oeuvre de Panofsky, confirmé par ses propres écrits et sa longue relation épistolaire avec le savant allemand (le fonds Chastel possède 8 lettres datées de 1949 à 1967 ; voir cat. 105). Chastel traduira aussi en français le célèbre texte théorique de Panofsky : « L'histoire de l'art et les disciplines "humanistes" », L'Information d'histoire de l'art, n° 3, 1958, p. 17-24, 49-55.
Chastel note également le titre d'une étude de Georg Simmel intitulée « Das Problem der historischen Zeit » (de 1916). Les dernières pages comportent des références bibliographiques concernant Filarète comme l'édition de son traité par W. von Oettingen dans les Quellenschriften für Kunstgeschichte, III, Vienne, 1890 ou l'étude de M. Lazzaroni-A. Muñoz, Filarete scultore e architetto del secoloXV, Rome, Modes, 1908. [M.C.]
[Cat. 15]
André Chastel. Étude sur La Tentation de saint Antoine, [v. 1935].
Carnet manuscrit. H. 21,8 ; L. 17.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 027).
[Cat. 16]
André Chastel. « La Tentation de Saint Antoine ou le songe du Mélancolique », Gazette des BeauxArts, XV, 1936, p. 218-229.
Tiré à part. H. 27,8 ; L. 22,6.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 061).
Ce cahier manuscrit (cat. 15) contient plusieurs notes d'André Chastel sur La Tentation de saint Antoine de Gustave Flaubert avec, entre autres, une étude du plan de la version de 1874 et sur la « formation du texte définitif » (par l'enchaînement des trois versions de 1848, 1856 et 1874), notamment sur les « suppressions » d'une version à l'autre (« par raison de goût », « par conception plus rigoureuse ») ou sur les « additions », ainsi que sur « la transformation du plan ». Ces recherches s'étendent à une enquête parallèle sur le thème en peinture, par exemple chez Hieronymus Bosch. Elles sont liées à l'approfondissement de ses recherches sur les tentations de saint Antoine dirigées par Focillon et aboutiront à l'article « La Tentation de Saint Antoine ou le songe du Mélancolique », paru dans la Gazette des Beaux-Arts en 1936 [avril 1936, p. 218-229] et par la suite, entre autres, à deux autres articles sur la Reine de Saba, parus respectivement en 1939 (« La Légende de la reine de Saba », Revue d'histoire des religions, CXIX, 1939, p. 204-225, CXX, 1939, p. 27-44 et p. 160-174) et en 1949 (« L'épisode de la Reine de Saba dans La Tentation de saint Antoine de Flaubert », The Romanic Review, 40, 1949, p. 262-267). [L. d. F.]
[Cat. 17]
André Chastel. Lettre à Henri Focillon, Antibes, 25 mai 1938.
Deux feuillets manuscrits. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 345, 050).
André Chastel, qui fut élève d'Henri Focillon (1881-1943) à partir de 1933, dira de lui qu'« il était le seul de tous les professeurs de la Sorbonne qui avait une aura, qui avait une force d'attraction pour quelqu'un d'extrêmement jeune » (« Un sentiment de bonheur », 1991, n°93, p. 79). Par cette lettre, Chastel informe son maître de ses démarches pour obtenir le poste d'enseignant à l'Institut français de Florence qu'il « a tellement désiré ». Ses projets, ses travaux ont paru satisfaisants pour la candidature, mais l'intervention de Fodllon, dont 1 se veut le fils spirituel, serait décisive. Ainsi, cette nomination ne représenterait pas seulement « un certain bien temporel », sur une terre « d'élection », mais « surtout une chance singulère offerte à l'esprit ». Chastel évoque également ses travaux sur la tentation de saint Antoine, un sujet de recherche que Focillon avait dirigé à l'École normale supérieure trois ans auparavant. Chastel juge désormais ce travail « désordonné » et d'un style « inégal », mais il explique aussi les raisons de sa fascination pour son sujet, en évoquant notamment I'« al- gèbre singulière des figures fantastiques et déréglées qu'elle [la tentation de saint Antoine], inspire ». Chastel, qui comptait poursuivre à Florence ses recherches sur le thème de la mélancolie et qui aurait souhaité « prendre rang et service » au mois d'octobre 1939 (lettre d'André Chastel à Henri Focillon, 1erjanvier [1938]), ne pourra finalement pas se rendre en Italie à cause de la dédaration de guerre. [L.d.F.]
[Cat. 18]
Henri Focillon. Lettre à André Chastel, Paris, 21 septembre 1939.
Feuillet manuscrit. H. 26,9 ; L. 20,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 011,159).
Quelques jours à peine après le déclenchement de la guerre, Henri Focillon parle avec amertume de ce conflit, le définissant comme « un déchaînement plus vaste et plus étrange que tout ce que nous attendions. C'est la guerre et quelque chose d'autre, un déplacement de peuples, une remontée des profondeurs barbares », une « invasion de la préhistoire dans l'histoire ». Ces pensées s'accompagnent, malgré tout, d'une vision teintée d'espoir : « Viendra le temps où, à Florence, étonnés tous les deux d'avoir traversé cela, nous nous entretiendrons de nos projets, de la Sabéenne, de la tristesse de la Renaissance, ce livre nécessaire, et de toutes les pensées qui, fortement, vous habitent Cette guerre ne sera pas un phénomène de rupture pour nous. [...]. Elle donnera plus de pureté à nos vues. Elle est exécrable : qu'elle soit utile, qu'elle serve ce que nous servons, et d'abord ce pays, qui dans ces heures-là, prend immédiatement conscience de sa beauté et de sa dureté ».
À la veille de son départ pour l'université Yale, où il va s'exiler tout en continuant à enseigner, Focillon est touché par la demande de Chastel qui aurait souhaité recevoir ses livres. En lui promettant de lui envoyer la Vie des formes, qui est en réimpression accompagnée d'un petit « Éloge de la main » (Paris, Presses universitaires de France, 1939), il ajoutera amicalement : « c'est moi qui vous remercie de m'associer ainsi à votre vie ». [L.d.F.]
[Cat. 19]
André Chastel. Conférences données au camp de prisonniers, [v. octobre 1940-décembre 1941].
Cahier de notes manuscrites. Soixante-six feuillets.
Sur la couverture : « Introduction générale à l'Histoire de l'Art. I. (Monde méditerranéen et monde médiéval) ». H. 20,8; L. 15.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 25).
Chastel passe environ vingt mois dans un camp pour officiers, l'oflag [Offizierslager] de Lübben Spreewald dans le land du Brandebourg. Capturé en juin 1940, il fut relâché en févrie`r 1942. Comme il le dit lui-même dans « Un sentiment de bonheur » (Revue de l'Art, 1991, n° 93) c'est ici qu'il découvrit qu'il avait le « don de la parole » : « dans ces camps d'officiers, on s'embêtait beaucoup, on jouait aux cartes, on faisait de la musique, on inventait tout ce qu'on pouvait et on faisait aussi des conférences ». Ce cahier, estampillé sur la première page du cachet de l'oflag [3 Geprüft oflag III C], contient le programme des trente et une leçons que Chastel donne d'octobre 1940 (quatre mois après le début de sa captivité) jusqu'à décembre 1941 avec titres et dates, ainsi que des schémas et notes pour les conférences, pour lesquelles Chastel traçait aussi de mémoire des illustrations, qu'on retrouve sur des feuillets volants. Sur un feuillet [f. 9/10], il dessine un schéma simplifié de la ville de Rome avec ses différentes collines et les pôles les plus significatifs pour illustrer certains aspects des trois leçons prévues sur Rome [f. 6-18]. La captivité n'interrompt pas complètement l'activité de Chastel, comme en témoignent ces conférences, mais aussi la traduction du Dürer de Wôlfflin (voir lettres de Louis Réau et Heinrich Wôlfflin, cat. 20-21), la participation à une revue, imprimée dans le camp de prisonniers, pour laquelle Chastel écrit un article sur André Gide (« Amateur des Jardins »), ainsi que d'autres cahiers, des manuscrits et tapuscrits estampillés (Archives 90, 026). [E.R.]
[Cat. 20]
Louis Réau. Lettre à André Chastel, Paris, 27 septembre 1941.
Feuillet imprimé avec notes manuscrites. H. 35 ; L. 14,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 017,065).
[Cat. 21]
Heinrich Wôlfflin. Lettre à André Chastel, Zürich, 2 novembre 1941.
Feuillet imprimé avec notes manuscrites.
H. 35 ; L. 14,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 019, 120).
Initiée lors de la captivité d'André Chastel en Allemagne, la correspondance avec Heinrich Wôlfflin (1864-1945) gravite autour de la traduction en langue française de Die Kunst Albrecht Dürers. Dans une lettre du 27 septembre 1941, Louis Réau (1881-1961) avait suggéré à Chastel de choisir cet ouvrage, au lieu de ceux de Max Dvoràk ou de Josef Strzygowski, des représentants de la Wiener Schule. La première lettre de Chastel à l'historien suisse est inconnue, mais le 2 novembre de la même année ce dernier lui fait part de son autorisation et annonce qu'une sixième édition de son livre est envisagée. Il fait allusion à une rencontre avec Réau à Berlin trente ans auparavant et souligne qu'Henri Focillon lui a envoyé La vie des formes. En remerciant Chastel de sa réponse du 10 décembre 1941, Wôlfflin s'excuse le 28 décembre suivant que le volume, épuisé, n'ait toujours pas été expédié et déconseille d'attendre la nouvelle édition, puisque son élève Kurt Gerstenberg à Würzburg, qui en est chargé, ne procédera qu'à des mises à jour dans les notes. Le 8 décembre 1942, l'historien suisse répond à une autre lettre de Chastel datée du 31 mai précédent, en annonçant l'arrivée de la nouvelle édition au début 1943. Wölfflin confirme que Gerstenberg a actualisé l'ouvrage, sans apporter des interventions significatives dans le texte. Le Suisse craint toutefois que cette présentation soit trop détaillée pour un public français et propose de donner au traducteur la liberté de couper. Il soutient en outre que ses Gedanken zur Kunstgeschichte auraient plus facilement trouvés des lecteurs. Le 16 janvier 1946 Christoph Clairmont recommandera à Chastel, en répondant à une demande de Joseph Gantner, autre élève de Wölfflin, de traduire la cinquième édition au lieu de la sixième. Le projet n'a pas connu de suite. [S.F.]
[Cat. 22]
Épreuves de l'artide « Melancholia in the Sonnets of Lorenzo de' Medici » d'André Chastel pour le volume VIII du Journal of the Warburg and Courtauld Institutes (1945).
Sept feuillets imprimés. H. 29,3 ; L. 25,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 61).
Ce petit essai est le premier temps d'une étude sur le personnage de Laurent le Magnifique et ses écrits poétiques qui, en 1947, donnera lieu aussi à la publication de ces textes traduits et annotés par Chastel sous le titre Ambra : Chansons de Carnaval, l'altercation et lettre à Frédéric d'Aragon (Paris, La Colombe). Ici, la « melencholia » de Laurent est étudiée à partir de ses sonnets du Canzoniere, avant d'être approfondie en détail dans un chapitre de la thèse d'André Chastel dédié à l'allégorie du « Pan Saturnius » peinte par Signorelli dans son Triomphe de Pan. [E.R.]
[Cat. 23]
Albrecht Dürer. Melencolia I.
Gravure au burin. H. 24,1 ; L. 18,6.
Tirage tardif de l'édition de 1514.
Ancienne collection Mariette.
Paris, École nationale supérieure des beaux-arts. Est 3518.
[Cat. 24]
Fritz Saxl. Lettre à André Chastel, Londres, 28 août 1945.
Feuillet dactyl, signé. H. 20,2 ; L. 12,6.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 018, 032).
Fritz Saxl (1890-1948) était devenu, après la mort d'Aby Warburg en 1929, le directeur de l'Institut Warburg, qu'il avait installé à Londres en 1933. Sur la recommandation de Jean Seznec, Chastel entra en relation avec lui en 1934, dans le cadre de ses recherches sur la reine de Saba et sur la mélancolie à la Renaissance. Après une interruption pendant les années de la guerre, il reprit contact avec lui dès novembre 1944, pour lui annoncer qu'il préparait désormais une thèse sur « l'action du néo-platonisme ficinesque et laurentien dans les arts ». Saxl lui demanda alors s'il voulait écrire un article pour le Journal of the Warburg and Courtauld Institutes ; Chastel lui répondit, le 9 mai 1945, que son enseignement au lycée l'en empêchait pour l'instant, mais qu'il espérait bientôt être plus libre. Saxl lui confirma alors qu'il souhaitait recevoir bientôt un texte de lui, que Ie Journal pourrait publier. [M.H.]
[Cat. 25]
Rudolf Wittkower. Lettre à André Chastel, Londres, 8 octobre 1945.
Feuillet dactyl, signé. H. 20,5 ; L. 17,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90,19,116).
Dans cette lettre du 8 octobre 1945, Rudolf Wittkower (1901-1971) demande à Chastel de lui confirmer qu'il souhaite toujours rendre l'article promis à Saxl pour le Journal of the Warburg and Courtauld Institutes et l'informe qu'il lui a envoyé l'article de Phyllis Williams « Two Roman Reliefs in Renaissance Disguise » et la seule copie des épreuves de la refonte qu'ils préparaient de « Melencolia » en demandant de la renvoyer avec accusé. Chastel enverra son article et, le 21 février 1946, Wittkower en accusera réception. La « petite note » apparaîtra en 1947 dans le volume VIII du Journal, daté de 1945, avec le titre « Melancholia in the Sonnets of Lorenzo de' Medici ». [E.R.]
[Cat. 26]
Frances Yates. Lettre à André Chastel, Londres, 8 janvier 1946.
Feuillet dactyl, signé. H. 23 ; L. 17,4.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 019, 128).
Frances Yates (1899-1981) se présente à Chastel en lui indiquant qu'elle est l'une des rédactrices du Journal of the Warburg and Courtauld Institutes. Elle lui fait part de son admiration après avoir lu son étude « Art et religion dans la Renaissance italienne. Essai sur la méthode » parue en 1945 dans la Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance. Elle espère qu'il enverra bientôt au Journal l'article qu'il a promis sur l'académie platonicienne à Florence (il s'agit en réalité de l'étude sur les deux sonnets de Laurent de Médias, qui paraîtrait dans le volume VIII, en 1947, cat. 22). Elle lui demande l'adresse d'Augustin Renaudet (qui était, alors, le directeur de thèse de Chastel), avec lequel elle souhaite entrer en contact. Chastel allait bientôt rendre compte dans Le Monde du premier livre de Yates, paru en 1947, The French Academies of the Seventeenth Century (Londres, Warburg Institute). [M.H.]
[Cat. 27]
André Chastel. « Cognosce te ipsum/Connais-toi toi-même », traduction en français d'une lettre de Marsile Ficin, [ante 1945].
Trois feuillets manuscrits. H. 21 ; L. 13,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 239).
Cette traduction provient d'un petit recueil de traductions de lettres tirées de 1'Epistolario du philosophe néoplatonicien florentin Marsile Ficin qui est à l'origine d'une étude publiée par Chastel dans la Table Ronde (n° 2, avril 1945) avec le titre « Dix lettres sur la connaissance de soi et l'astrologie, traduites et annotées par André Chastel ». Il constitue un témoignage de l'intérêt de Chastel pour l'oeuvre de Ficin, qui sera au coeur de sa thèse complémentaire Marsile Fidn et l'art-appelée par Chastel Ars Platónica I - comme de sa thèse principale : Art et humanisme à Florence-appelée Ais Platónica II. [E.R.]
[Cat. 28]
Émile Mâle. Carte de voeux à André Chastel, [ante 1950],
Carte. H. 5,5 ; L. 9,3.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 015,030).
En remerciant André Chastel pour ses voeux, Émile Mâle (1862-1954), évoque aussi sa « belle thèse sur la Renaissance ». Il n'est pas anodin que Chastel, qui s'était formé auprès de Focillon, ait pris également contact avec Mâle. Comme le rappellera Roland Recht (« L'image et le mot. André Chastel, historien de l'art », séance solennelle de l'Académie des inscriptions et belles-lettres 2012,30 novembre 2012) : « D'une certaine façon, l'enseignement et l'oeuvre d'Henri Focillon entre les deux guerres ont marqué de leur empreinte l'historiographie de l'art en France. Mais l'étude morphologique à laquelle il restreignait son enquête sur l'art médiéval, a aussi rendu plus criante une lacune, du moins pour un petit groupe de ses élèves : celle d'un lien plus serré entre ce formalisme et les études iconographiques entreprises par Émile Mâle quelques décennies plus tôt [...]. André Chastel appartient à oe groupe de "focillonniens" avides de dépasser l'horizon des motifs formels pour s'emparer des affinités qu'ils entretiennent avec les concepts ». Cette attention à l'oeuvre de Mâle sera durable ; bien plus tard, Chastel écrira la préface de L'art religieux du xvt siècle ; Italie, France, Espagne, Flandres (Paris, A. Colin, 1984), reprise des textes de la seconde édition de 1951 de l'ouvrage paru pour la première fois sous le titre L'art religieux après le concile de Trente. Étude sur /'iconographie delà fin du xvT siècle, du xvA et du xvtf siècles. Italie, France, Espagne, Flandres (Pans, A. Colin, 1932). [L.d.F.]
[Cat. 29]
André Chastel. L'Art Florentin et i'Humanisme Platonicien. Recherches sur la formation de l'art dassique, 1949.
Thèse principale dactyl, pour le doctorat ès Lettres présentée à la Faculté des Lettres et Sdences humaines de l'Université de Paris, 3 vol. : Vbl. I : L'art et la nouvelle culture, Vol. Il : Les images et les formes, Vol. Ill : L'évolution des maîtres et thumanisme platonicien, 676 p. H. 31,5 ; L 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 045).
Chastel avait commencé une thèse sous la direction d'Henri Focillon en 1938. Après la mort de son maître en mars 1943, il continuera ses recherches sous la direction de l'historien Augustin Renaudet. Il soumettra son travail en 1949 et le présentera le 11 juin 1950, comme en té- moigne un article dans Le Monde (13 juin 1950, p. 7) ; « Platon, Florence et M. Chastel dans l"'Amphi" Richelieu ». La thèse a une structure très proche de celle qui sera publiée en 1959 sous le titre Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique. Les notes et la bibliographie seront largement complétées. Elle présente quelques dessins au trait et, dans la première page du volume I, sont listées 165 planches d'images qui devaient probablement composer un volume à part. Plusieurs images numérotées mais non reliées - qu'on retrouve ensuite dans le volume Art et humanisme (1959) - sont conservées dans les archives (90, 046). [E.R.]
[Cat. 30]
Pierre Francastel. Lettre à André Chastel, Varengeville, 6 juillet 1955.
Feuillet dactyl, signé. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 012,018).
Déjà assistant à l'Institut d'art et archéologie de 1945 à 1948, et nommé directeur d'études à l'École pratique des hautes études en 1951, Chastel est élu professeur à la Sorbonne en 1955. Dans cette lettre, Pierre Francastel (1900-1970) félicite Chastel pour sa nomination car ils concouraient tous deux pour le même poste, et écrit : « Les augures m'avaient dit dès l'origine que ce serait vous - ou moi. [...] Il reste que la tâche est lourde. Mais je suis convaincu aussi que vous saurez la mener à bien. » [E.R.]
[Cat. 31]
Voyage à Moscou, décembre 1955.
Photographie. H. 17 ; L. 11,4.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 08).
[Cat. 32]
Voyage à Moscou, décembre 1955.
Photographie. H. 11,4 ; L. 17.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 08).
[Cat. 33]
Voyage en Pologne, juin 1956.
Vue prise devant la cathédrale towicz.
De g. à dr. : un homme non identifié, Stefan Kozakiewicz (conservateur du musée national de Varsovie), André Chastel, Germain Bazin, Charles Sterling, Stanislas Lorentz (directeur du musée national de Varsovie), Wladislas Tomkiewicz (professeur à l'université de Varsovie), un homme non identifié, une femme non identifiée, MichaI Walicki (professeur à l'université de Varsovie).
Photographie. H. 14,8 ; L. 11,2.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 02).
[Cat. 34]
Voyage en Pologne, juin 1956.
André Chastel dans le parc d'Arkadia à towicz. Photographie. H. 11,2 ; L. 14,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 02).
[Cat. 35]
Voyage en Pologne, juin 1956.
Vue prise au château de Nieborów à towicz (dépôt du musée national de Varsovie).
De g. à dr. de face : une femme non identifiée, André Chastel, un homme non identifié, Jan Bialostocki (professeur d'Histoire de l'art moderne à l'université de Varsovie).
Photographie. H. 11,5 ; L. 16.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 02).
[Cat. 36]
Voyage en Pologne, juin 1956.
Vue prise au château de Nieborów à towicz. Photographie. H. 11,7 ; L. 16,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 02).
[Cat. 37]
Excursion avec les étudiants de l'Institut d'art et d'archéologie, à Dijon, mai 1962.
Au centre : les trois professeurs de l'Institut : André Chastel, Pierre Demargne, Gilbert Picard, et Jacques Thuillier, assistant des trois professeurs. Photographie. H. 18,5 ; L. 23,5.
Collection particulière.
[Cat. 38-39]
Excursion avec les étudiants de l'Institut d'art et d'archéologie, à Villesavin, mai 1963.
Deux photographies. H. 8 ; L. 8.
Collection particulière.
[Cat. 40-41]
Excursion avec les étudiants de l'Institut d'art et d'archéologie, au château de Pierrefonds, juin 1965.
Deux photographies. H. 8 ; L. 8.
Collection particulière.
[Cat. 42]
Fouilles au château royal de Saint-Léger-enYvelines, octobre 1979. Portrait d'André Chastel.
Photographie. H. 16,5; L. 11,7.
Collection particulière.
[Cat. 43]
Voyage en Italie, septembre 1965.
Portrait d'André Chastel à Venise
Photographie. H. 8,9 ; L. 13,1.
Collection particulière.
[Cat. 44]
Voyage en Italie, printemps 1972. Portrait d'André Chastel au palais Farnèse à Caprarola.
Photographie. H. 12,8 ; L. 9.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 04).
[Cat. 45]
André Chastel. Journal de la Leçon inaugurale indéfiniment continué, 1970.
Carnet manuscrit. H. 15 ; L. 25.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 053).
Commencé à Ravine en juillet 1970 et poursuivi jusqu'au 22 novembre, ce journal n'a en réalité rien à voir avec le texte que Chastel prononça finalement pour sa Leçon inaugurale du Collège de France le 20 janvier 1971. Il s'y livre en effet à une série de réflexions en forme d'aphorismes sur son métier d'historien. Il cherche à situer son activité, notamment par rapport aux modèles alors dominants dans les sciences humaines (la linguistique ou la psychanalyse) : « Toute oeuvre est circonstancielle et ne peut être déduite de principes mais seulement constatée après coup. Pourquoi ? Parce que l'oeuvre d'art ne s'accomplit que dans et par une sur-détermination du complexe forme/contenu ou signifié/signifiant. Sur-dit dont on ne rend compte indirectement que par référence aux principes ». Il s'interroge sur la spécificité de son objet d'étude (l'oeuvre d'art) et de sa discipline (l'histoire de l'art) : l'historien de l'art, à la différence de l'historien, doit « réactiver » les oeuvres, leur « lecture », « un mouvement qui fait plutôt penser au rôle de l'interprète d'un texte musical, nécessairement antérieur au travail de l'historien ». On retrouve dans ce carnet la défiance habituelle de Chastel face à certains aspects de la sociologie de l'art : « L'art est un fait social. Comment ignorer cette évidence ? Le surprenant est que l'on ait cru possible de tirer de cette observation palmaire un principe d'explication, le ressort d'une nouvelle interprétation. Une partie détachée du tout et qui se présente au surplus comme un facteur actif, un aspect nécessaire de ce tout, ne sera pas plus expliqué par l'ensemble où il s'insère qu'il n'a de chances de l'expliquer ». [M.H.]
[Cat. 46]
Leçon inaugurale au Collège de France.
Réception donnée à l'Académie d'architecture, 20 janvier 1971. Discours de Julien Cain.
Photographie. H. 11,9 ; L. 16,5.
Collection particulière.
[Cat. 47]
Remise de l'épée d'académicien à André Chastel au musée des Gobelins le 7 janvier 1977.
Dijon, Imprimerie Darantière, 15 décembre 1978.
Livret imprimé. Contient deux photos couleur pleine page : l'une d'André Chastel et l'autre du pommeau de l'épée. Pages non numérotées. H. 23,3 ; L. 19.
Contient aussi deux gravures :
André Masson. Sans titre, [1978].
Gravure en taille douce, signée et numérotée XI/XV.
H. 28 ;L. 18,8.
Roger Vieillard. Éloge des humanités, [1978].
Gravure au burin, signée et numérotée XI/XV.
H. 27,5; L. 18,5.
Collection particulière.
Chastel est élu à l'Académie des inscriptions et belleslettres le 30 mai 1975 au fauteuil de l'archéologue Pierre de La Coste-Messelière. L'épée lui est remise en janvier 1977. La plaquette pour la remise de l'épée contient aussi le texte de l'allocution de Julien Cain, prononcée à l'Académie d'architecture le 20 janvier 1971 lors de la réception donnée en l'honneur de Chastel pour sa nomination au Collège de France, suivie par les allocutions prononcées à l'occasion de la remise de l'épée le 7 janvier 1977 par Charles Samaran, de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, par Roger Callois, de l'Académie française, par Cesare Gnudi, de l'Académie des Lincei, vice-président du Comité international d'histoire de l'art, et, au nom de ses anciens assistants et élèves, par Antoine Schnapper, professeur à l'université de Dijon. S'en suivent les remerciements d'André Chastel, la composition du Comité d'honneur et du Comité d'organisation. [E.R.]
[Cat. 48]
Étienne Hajdu, Michel Copin. Épée d'académicien d'André Chastel, [v. 1977].
Or et argent.
Collection particulière.
[Cat. 49]
Portrait d'André Chastel en tenue d'académicien, 7 janvier 1977.
Photographie. H. 28 ; L. 19.
Collection particulière.
[Cat. 50]
Portrait d'André Chastel en tenue d'académicien, 7 janvier 1977.
Photographie. H. 12 ; L. 9,4.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 06).
[Cat. 51]
Allocution d'André Chastel à l'Institut de France sur Léonard et Raphaël, 23 novembre 1984.
Photographie. H. 8,8 ; L. 12,6.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 06).
OEuvres
[Cat. 52]
André Chastel. « La légende de la Reine de Saba », Revue de l'histoire des religions, CXIX-CXX, 1939, tiré à part.
H. 24,2; L. 15,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 109).
La légende de la reine de Saba fit partie des premières recherches d'André Chastel. Il l'avait proposé comme sujet de doctorat à son maître Henri Focillon, mais Panofsky l'informa qu'un travail avait été déjà fait sur ce thème à New York la même année. L'attention au merveilleux dont témoigne cet article peut s'expliquer, comme Chastel l'a lui-même mentionné, par l'intérêt qu'il ressentait alors pour le surréalisme, ainsi, peut-être, que par l'influence de son camarade Roger Caillois. Il voulait cependant reconnaître « ce qu'il y avait derrière » ces mythes, comme il l'explique dans l'introduction de Fables, Formes, Figures. Il consulta à plusieurs reprises Fritz Saxl et les chercheurs du de l'Institut Warburg à ce propos, et Saxl se montra d'ailleurs enthousiaste pour son projet. Comme il le dit encore dans Fables, Formes, Figures, Chastel cherche ici à concevoir l'archéologie, puis la « poétisation » du mythe, à suivre ses diverses métamorphoses, depuis la légende éthiopienne jusqu'aux transpositions médiévales, en passant par le Coran, et il s'appuie également sur les diverses hypothèses de l'archéologie concernant l'emplacement du royaume de Saba. Chastel a indiqué que c'était Georges Dumézil qui avait transmis ce texte à Charles-Henri Puech pour la Revue de l'histoire des religions. Le tiré à part de l'INHA contient plusieurs corrections ainsi que deux fiches de notes bibliographiques manuscrites, peut-être en prévision de la reprise de l'article dans le recueil Fables, Formes, Figures, auquel Chastel songeait dès les années 40. Mais ces corrections ne furent pas retenues dans la version que Chastel fit en effet paraître dans le recueil définitif, en 1978. [M.H.]
[Cat. 53]
André Chastel. L'épisode de la Reine de Saba dans la Tentation de saint Antoine de Flaubert, [v. 1947].
Onze feuillets dactyl, et annotés. H. 28,5 ; L. 22,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 109).
[Cat. 54]
André Chastel. « L'épisode de la Reine de Saba dans la Tentation de saint Antoine de Flaubert », The Romanic Review, XL, décembre 1949, n° 4, p. 261-267.
H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 109).
Chastel, dans les années 30, travaillait à la fois sur le thème de la tentation de saint Antoine et sur la reine de Saba. C'est au croisement de ces deux sujets que se trouvait Flaubert, puisque celui-ci, dans sa Tentation de saint Antoine, faisait apparaître la reine au saint, comme une première incarnation du diable. Jean Seznec, qui était, à l'époque, l'un des mentors de Chastel, s'intéressait aussi, au même moment, à l'ouvrage de Flaubert, sur lequel il publia, en 1940, une étude intitulée Les sources de l'épisode des dieux dans la Tentation de saint Antoine. Lorsqu'il reprit contact avec Chastel après guerre, Seznec, qui était au courant des recherches de son jeune camarade, espéra pouvoir publier avec lui un deuxième volume sur ce sujet, puisque lui-même n'avait pas travaillé sur la reine de Saba. Chastel lui écrivit en 1947 pour lui dire qu'il avait en effet rédigé un article sur ce point, dont il lui envoya le manuscrit. Le 9 novembre [1947 ?], Seznec l'informa alors qu'il avait envoyé ce texte à la Romanic Review, qui le publia en 1949. Chastel le reprit ensuite dans Fables, Formes, Figures, avec ses autres articles consacrés à la légende de la reine de Saba. Les archives Chastel conservent aussi le manuscrit de cet article. Comme Seznec, Chastel essaie d'identifier quelques-unes des sources de Flaubert, notamment « la gravure célèbre de Callot que Flaubert suspendit en août 1846 au-dessus de sa table » et à inscrire cet épisode dans l'histoire générale du mythe. [M.H.]
[Cat. 55]
Roberto Longhi. Lettre à André Chastel, Florence, 6 juillet 1956.
Feuillet manuscrit signé. H. 22 ; L. 14.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 014, 126).
Chastel, en contact avec l'historien de l'art italien Roberto Longhi (1890-1970) au moins depuis 1948, entretenait avec lui de très bonnes relations et participera à plusieurs reprises à ses différents projets éditoriaux (revues Proporzioni et Paragone). Dans cette lettre, Longhi remercie Chastel pour l'envoi de L'Art italien (Larousse, 1956), un « aperçu » sur lequel celui-ci travaille depuis 1950. Appréciant la charpente et la richesse des informations de ce travail, Longhi propose à Chastel d'en publier une traduction italienne. [E.R.]
[Cat. 56]
André Chastel. Lettre à Roberto Longhi, Paris, 12 juillet 1956.
Tirage d'après la lettre originale conservée à Florence, Fondazione di Studi di Storia dell'Arte Roberto Longhi. Chastel, en réponse à la lettre de Longhi du 6 juillet, le remercie pour la proposition de faire traduire L'Art italien. Il a fait part du projet aux éditions Larousse, qui se sont montrées intéressées, et demande à Longhi à quel éditeur il pense pour la version italienne. Chastel exprime ensuite ses doutes sur le fait que ce soit lui, un Français, qui publie un livre sur l'art italien. Il est sur le point de partir pour Amsterdam, puis pour le Périgord, et invite les Longhi à Ravine. [E.R.]
[Cat. 57]
André Chastel. Lettre à Roberto Longhi, Paris, 5 octobre 1956.
Tirage d'après la lettre originale conservée à Florence, Fondazione di Studi di Storia dell'Arte Roberto Longhi. Chastel remercie Longhi pour son séjour à la maison d'été des Longhi à Ronchi di Massa, où une révision cursive à quatre mains de L'Art italien a eu lieu et qu'il définit comme une « studieuse pastorale » et la « confirmation affectueuse d'une déjà vieille amitié ». Il s'apprête à insérer des corrections supplémentaires dans l'exemplaire sur lequel ils ont travaillé ensemble. Il informe Longhi des accords entre éditeurs. Ce sera Anna Banti (nom de plume de Lucia Lopresti), la romancière et femme de Longhi, qui en fera la traduction qui sera publiée par Sansoni en 1958, sous le titre L'Arte italiana. Il signale ensuite à Longhi un compte rendu de Pierre du Colombier qui compare son Art italien au Cicerone de Burckhardt, et évoque des textes sur lesquels il est en train de travailler : un compte-rendu sur les expositions italiennes et un texte sur Caravage qui comprend une recension du livre de Walter Friedländer qu'il publiera dans la revue Cri tique (novembre 1956). [E.R.]
[Cat. 58]
André Chastel. Lettre à Charles Picard, Paris, 10 avril 1959.
Feuillet manuscrit signé. H. 21 ; L. 13,5.
Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 30, 008,01).
Les archives de l'archéologue Charles Picard (18831965), directeur de l'Institut d'art et d'archéologie (1937-1961), conservées à l'INHA (Archives 30) contiennent les pièces concernant la publication de la thèse de Chastel, Art et humanisme, parue aux Presses universitaires de France en 1959, et dédicacée à ses deux maîtres, H. Focillon et A. Renaudet. Soutenue dix ans plus tôt devant un jury qui, de mémoire des présents, avait été fort peu favorable, notamment le professeur Pierre Lavedan, la thèse avait dû être remaniée par Chastel avant d'être accueillie par Picard comme 4f volume de sa collection des « Publications de l'Institut d'Art et d'Archéologie ».
Dans cette lettre, Chastel évoque ses travaux en cours (« L'Etruscan revival du xv* siècle », Revue archéologique, avril-juin 1959, p. 165-180), et s'en remet à Picard pour le choix du titre des exemplaires de vente de sa thèse, la direction commerciale des PUF (M. Gilbert) trouvant Art et humanisme à Florence « rébarbatif », lui préférant L'Art florentin au temps de Laurent le Magnifique. D'un ton très révérencieux et filial qui pourrait surprendre pour un Chastel tout de même âgé de 47 ans et déjà fort de sa position de professeur en Sorbonne, cette lettre témoigne des rapports hiérarchiques qui existaient alors dans l'Université française, et aussi du sincère respect pour la sommité scientifique qu'était Picard. C'est finalement en faveur du titre originel, « rébarbatif », de la thèse de Chastel que Picard tranchera (lettre de P. Angoulvent à C. Picard, 23 avril 1959, Bibliothèque de l'INHA, Archives Picard 30, 008, 01). [S.C.]
[Cat. 59]
André Chastel. Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique. Études sur la Renaissance et l'humanisme platonicien, 8 juin 1959.
Bon-à-tirer de l'ouvrage paru à Paris, Presses universitaires de France, 578 p., 96 pl. H. 24 ; L. 19.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 30, 008).
En 1959, Chastel publia enfin, sous le titre Art et humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique, la thèse qu'il avait soutenue en 1950 sous la direction d'Augustin Renaudet et à laquelle il avait commencé à travailler pendant la guerre, après avoir abandonné plusieurs autres projets. Il s'agit d'un ouvrage extrêmement ambitieux : au-delà de la Florence de la fin du xv* siècle, il étudie l'influence que ses artistes, ses penseurs et ses commanditaires ont pu exercer dans toute l'Italie (le Cambio de Pérouse, la chapelle Saint-Brice d'Orvieto, et les grands chantiers du règne de Jules II, avec Michel-Ange, Bramante et Raphaël). Comme il l'avait déjà exposé dans un grand article de la Bibliothèque d'Fiumanisme et Renaissance (« Art et religion dans la Renaissance italienne : essai sur la méthode »), Chastel prétendait réviser de manière critique les mythes que l'historiographie avait attachés à cette période. Ce qui caractérise surtout cet ouvrage, c'est sa volonté de préférer à l'ample synthèse d'un Burckhardt une série de petites monographies autour de points saillants ou d'épisodes révélateurs, comme le rôle des collections du palais Médicis ou le décor du palazzetto de Bartolomeo Scala. C'est aussi la diversité des approches et des méthodes, comme Chastel le revendiquera dans l'introduction à la nouvelle édition de l'ouvrage en 1981 : il voulait en effet « essayer de montrer [...] que les termes mêmes de l'étude : oeuvres, thèmes, problèmes... présentent des aspects différents, selon les points de vue qu'il faut s'imposer d'adopter [...] Toutes les faces de la discipline pouvaient ainsi apparaître l'une après l'autre, avec une tonalité, une problématique, des exigences propres, et, même, à la limite, comme les épisodes de l'Ulysse de Joyce, un style, des moyens d'expression, une couleur, un ton littéraire particulier ». [M.H.]
[Cat. 60]
Robert Klein. Lettre à André Chastel, s. I., 18 août [1962],
Trois feuillets dactyl. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 078).
André Chastel fut, dès qu'il le rencontra, très impressionné par la pensée de Robert Klein (1918-1967). C'est donc à lui qu'il adressa, en 1962, le projet d'une étude sur la méthode en histoire de l'art, comme il l'expliqua lui-même dans l'introduction de La Forme et l'intelligible (Paris, Gallimard, 1970), le recueil des articles de Klein qu'il fit paraître après la mort tragique de celui-ci (Klein se suicida à Florence en 1967). Nous n'avons malheureusement pas retrouvé l'esquisse à laquelle Chastel fait allusion, mais il avait conservé, dans ses papiers, cette longue lettre en réponse de son ami. Il évoque encore cet échange épistolaire dans l'introduction dont nous venons de parler : « Il en résulta un échange de lettres et dans ses critiques [celles de Robert Klein] un flot de remarques où se trouvent exposées avec une force que je n'ai jamais retrouvée ailleurs quelques-unes des difficultés majeures de ces recherches ». Klein commente en effet de manière détaillée le plan de Chastel. Il y interroge la notion de chef-d'oeuvre et de style, dont Chastel voulait faire des « postulats », évoque les grilles et les cadres principaux de l'histoire de l'art (« la seule réalité avec laquelle opère l'historien de l'art est son instrument, son système de grilles et de cadres - soit systématiques, comme les catégories de Riegl, Wölfflin, etc., soit déjà historisés comme ceux qui découlent des différents Zeitgeister etc., soit psychologisés, ou sociologiques, soit - surtout - complexes et adaptés aux oeuvres et aux milieux, et différenciés jusque dans le sens de la théorie de l'information selon Gombrich »). Il y commente aussi, de manière légèrement ironique, la façon dont Chastel prétendait placer l'histoire de l'art au sommet des sciences humaines en faisant communiquer sa discipline « avec la sociologie, l'anthropologie... » [M.H.]
[Cat. 61]
Portrait de Robert Klein, [v. 1965].
Photographie. H. 8,3 ; L. 11,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 078).
[Cat. 62]
Carlo Pedretti. Lettre à André Chastel, Los Angeles, 24 mars 1963.
Feuillet dactyl. H. 28 ; L. 21,6.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 193).
Dans sa lettre du 24 mars 1963, Carlo Pedretti attire l'attention sur ses études des scénographies théâtrales conçues par Léonard à Milan pour Charles d'Amboise et sollicite le point de vue d'André Chastel. Il ajoute le tapuscrit de son article concernant l'architecture des fêtes, traitant des croquis figurant en bas de la feuille 315-a-b du Codex Atlanticus (315-r-b), dont la publication est prévue dans un des numéros suivants de la Gazette des Beaux-Arts. En insistant sur la nécessité de recherches quant à la relation entre constructions permanentes et éphémères, il conclut que la villa en tant que lieu de représentations théâtrales s'avère un thème fécond pour les études sur la Renaissance. Il espère rencontrer Chastel lors d'un voyage en Europe en juin et se rendre avec lui au château de Romorantin où il souhaite vérifier des idées sur les projets de Léonard pour la résidence de François Ie' (voir C. Pedretti, Leonardo da Vinci : the Royal Palace at Romorantin, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 1972).
Quant à son prochain ouvrage en cours de rédaction (C. Pedretti, On painting : a lost book [Libro A] ; reassembled from the Codex Vaticanus Urbinas 1270 and from the Codex Leicester ; with a chronology of Leonardo's « Treatise on painting », Berkeley, University of California Press, 1964), il annonce que Sir Kenneth Clark (1903-1983) a écrit un avant-propos splendide ; ce dernier souhaite préparer une nouvelle édition du catalogue de Windsor. De surcroît, il annonce que la Kress Foundation est prête à financer son projet de l'édition du Codex Atlanticus, conservé à la Biblioteca Ambrosiana, sans cacher ses craintes vis-à-vis des obstacles qui pourraient se faire jour du côté du milieu ecclésiastique. Il considère la reconstruction des feuilles et leur classement selon un ordre chronologique, comme sa propre tâche, alors que seule une équipe de spécialistes pourra répondre pleinement aux exigences variées d'une telle entreprise. Pedretti demande à Chastel d'accepter d'être l'un des éditeurs et de l'assister lors de la constitution d'un comité scientifique. [S.F.]
[Cat. 63]
André Chastel. Lettre à Carlo Pedretti, Périgueux, 11 avril 1963.
Feuillet dactyl. H. 27 ; L. 21. Lamporecchio, Villa di Castel Vitoni, Archivio Fondazione Pedretti.
Dans sa réponse du 11 avril 1963, Chastel soutient pleinement le projet de l'édition du Codex Atlanticus et recommande vivement la mise en place d'un comité scientifique, susceptible d'atténuer aussi l'influence des positions opposées. Il considère Robert Klein, nommé par le CNRS, assistant spécialisé dans le domaine des publications sur la Renaissance, comme un collaborateur idéal. En espérant que la santé de ce dernier s'améliore, il invite son collègue italien à le rencontrer lors de son séjour dans la capitale française en juin. Il ajoute que des premiers contacts ont eu lieu avec Anna Maria Brizio {Ente Raccolta Vinciana), dont l'attitude quant à la grande édition était un peu évasive. De surcroît Chastel signale son article sur « Cortile et théâtre » qui met en relief la fonction théâtrale des dispositions intérieures de la villa de Poggio Reale à Naples, de la Farnésine (conformément à l'étude de C. L. Frommei, Die Farnesina und Baldassarre Peruzzis Architektonisches Frühwerk, Berlin, De Gruyter, 1961) ou du Château Neuf à Saint-Germainen-Laye (publié d'abord dans Le lieu théâtral de ia Renaissance, études réunies et présentées par J. Jacquot, Paris, CNRS, 1964, et ensuite en Fables, Formes, Figures, Paris, Flammarion, 1978). C'est à l'École pratique des hautes études qu'il aurait commencé de telles études quelques années auparavant. En remerciant Pedretti du tapuscrit de son article, utile et conclusif, sur l'architecture des fêtes de Léonard, il énonce quelques remarques critiques. Alors que ses réflexions quant à I 'arcus quadrifrons offrent un aspect inédit, le lien avec le premier projet de Michel-Ange pour le tombeau de Jules II mérite d'être mentionné. Afin de mieux définir la fonction de la salle destinée aux représentations théâtrales lors des festivités sur le Capitole en 1513, Chastel renvoie à son ouvrage Art et humanisme (Paris, Presses universitaires de Françe, 1959, p. 70). Enfin il invite Pedretti pour un séminaire à Paris qui permettrait de discuter le problème des apparati en présence de collègues spécialisés. [S.F.]
[Cat. 64]
André Chastel, Madame Pedretti, Robert Klein, Carlo Pedretti, Paris, été 1963.
Tirage d'après la photographie originale conservée à Lamporecchio, Villa di Castel Vitoni, Archivio Fondazione Pedretti.
H. 13 ; L. 20.
[Cat. 65]
Rodolfo Pallucchini. Lettre à André Chastel, Vicence, 9 octobre 1963.
Feuillet dactyl. H. 28,5 ; L. 22.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 016, 52).
Rodolfo Palluchini (1908-1989) (président du conseil scientifique du Centre Palladio de Vicence) informe André Chastel qu'il est en train de préparer avec Renato Cevese (fondateur et directeur du Centre) le programme du VIe Corso di Storia dell'Architettura de 1964. Avant de déterminer les dates, il lui demande quand il lui sera possible de se rendre à Vicence pour la conférence inaugurale, étant donné qu'il participe à I'Internationaler Kunsthistorikertag à Bonn. La conférence, dont le thème doit graviter autour de Palladio et du palladianisme, aurait lieu au Teatro Olímpico devant un public nombreux et des autorités vicentines et vénitiennes. Pallucchini lui conseille de parler en italien. Une réponse rapide est sollicitée, puisque le conseil d'administration doit se réunir peu de temps après.
Dans un post scriptum sont définies les modalités pratiques du séjour d'André Chastel à Vicence. Le résumé de sa conférence sera diffusé parmi les participants du Corso et publié ensuite dans le Boliettino annuel du Centre. [S.F.]
[Cat. 66]
André Chastel. « Palladio et l'escalier », 1965.
Vingt-trois feuillets dactyl, et annotés. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 252, 06).
Cet article a été publié en 1965 dans le Boliettino dei Centro Internazionale di Studi di Architettura Andrea Palladio, VII, 1965, n° 2, p. 11-22.
André Chastel soutient l'hypothèse que l'escalier participe étroitement à la définition des styles et, afin de creuser le rôle de cet organe constructif dans l'oeuvre de Palladio, il met en parallèle les Quattro Ubri et ses réalisations. Les escaliers de forme ovale ou en exèdre, animés par un mouvement « concavo-convexe », tiendraient du capriccio et révéleraient la parenté du Vicentin avec la tendance « maniériste ». Plus tard, la prédilection de ce dernier pour les rampes droites, inspirées par les grands sites romains, trahirait une nouvelle vision architecturale. Le texte témoigne d'un certain nombre de corrections entreprises par l'auteur, repérables par des phrases barrées et remplacées par d'autres, tantôt entre les lignes tantôt sur les marges, alors que dans la plupart des cas il s'agit de précisions et de compléments du propos. Une note bibliographique autographe est ajoutée, qui souligne la quantité modeste d'études sur le sujet. Un passage extrait de An Outline of European Architecture de N. Pevsner (Harmondsworth, Penguin Books, 1945) est cité comme une référence utile quant à l'histoire des styles. Des rapports entre des escaliers napolitains de San Felice et ceux du baroque autrichien ont été observés par R. Wittkower dans Art and Architecture in Italy 1600-1700 (Harmondsworth, Penguin Books, 1958) et A. Blunt (référence non citée). À l'occasion d'une conférence de Chastel, à l'Institut Courtauld sur l'escalier « concavo-convexe », l'historien anglais lui avait signalé en 1957 son intérêt pour ce sujet. L'article « L'escalier de la cour ovale à Fontainebleau », prévu pour les mélanges en honneur de R. Wittkower, est enfin signalé comme une réflexion qui s'inscrit dans cette problématique. [S.F.]
[Cat. 67]
Andrea Palladio. I quattro libri dell'architettura..., Venetia, Domenico de' Franceschi, 1570, cap.
XXVIII, « Delle scalle, e varíe maniere di quelle,... », p. 64-65.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (4° Rés 8).
Cette planche, l'une des plus célèbres des Quattro Libri, dans l'exemplaire de la collection Doucet auquel Chastel avait recours, illustre l'article consacré à « Palladio et l'escalier » publié dans le Bolietino del OSA Andrea Palladio, VII, 1965, p. 11-22.
Passionné par le maître italien, président du conseil scientifique du Centre Palladio, fondateur de la revue Annali d'Architettura (1987) qui remplaça le Bollettino del OSA (1959-1987), Chastel a publié sur Palladio d'importantes études, qui ont été rassemblées après sa mort (Palladiana, Christiane Lorgues (éd.), Paris, Gallimard, 1995). En encourageant les chercheurs français (Jean Guillaume, Claude Mignot, etc.) et ses élèves de I'« équipe néo-classique » (Monique Mosser, Daniel Rabreau, etc.) à étudier sur place les monuments de Palladio et en contribuant à organiser la double exposition Palladio : sa vie, son oeuvre et L'influence de Palladio en France organisée à la chapelle de la Sorbonne et à l'Hôtel de Sully en 1975 (Les Monuments historiques delà France, n°2, 1975, p. 1-88), Chastel a grandement contribué à faire connaître son influence sur l'architecture française. [S.C.]
[Cat. 68]
André Chastel. Sac de Rome, cours au Collège de France, 1972-1973.
Seize feuillets manuscrits. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 226).
Cette version autographe d'un cours donné au Collège de France pendant l'année 1972-1973 contient des points essentiels du futur livre Le Sac de Rome (Paris, Gallimard, 1983). Le but de Chastel est d'étudier le pillage de la ville éternelle du 6 au 12 mai 1527 du point de vue « culturel » et de prendre en charge l'impact de son investissement « affectif » et passionnel. Il se fonde sur une multitude de sources (classement incomplet de documents fait par H. Schultz en 1894), des documents impériaux et pontificaux, des mémoires et chroniques, des échos dans les journaux et dans la littérature jusqu'aux élégies, chansons et représentations iconographiques (tableaux, gravures, graffitis). S'y ajoutent des témoignages des artistes, notamment de Benvenuto Cellini, de Raffaello da Montelupo ou de Giorgio Vasari. Sa triple démarche vise à analyser les images de propagande, à brosser un inventaire des oeuvres détruites ou oubliées, et enfin à étudier l'attitude des artistes dans oes circonstances exceptionnelles. En-dehors de l'étude des raisons qui ont suscité l'humiliation du Saint-Siège et des justifications théologiques, la réflexion s'intéresse aux réactions comme le regret de l'âge d'or de la période antérieure. L'événement suscitant la profanation des centres religieux signifia pour la plupart des intellectuels italiens le triomphe des Barbares. Chastel s'interroge sur le problème d'un « style clémentin » où convergent les traits typiques de cette période et qui, au lieu de subir une rupture, aurait profité d'une propagation importante grâce à la « diaspora » des artistes. L'oeuvre de Cellini, Rosso Fiorentino, Parmigianino incarnerait cette manière, marquée par le « paganisme artistique » et la suavité. La conclusion « culturelle » intervient sur deux plans : l'entrée triomphale de Charles Quint à Rome en 1535 célébrait le pouvoir impérial, tandis qu'à l'extrême fin de son pontificat. Clément VII chargea Michel-Ange du Jugement dernier dans la chapelle Sixtine, dont la « terribilità » instaurait un nouveau mode d'expression artistique. [S.F.]
[Cat. 69]
National Gallery of Art. Communiqué de presse concernant les « Mellon Lectures » d'André Chastel, 3 mars 1977.
Trois feuillets dactyl. H. 26,5 ; L. 20,3.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 225).
Comprenant six conférences prononcées à la National Gallery of Art à Washington du 17 avril au 22 mai 1977, le cycle se développe autour du sac de Rome et préfigure la structure du livre publié en 1983. La note de présentation met en relief le fait que la dévastation de Rome coïncide avec une intense créativité artistique et que, sous le pontificat de Clément VII, les travaux avancèrent à Saint-Pierre et dans la chapelle Sixtine. Alors que Michel-Ange et Cellini atteignaient l'apogée de leur carrière, Léonard de Vinci, Raphaël et Bramante restaient des références importantes. Sur le plan historique, la situation témoigne d'une grande complexité. Deux ans après l'affichage des Thèses de Martin Luther à Wittenberg en 1517, Charles de Habsbourg était devenu empereur du Saint-Empire romain germanique. Le rejet de la Réforme luthérienne de la part de ce dernier provoqua des conflits religieux dans toute l'Europe. Le pillage de Rome scella la fin du rôle prédominant de la Ville éternelle au sein du mouvement de la Renaissance : un nombre important d'oeuvres d'art fut détruit ou endommagé (les loges de Raphaël furent utilisées comme magasins, la chapelle Sixtine comme étable), cependant que les artistes s'exilèrent. Les six conférences sont intitulées : « Misera Caput Mundi : des souvenirs visuels du Sac » ; « RomeBabylone : de la propagande avant 1527 » ; « OEuvres d'art et saintes reliques en difficulté » ; « Des Italiens et des Barbares : des polémiques après 1527 » ; « Des artistes clémentins dispersés » et « Le rétablissement de la papauté et le triomphe impérial ». [S.F.]
[Cat. 70]
André Chastel. Fall of the Eternal City, « Misera caput mundi », Pictural records of the Sack, 1977.
Seize feuillets dactyl, et annotés. H. 29,7 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 225).
Le texte en langue anglaise, composé de seize feuillets, concerne la première conférence des Mellon Lectures, prononcée à Washington le 17 avril 1977, et se propose d'analyser le sac de Rome du point de vue culturel. Il est centré sur les témoignages sous forme de descriptions, de graffitti, de chansons « lamento di Roma » et de Flugblätter. Parmi les rares témoins figuratifs du pillage est cité un tableau en bois, conservé dans une collection particulière, avec des références à Borbo et à Caput mundi. Celui-ci révèle que les représentations de la fin du XVe siècle, comme celles du Supplementum chronicarum orbis de fra Jacopo Filippo Foresti da Bergamo, avaient gardé leur actualité. En 1556, deux gravures signées par Martin van Heemskerck, appartenant à une série consacrée à la gloire de Charles Quint publiée par Hieronymus Cock, figurent la mort du connétable de Bourbon, et le siège du château Saint-Ange, en évoquant l'image de la conquête militaire et celle de la victoire politique. Elles révèlent comment le désastre a été représenté trente ans après, au moment où le pouvoir impérial était devenu inattaquable. Dans d'autres pays eurent lieu des processions et des fêtes, comme celle qui s'est déroulée à Amiens le 4 août 1527 en présence du roi. Là furent donnée des pièces de théâtre ou « tableaux vivants », comme autant d'analyses politiques des événements romains. La réflexion de Chastel se développe autour de l'imaginaire, des connotations symboliques, notamment le rôle assumé par des figures allégoriques. Le dossier contient une liste des 32 diapositives projetées lors de la conférence. [S.F.]
[Cat. 71]
André Chastel. Plan pour un recueil intitulé Fables, formes et figures. Essais sur l'art et la poésie, [v. 1944].
Feuillet manuscrit. H. 21 ; L. 13.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 169).
[Cat. 72]
André Chastel. Plan pour un recueil intitulé Fables Formes et Figures, vol. Il, [v. 1969].
Feuillet manuscrit. H. 25,6 ; L. 22,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 169).
Le titre et la forme de ce plan (cat. 71) font naturellement penser au grand recueil que Chastel publia en 1978. Mais, en réalité, ce document est probablement beaucoup plus ancien et démontre que ce projet remontait très loin : en effet, tous les articles qui sont ici mentionnés sont antérieurs à 1944 et, de manière significative, le recueil devait s'ouvrir par un hommage de Chastel à son maître Focillon, qui était mort aux États-Unis en 1943. Ce feuillet doit donc avoir été écrit juste après la guerre. Le soustitre, Essais sur l'art et la poésie, prouve que son contenu ne devait pas être seulement centré sur l'histoire de l'art, comme en témoignent les articles ou les notes consacrés à Dante ou aux troubadours. En revanche, les textes sur l'art du XIXe siècle ou la peinture contemporaine, qui sont rassemblés à la fin du recueil de 1978, sont ici totalement absents. On peut remarquer, cependant, que, dès cette époque, Chastel avait pensé faire commencer son ouvrage par ses études sur la Reine de Saba et sur la Tentation de saint Antoine, et, de ce point de vue, il se montra donc, en 1978, fidèle à cette première esquisse. On trouve aussi, dans les archives Chastel, un deuxième plan intitulé Fables Formes et Figures, vol. Il, au dos d'une enveloppe datée du 23 novembre 1969 [?] (cat. 72). Chastel y prévoyait une première partie sur la littérature (avec une étude sur Dante et Pétrarque, une autre sur la préhistoire du roman et une troisième sur Mallarmé), une deuxième sur l'art (« le fragmentaire, l'hybride, l'inachevé », un titre que l'on retrouve en 1978) et une troisième intitulée « Critique », avec des notes sur Fénelon, sur Schelling, mais aussi sur l'art moderne, qui seront également reprises en 1978 (Vuillard et Mallarmé, Villon, Seurat). [M.H]
[Cat. 73]
Jurgis Baltrusaitis. Lettre à André Chastel, Paris, 17 septembre 1978.
Feuillet manuscrit. H. 21 ; L. 14,7.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 169).
Jurgis Baltrusaitis (1903-1988) était le gendre d'Henri Focillon, dont il avait épousé la fille Hélène. Il devint ainsi un proche de Chastel : pendant la guerre et dans les années qui suivirent, les élèves de Focillon se réunirent en effet villa Virginie, chez les Baltrusaitis, et Chastel fit partie de ce cercle. Cette lettre témoigne de cette longue amitié, mais elle évoque aussi Fables, Formes, Figures, le recueil d'articles que Chastel venait de faire paraître et dont il avait envoyé un exemplaire à Baltrusaitis. Celui-ci rappelle que Chastel avait déjà évoqué ce projet avec lui vingt et un ans auparavant (c'est-à-dire en 1957). En effet, Baltrusaitis lui avait fait part de son intention d'intituler son prochain livre Formes et Fables, et Chastel lui avait alors répondu que c'était impossible, puisqu'il envisageait luimême de publier un recueil de ses articles sous le titre Formes, Figures et Fables. Baltrusaitis avait ainsi choisi un autre titre : « Aberrations étaient alors trouvées et elles ont fait leur petit chemin jusqu'à l'épuisement ». On voit donc que le recueil paru en 1978 fut le résultat d'un projet mûri pendant très longtemps, probablement dès les années 1944-1945. [M.H.]
[Cat. 74]
Claude Lévi-Strauss. Lettre à André Chastel, Paris, 1" juillet [1966 ?].
Feuillets manuscrit. H. 21 ; L. 13,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 172,017).
Dans cette lettre, Claude Lévi-Strauss (1908-2009) remercie André Chastel pour l'envoi d'un « petit livre », en lui confessant n'avoir jamais lu Vasari. Comme l'en-tête n'indique aucune année, il est difficile d'identifier l'ouvrage dont il est question. La traduction de Vasari en français fut en effet commencée par Chastel dans le cadre de son séminaire de l'Ecole pratique des hautes études, à partir de 1964, et cette première tentative aboutit à la parution, en 1966, de dix vies de peintres toscans (sous le titre Les peintres toscans) dans la collection « Miroirs de l'art ». Lévi-Strauss évoquerait-il cette publication ? C'est très probable. Mais on pourrait aussi penser que ce document est bien postérieur et qu'il parle du premier volume de la traduction complète des Wes, réalisée par un nouveau groupe de travail, toujours sous la direction de Chastel, et parue à partir de 1981 aux éditions Berger-Levrault. Ce premier volume contenait l'introduction générale et la préface aux Vies, ainsi qu'une présentation de l'entreprise par André Chastel : toutefois, il paraîtrait étrange de qualifier le début de cette grande publication de petit livre, et notre précédente hypothèse semble donc plus vraisemblable. Lévi-Strauss qualifie ici Chastel de « cher collègue », mais cela ne prouve pas grand-chose quant à la date de cette lettre, puisque, si Chastel n'entra au Collège de France qu'en 1970, il appartenait aussi, comme Lévi-Strauss, à l'École pratique des hautes études depuis 1951. En tout cas, cette lettre témoigne des relations entre les deux hommes et, indirectement, de l'intérêt que Chastel témoigna pour le structuralisme, dont Lévi-Strauss était l'un des plus éminents représentants. Chastel cite d'ailleurs encore Lévi-Strauss dans son Journal de la leçon inaugurale (cat. 45) pour son étude sur les limites de la notion de structure en ethnologie. [M.H.]
[Cat. 75]
André Chastel. Plan de rédaction de L'Art français, [v. 1985-1990],
Trois feuillets manuscrits. H. 29,7 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 146, 05).
L'Art français avait à l'origine été pensé par André Chastel sur le modèle de son Art italien (Paris, Larousse, 1956) : en témoigne ce plan précoce indiquant un projet de 760 pages. L'ouvrage était si ambitieux qu'il fut finalement conçu en six volumes précédés d'une longue introduction. Chastel mourut avant de pouvoir en finir la rédaction.
Les volumes I à IV Pré-Moyen Âge / Moyen Âge, Temps modernes : 1430-1620, Ancien Régime : 1620-1775, Le temps de l'éloquence : 1775-1825 furent publiés posthumes, entre 1993 et 1996 aux éditions Flammarion, en reprenant les manuscrits que Chastel avait presque achevés (les manuscrits furent édités par Marie-Geneviève de La Coste Messelière, collaboratrice d'André Chastel à la Revue de l'Art et la famille La Coste Messelière les déposa à l'INHA en 2005). L'Introduction à l'histoire de l'art français fut publiée elle aussi (Paris, Flammarion, 1993), malgré l'inachèvement du manuscrit, grâce au plan détaillé et à la grande abondance de notes.
Dans cet ouvrage de synthèse, Chastel cherche à déterminer ce qui caractérise la « francicité » de l'art français, dont l'une des spécificités est dans le découpage chronologique choisi. Pour Chastel, « L'art français, c'est d'abord, c'est surtout l'architecture ». Mais, c'est aussi dans les lettres et les arts dits « mineurs » que Chastel voit une continuité de l'esprit de création propre à la France. Il s'intéresse également à l'idée de « tamisage » - qu'il faut substituer au terme d'« influence » - ; cette capacité d'appropriation et d'absorption permet de rendre compte des rapports de la France avec les autres pays européens. Enfin, pour Chastel, le souhait avoué de cet ouvrage était non seulement de mettre en place des « notions » permettant l'étude de l'art français, mais aussi de faire prendre conscience à ses « compatriotes » de l'immense richesse du patrimoine de la France. [K.d'A.]
[Cat. 76]
André Chastel. Plan de rédaction de L'Art français. VI, le temps de la démocratie et de l'industrie, 1820-1914, [v. 1988-1990],
Feuillet manuscrit. H. 48 ; L. 32.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 164).
Les volumes VI et VII de \'Art français d'André Chastel (ou plutôt les volumes V et VI car les deux premiers volumes sur le Pré-Moyen Âge et le Moyen Âge furent réunis) sont restés inédits. Ce sont les ouvrages d'Henri Loyrette pour le XIXe siècle (2006) et de Philippe Dagen pour le XXe siècle (1998) qui vinrent compléter la collection.
À la fin de sa vie, Chastel s'intéressait de plus en plus aux xvme et XIXe siècles. Ainsi, plutôt que de consacrer un volume à \'Art néoclassique et romantique allant de 1760 à 1870 comme on peut le voir dans le plan précédent (cat. 75), il choisit finalement de redécouper la période en deux volumes : Le temps de l'éloquence, 1775-1825, publié en 1996, et Le temps de la démocratie et de l'industrie, 1820-1914, resté inédit.
Au recto de ce document se trouve le plan général divisé en six chapitres : « Chap. 1 : Prestige de la peinture. 18201860, Chap. 2 : L'architecture et ses modèles. Le néo-gothique, Chap. 3 : Paris 1860. L'organisation urbaine et les édifices de prestige. Chap. 4 : La modernité en peinture et la sécession des novateurs. 1860-1900, Chap. 5 : La modernité: architecture et sculpture. Chap. 6 : L'an 1900 ». Au verso, Chastel détaille les parties du premier chapitre. Il existe d'autres plans manuscrits, probablement postérieurs, où les titres de chapitres sont légèrement modifiés mais la structure demeure inchangée. [K.d'A.]
Les combats pour l'histoire de l'art Chastel chroniqueur
[Cat. 77]
Olivier Merlin. Lettre à André Chastel, Paris, 1er novembre 1945.
Feuillet manuscrit. H. 27 ; L. 11.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 031,05).
Chastel avait connu le journaliste Olivier Merlin (19072005) au début de leur captivité à l'oflag III C de Lübben où, avec d'autres prisonniers, ils avaient constitué un petit « cénacle » de résistance intellectuelle interdit aux « collaborateurs ». À la fin de la guerre. Merlin pensera à lui pour lui confier la rédaction de chroniques d'art pour Le Monde. Cette lettre, datée du 1e' novembre 1945, témoigne du début de cette collaboration fructueuse. Merlin, qui en avait discuté avec Hubert Beuve-Méry (1902-1989), fondateur du quotidien, propose à Chastel de devenir « décorateurarchéologue-urbaniste du journal ». Chastel contribuera régulièrement aux chroniques du Monde de 1945 à 1988, avec plus de 1500 articles. [L.d.F.]
[Cat. 78]
André Chastel. L'Histoire de l'art au lycée, [1968].
Quatre feuillets dactyl. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 031,05).
Parmi les articles que Chastel consacrera au thème de l'enseignement, figure ce texte de 1968. Il s'agit d'un des rares témoignages des écrits destinés au Monde qui sont conservés dans les archives de l'INHA. Chastel y dénonce I'« obstination exemplaire », avec laquelle, « depuis un demi-siècle [...] les grands services de l'Éducation nationale ont refusé de prendre au sérieux les avertissements et les demandes répétées qui leur ont été adressés au sujet de l'art à l'école ». Il parle « d'introduction nécessaire de cette discipline dans les établissements secondaires » et propose l'idée d'une « nouvelle catégorie d'enseignants » qui ne soient pas des historiens ou des professeurs de dessin, mais qui soient « formés aux aspects nouveaux de la discipline, [...] pour en faire un véritable instrument de culture ». [L.d.F.]
Les revues scientifiques
[Cat. 79]
André Chastel. Art de France : « Manifeste », [v. I960],
Six feuillets manuscrits. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 095).
Comme le titre choisi par Chastel l'indique, ce texte manuscrit se veut, davantage qu'une note de présentation de la revue Art de France, qu'il venait de concevoir avec l'appui du libraire Pierre Berès (1913-2008), une déclaration d'intention, véritable « engagement de foi ». Chastel présente la revue comme une publication annuelle « consistant en un volume d'études et de chroniques, de caractère scientifique et critique, dont le domaine s'étendra de la préhistoire à l'art contemporain ». Un tel « recueil » n'est pas « tout à fait une revue ; il n'en a pas le caractère épisodique et dispersé ; il peut se permettre d'offrir une structure et d'être élaboré d'assez près pour que chaque volume ait une physionomie propre ». Dans les intentions de Chastel, le premier volume serait ainsi consacré aux objets (« pièces d'orfèvrerie, meubles, éléments du décor, et d'effets décoratifs dans l'architecture »). Ces études ne sont pas censées n'être que des essais, mais plutôt « un exposé exhaustif », un « point concluant et durable ». Elles seraient suivies de chroniques sur l'actualité, tout en gardant un « souci explicite de contribuer à l'élaboration de la discipline - attirante et incertaine - qu'est aujourd'hui l'histoire de l'art en France et dans tous les pays de culture ». Chastel s'explique aussi sur le choix du titre qui pourrait étonner : « l'art ne se laisse pas enfermer dans les cadres des "nations" et il semble paradoxal d'inscrire au programme d'une revue centrée sur un art "national" l'étude des manifestations préhistoriques ou proto-historiques de toute nation, et celle des arts préromans, romans ou gothiques [...]. L'objection est fondée : mais n'est pas décisive [...]. D'abord, on peut admettre pour des raisons de méthode et de commodité, que l'état actuel de la science exige le découpage de structures d'observation et d'étude limitées [...] ». Dans ce sens. Art de France, « ne fait que compléter l'excellente série des Archives de l'art français [...] », mais surtout, explique-t-il, « le titre de cette publication ne désigne [...] exactement son programme que si on l'interprète de la manière la plus généreuse ». [L.d.F.]
[Cat. 80]
Présentation du premier numéro d'Art de France, [v. 1961],
Un feuillet. H. 21 ; L. 13,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 095).
Art de France, dont le premier numéro paraît en 1961, est ainsi présenté à la veille de sa parution, comme une revue annuelle de l'art ancien et moderne, d'un caractère « luxueux », avec plus de cinq cents reproductions et quarante-huit articles inédits. Dès ce premier numéro, la revue voit la collaboration de personnalités telles que Bernard Dorival, Paul-Marie Duval, Pierre Francastel, Louis Grodecki, Jacques Guignard, Robert Klein, Michel Ladotte, Denis Mahon, Willibald Sauerländer, Jacques Thuillier et André Chastel lui-même. Certains d'entre eux y ont contribué généreusement avec plusieurs articles : c'est le cas, par exemple, de Jacques Thuillier ou de Michel Ladotte, qui en proposeront cinq, ainsi que de Bernard Dorival et Louis Grodecki, avec quatre contibutions chacun. Seuls quatre numéros d'Art de France verront finalement le jour. Les archives conservées à l'INHA témoignent des échanges avec les auteurs et de la collaboration, parfois conflictuelle, souvent animée, entre André Chastel et l'éditeur Pierre Berès. [L.d.F.]
[Cat. 81]
André Chastel. Notes sur la Revue de l'Art, [v. 1967].
Trois feuillets manuscrits. H. 27 ; L. 11.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 032, 01).
Le premier numéro, double, de la Revue de l'Art parut en 1968. Dans cette note de présentation, Chastel souligne l'intérêt de créer un périodique consacré aux travaux d'histoire des arts, du Moyen Âge aux époques suivantes, en rétrécissant de fait le champ chronologique qui avait été celui d'Art de France. En outre, cette fois-ci, le projet n'est plus financé par un éditeur privé, mais s'inscrit sous le patronage du ministère chargé des Affaires culturelles et « sous la dépendance directe du Comité National d'Histoire de l'art [...] qui n'est lui-même que la section nationale du Comité International d'Histoire de l'art ». Le programme se définit en fonction de deux objectifs. Le premier est de « diffuser des travaux typiques des méthodes et des préoccupations actuelles de la discipline » et d'instituer une « communication constante avec les grands centres d'études à l'étranger qui ont déjà promis leur concours [...] : Institut Courtauld, Londres ; Universités Columbia, Yale..., USA ; Institut d'art de la Fondation Cini, Venise, etc.... ». Ainsi, le conseil scientifique de la revue comptera finalement soixante et un membres français et trente-six étrangers ; le comité de rédaction, avec dix membres, continuait celui d'Art de France. Le deuxième objectif de la revue a ensuite l'ambition de « constituer [en France même] le point de convergence des études et des découvertes propres à tous les milieux de manière à corriger une fâcheuse tendance au cloisonnement ». La publication sera cette fois trimestrielle avec deux-tiers environ d'articles et un tiers de chroniques et recensions critiques. Chastel ébauche ici les sommaires des trois premiers numéros, en envisageant d'ores et déjà, la publication d'un numéro intégralement consacré à Fontainebleau. [L.d.F.]
[Cat. 82]
André Chastel. Lettre à Anthony Blunt, Paris, 20 novembre 1972.
Trois feuillets manuscrits. H. 21 ; L. 15.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 033,015).
Par cette lettre, adressée en même temps à Millard Meiss, Willibald Sauerländer, Italo Faldi, Jan Bialostocki, André Chastel demande à Anthony Blunt de faire partie du comité de consultants étrangers de la Revue de l'Art. La revue vient d'obtenir le financement du CNRS et Chastel estime désormais devoir « donner à cette publication une assiette internationale plus nette ». Cette accentuation du caractère international de la revue sera aussi, par exemple, porteuse de la réalisation de projets ambitieux comme les numéros monographiques consacrés à l'art britannique (1975, n°30) et allemand (1979, n° 45). [L.d.F.]
[Cat. 83]
Millard Meiss. Lettre à André Chastel, Princeton, New Jersey, 27 novembre 1972.
Feuillet dactyl. H. 21,6 ; L. 14.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 033, 151).
En réponse à une lettre d'André Chastel, Millard Meiss (1904-1975), qui avait été sollicité, accepte l'invitation qui lui est faite de faire partie du comité de consultants étrangers de la Revue de l'Art. Willibald Sauerländer, Italo Faldi, Jan Bialostocki, Anthony Blunt feront également savoir très rapidement leur intention de collaborer à cette entreprise. [L.d.F.]
Inventaire général
[Cat. 84]
Ministère d'État chargé des Affaires culturelles, L'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Paris, Imprimerie nationale, [1964], 24 p. Préface d'André Malraux.
H. 24 ;L. 17.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 271).
À partir de la fin des années 40, Chastel s'investit très fortement dans la lutte contre les destructions d'édifices et de quartiers anciens causées par le développement urbain et par les mutations du parcellaire. S'inspirant des inventaires existants à l'étranger, il milite pour la création d'un inventaire national chargé de « recenser, étudier, et faire connaître » les biens culturels - ouvrages bâtis mais aussi objets mobiliers - et de faire prendre conscience à la population de la richesse de son patrimoine (A. Chastel, « Pour un inventaire national », Le Monde, 22 septembre 1961). Son action auprès d'André Malraux, jointe à celle de Marcel Aubert au sein du IVe Plan, permet la création d'une commission nationale « chargée de préparer l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France », le 4 mars 1964. Julien Cain en est nommé le président et Chastel, le vice-président.
Publiée à l'occasion de l'installation de la commission, cette plaquette, ornée du logo dessiné par Jeanine Fricker d'après un détail de la fresque de l'abbaye de Saint-Savin-sur-Gartempe (Vienne), présente les missions assignées à I'« Inventaire général », son organisation en commissions régionales faisant appel aux universitaires et aux sociétés savantes locales, et les textes réglementaires qui encadrent son action, hspirée par le rapport rédigé par Chastel pour le IVs Plan, elle a été largement diffusée lors des réunions d'installation des commissions régionales et des comités départementaux, aux autorités administratives comme aux responsables bénévoles du pré-inventaire. Elle sera par la suite régulièrement remise àjour par la sous-direction de l'Inventaire. [S.C.]
[Cat. 85]
Commission nationale chargée de l'Inventaire général. Note sur l'inventaire des édifices d'architecture privée, « La fiche », v. 1962-1964.
Deux feuillets dactyl., annotations manuscrites de J.-M. Pérouse de Montclos. H. 26, 8 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 271).
Ce document témoigne des premières recherches des responsables de l'Inventaire général autour d'une méthodologie à adopter pour le recensement des édifices et des objets mobiliers.
En prenant l'exemple de l'architecture privée, il définit l'articulation des trois « instruments » de rédaction de l'inventaire : la fiche, la notice et la monographie. La « fiche » correspond à la première étape, celle du repérage lors de la phase de « pré-inventaire », la « notice » et la « monographie » à la dernière, celle de l'étude définitive. La fiche de pré-inventaire comporte les données suivantes : 1. situation de l'édifice, 2. identification, 3. construction, 4. documentation sommaire, 5. conditions actuelles (propriétaire, destination, état d'entretien), 6. monographie/notice existantes.
Le document est corrigé pour y introduire une étape supplémentaire, celle du « dossier », correspondant à l'étape de description, étape intermédiaire entre le repérage et l'étude définitive, qui contiendrait relevés, photographies et texte éclairant les traces de changements de campagne, les « cicatrices des mutilations », etc. (Commission nationale. Note dactyl. « Le dossier », Archives 90,271). [S.C.]
[Cat. 86]
Présentation de /Inventaire topographique de Guebwiller (Paris, Ministère des Affaires culturelles, salon Jérôme), 1972.
De g. à dr. : André Chastel (vice-président de la Commission nationale), André Chabaud (sécrétaire général de la Commission nationale), Jacques Duhamel (ministre des Affaires culturelles), Julien Cain (président de la Commission nationale).
Photographie. H. 18 ; L. 12.
Collection particulière.
[Cat. 87]
Installation de la Commission régionale d'inventaire Île-de-France (préfecture de région), 5 novembre 1980.
De g. à dr. : Jean-Claude Menou (DRAC), homme non identifié, Marcel Delà fosse (vice-président), André Chastel, Lucien Lanier (préfet de région).
Photographie. H. 12,6; L. 17,7.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 15).
[Cat. 88]
Installation de la Commission régionale d'inventaire Champagne-Ardenne (Châlons-sur-Marne), mars 1982.
De g. à dr. : François Bourguignon (DRAC), Robert Lecat (sous-directeur), André Chastel, Gilbert Masson (préfet de région), Léon Pressouyre (vice-président de la commission), Isabelle Balsamo et Jean-Marie Pérouse de Móntelos.
Photographie. H. 11,1 ; L. 17.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 11 ).
[Cat. 89]
Installation de la Commission régionale d'inventaire Champagne-Ardenne (Châlons-sur-Marne), mars 1982.
De g. à dr. : André Chastel, Jean-Marie Pérouse de Montclos et Robert Lecat.
Photographie. H. 11,1 ; L. 17.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076, 11).
Patrimoine
[Cat. 90]
André Chastel. Qu'est-ce qu'un patrimoine ?, s. d.
Feuillet manuscrit. H. 27 ; L. 20, 7.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 267).
L'abondance des notes manuscrites, des coupures de presse et des correspondances consacrées au patrimoine dans les archives d'André Chastel illustre l'importance que ce combat a pris dans sa vie d'universitaire, particulièrement dans ses vingt dernières années. Engagé dans la défense des édifices, des sites et des traces matérielles du passé, il a utilisé sa tribune du Monde et sa position de directeur de la Revue de l'Art pour diffuser ses idées, dans une double préoccupation de faire prendre conscience à la population de la richesse historique du sol français (voir Introduction à l'histoire de l'art français, Paris, Flammarion, 1993) et de conduire des études scientifiques dans ce champ de recherche qui était en train de se créer (« L'avenir tremblant du patrimoine », Le Monde, 19 avril 1975 ; « Une France diverse et inconnue », Le Monde, 28 août 1975 ; « Les nouvelles dimensions du patrimoine », Le Monde, 1 septembre 1978 ; « Quand la France aimait les vieilles pierres », Le Monde, 19 janvier 1984 ; avec J.-P. Babelon, « La notion de patrimoine », Revue de l'Art, 1980, n° 49).
Plusieurs notes manuscrites intitulées « Qu'est-ce qu'un patrimoine ? », « Qu'est-ce que le patrimoine ? », témoignent de ses recherches pour définir ce qui peut s'entendre par cette notion, avec tous les glissements de sens et les incorporations qui ne manquent pas de se produire au fil du temps. Sur cette note, avec un bel esprit de synthèse, Chastel définit le patrimoine selon cinq critères/ principes : « Qu'est-ce qu'un patrimoine ? un ensemble hérité, concourant à notre identité, déterminant notre environnement, exigeant des sacrifices, indispensable à la culture ». [S.C.]
[Cat. 91]
André Chastel. [Les racines, les ressources, les raretés], s. d.
Feuillet manuscrit. H. 21 ; L. 14, 5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 267).
Note manuscrite de Chastel : « Ce qui est fondateur : les racines (contre l'illusion du présent). Ce qui ne peut être épuisé : les ressources (contre l'illusion du savoir). Ce qui ne peut être remplacé : les raretés, ex. : on ne refera pas la porcelaine de Vincennes, les filigranes scythes (contre l'illusion du progrès) ». [S.C.]
[Cat. 92]
André Chastel. Citation extraite de Victor Hugo, Les Misérables (Paris, Lacroix, 1862), s. d.
Feuillet manuscrit. H. 13, 6; L. 15.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 267).
Note manuscrite de Chastel citant Victor Hugo, Les Misérables IV, Livre 7, II, « Radnes ») : « La vraie histoire étant mêlée à tout, le véritable historien se mêle de tout. VH ». [S.C.]
[Cat. 93]
André Chastel. « La nef échouée », Le Monde, 18 juin 1971.
Tirage d'après un exemplaire original conservé à la Bibliothèque du Sénat (Paris).
L'action de Chastel pour sauver les pavillons des Halles centrales de Victor Baltard (1805-1874) a été très tardive (voir communication de Fr. Loyer au colloque Labrouste, INHA, 22-23 novembre 2012 ; communication de J.-P. Babelon au colloque Chastel, INHA, 29-30 novembre1er décembre 2012). Dans ses articles du Monde, Chastel a surtout insisté sur l'importance de ne pas détruire le parcellaire ancien du coeur de la capitale - qui lui tenait à coeur plus que tout et qu'il venait de faire étudier en profondeur, entre autres par Fr. Boudon, H. Couzy, A. ErlandeBrandenburg, Fr. Hamon, Fr. Mallet-, de maintenir Taxe historique rue Saint-Honoré/rue de la Ferronnerie/rue des Lombards, de ne pas refaire ce qui s'était produit sous le Second empire avec Haussmann (1809-1891), plutôt que sur la préservation des pavillons qui symbolisent aujourd'hui, de manière si évidente, l'architecture de fer du XIXe siècle (« Un nouvel Haussmann pour délivrer la capitale des séquelles de l'haussmannisme », 24-25 mai 1964 ; « Le quartier des Halles au moment de vérité », 7 décembre 1966 ; « Paris : bateau ivre », 8 février 1968 ; « L'enjeu de la discussion sur les Halles », 4 décembre 1969 ; « La fin des Halles ou le miracle inutile », 11 décembre 1970).
Cet article, qui annonce la mort de la « basilique » de Baltard, arrive alors que les choses étaient déjà jouées malgré les protestations internationales (L. Mies van der Rohe (1886-1969), Philip Johnson (1906-2005), etc.). Dix ans plus tard, dans le numéro de la Revue de l'Art consacré au patrimoine, il reviendra sur cette destruction qu'il définira comme « une opération du XIXe siècle [...] conforme à la tradition haussmannienne, qui n'a pratiquement jamais cessé de régner dans les bureaux de la capitale » (« La notion de Patrimoine », Revue de l'Art, 1980, n°49, p. 27). [S.C.]
[Cat. 94]
Quartier des Halles. Vue actuelle de l'ilôt insalubre, [v. 1965],
Photographie. H. 18,1 ; L. 23,9.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076,259).
[Cat. 95]
Quartier des Halles. Halles et ilôt insalubre après extension éventuelle du projet, [v. 1965].
Photographie. H. 18,1 ; L. 23,9.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 076,259).
INHA
[Cat. 96]
André Chastel. Brouillon de lettre à Jack Lang, Ministre de la Culture, Paris, 27 janvier 1982.
Feuillet manuscrit. H. 27,4 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 349, 27).
[Cat. 97]
André Chastel, La création d'un institut national d'histoire de l'art. Rapport au Premier ministre, Paris, La Documentation française, 1984, 122 p.
H. 24 ;L. 16.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (8° M 1364-2).
Cette lettre de Chastel à J. Lang et ce rapport commandé par les services du Premier ministre en 1983 viennent après plus de dix ans d'une intense activité menée auprès des pouvoirs publics. Usant de son aura scientifique, Chastel s'est attaché durant les vingt dernières années de sa vie à promouvoir l'histoire de l'art en tant que discipline (travaux du Comité français d'histoire de l'art, tentative pour mettre en place une agrégation d'histoire de l'art) et à constituer un centre de recherche qui rassemblerait des collections iconographiques et documentaires et des espaces d'accueil de cours, de conférences internationales et d'expositions.
L'idée d'un centre de recherche qui puisse rivaliser avec les centres anglo-saxons et germaniques (Courtauld, Zentralinstitut) avait d'abord été évoquée par Jacques Thuillier (1928-2011), soutenu par Chastel, auprès du pouvoir pompidolien (J. Thuillier, Note confidentielle au Président G. Pompidou [1973], Archives 90, 35, 06). À la faveur de l'alternance de 1981, Chastel reprend directement le flambeau auprès de Louis Clayeux, Jack Lang et François Mitterrand.
Chastel est finalement missionné en janvier 1983 pour « élaborer et préfigurer » un institut d'histoire de l'art français. Quelques semaines plus tard, il rend ce rapport, à l'origine de l'INHA. Construit en trois parties, le rapport propose la « rénovation » des instruments de travail existants - au premier rang desquels Chastel plaçait la Bibliothèque Doucet -, la coordination de la recherche au niveau national (équipes universitaires, CNRS, Thesaurus Artis Universalis, Centre international du vitrail), et la diffusion et le rayonnement des travaux français à l'international (CIHA, instituts étrangers). Ironie de l'histoire, Chastel, qui écrivait que « la plupart des travaux importants sur l'histoire de l'art français ne se font pas en France » (Note [à l'administration ?], Le point faible de la culture française. Archives 90, 035, 06, p. 1), se voit confier cette mission par les pouvoirs publics suite à l'impact créé par la décision de la Fondation américaine J. Paul Getty de trouver un partenariat avec un centre de recherche européen afin de promouvoir les études sur l'art occidental (p. 30-31 du rapport). [S.C.]
Correspondances
Chastel et le Warburg
[Cat. 98]
Jean Seznec. Lettre à André Chastel, Florence, 11 octobre 1937.
Feuillet manuscrit. H. 20,3 ; L. 15,3.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 354, 72).
Jean Seznec (1905-1983) entra, dès 1930, en contact avec l'Institut Warburg et devint un proche de Fritz Saxl et de Gertrud Bing. Il publia au Warburg sa thèse célèbre sur la Survivance des dieux antiques (1939). C'est lui qui mit Chastel en relation avec Saxl et le Warburg. Dans cette lettre, Seznec, qui était alors en fonction à l'Institut français de Florence, informe Chastel, qui l'avait interrogé à ce sujet, des possibilités de trouver un poste en Italie. Il lui décrit ses conditions de travail, mais lui dit qu'il n'entrevoit pas de possibilité pour lui dans l'immédiat, ni à Florence ni à Naples. Il l'encourage à poursuivre son projet de thèse sur la mélancolie à la Renaissance et lui dit combien ce sujet pourrait enthousiasmer Saxl, qui s'apprêtait à publier une deuxième édition de sa Melencolia I (celle-ci ne paraîtrait, en réalité, que beaucoup plus tard). Il lui conseille de s'informer pour un poste à l'Institut français ou au lycée français de Londres, ce qui lui permettrait d'être en contact direct avec le Warburg et « d'avoir [sa] documentation sous la main ». En juillet 1939, Seznec proposa à Chastel de lui succéder comme directeur adjoint de l'Institut français de Florence, mais la guerre mit un terme à ces projets. [M.H.]
[Cat. 99]
Jean Adhémar. Lettre à André Chastel, s. I., [v. 1944].
Feuillet manuscrit. H. 20,9; L. 13,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 007, 07).
Jean Adhémar (1908-1987) entra en 1932 au cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale, qu'il dirigea de 1961 à 1977. Il devint aussi, en 1956, directeur de la Gazette des Beaux-Arts. Il prit contact avec Tlnstitut Warburg en 1934, la même année qu'André Chastel, ainsi qu'avec Jean Seznec. Saxl lui proposa de publier sa thèse sur les Influences antiques dans l'art du Moyen Âge français, qui parut en 1939 aux éditions du Warburg. Comme l'avait remarqué Seznec, les thèmes qu'il y abordait recoupaient en effet plusieurs recherches privilégiées par le Warburg. Toutefois, malgré leurs amitiés et leurs intérêts communs, ce n'est qu'après la guerre qu'Adhémar prit contact avec Chastel, en lui envoyant cette lettre, dans laquelle il évoquait leurs liens avec Saxl et Jean Seznec, et lui demandait un rendez-vous. [M.H.]
[Cat. 100]
Edgar Wind. Lettre à André Chastel, Northampton (Massachusetts), [1949].
Feuillet manuscrit H. 18,4 ; L. 14,9.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 019, 113).
André Chastel passa trois mois en 1949 aux États-Unis, à Yale, comme boursier Focillon. Il en profita naturellement pour rencontrer un grand nombre d'historiens de l'art, parmi lesquels plusieurs anciens membres de l'Institut Warburg, avec lesquels il avait déjà été en contact à Londres, en 1934. C'était le cas d'Edgar Wind (1900-1971), qui avait été Tun des premiers élèves de Panofsky, mais aussi un proche d'Aby Warburg. Chastel connaissait bien ses travaux, qu'il cite souvent, notamment dans son grand article « Art et religion dans la Renaissance italienne » (Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, VII, 1945, p.7-61 ) et dans Art et humanisme à Florence, où il consacre, cependant, une note assez critique au grand ouvrage de Wind, Pagan Mysteries in the Renaissance, paru en 1958. Il revint d'ailleurs à plusieurs reprises sur ces critiques, notamment dans la préface à la nouvelle édition d'Art et humanisme en 1981 : il reprochait en effet à Wind son « effervescence », son « ivresse ioenologique » très personnelle, qui lui faisait parfois « lâcher la proie pour l'ombre ». Dans cette lettre. Wind invite Chastel à venir le voir, en lui donnant les horaires des trains de New Haven à Northampton, où il enseignait alors au Smith College. [M.H.]
[Cat. 101]
Ernst Gombrich. Lettre à André Chastel, Londres, 25 juillet 1950.
Feuillet dactyl, signé. H. 17,3 ; L. 13,6.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 012, 101).
Chastel avait rencontré Ernst Gombrich (1909-2001) à Florence en 1946. Gombrich enseignait alors au Warburg Institute, où il avait été appelé par Fritz Saxl et dont il devait devenir le directeur en 1959. Dans cette lettre, il remercie Chastel pour son compte rendu « généreux » de sa Story of Art, son oeuvre la plus populaire, une introduction à l'histoire de l'art pour les adolescents qui devint un véritable best-seller, et qui venait alors de paraître ; il discute avec lui certaines des remarques contenues dans cet article. Il interroge aussi Chastel à propos de son Acs platónica (c'est-à-dire sa thèse sur Art et humanisme à Florence), que celui-ci venait d'achever. Il lui annonce qu'il a l'intention, pour sa part, de travailler sur Ghiberti et qu'il a entrepris de donner une série de quatre conférences sur les peintures comme documents historiques. Chastel devait conserver toute sa vie des liens d'amitié avec Gombrich, pour lequel il nourrissait aussi de l'admiration. Il lui écrira encore, le 21 décembre 1987, pour le remercier de sa participation à II se rendit en Italie, le volume d'articles recueillis en son hommage : « Cher ami, il est dit que nous nous tiendrons compagnie jusqu'au bout. Et j'ai tout lieu de m'en féliciter quand je lis l'étude si neuve et pénétrante sur Kahnweiler et ses amis cubistes, que vous m'avez fait l'amitié de réserver pour le Festschrift » (Warburg Institute Archive, Archive of E.H. Gombrich ; brouillon et copie de la lettre, Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet, Archives 90, 346, 077). Gombrich écrivit d'ailleurs un très beau texte pour le numéro de la Revue de l'Art qui parut en hommage à Chastel en 1991. [M.H.]
Chastel et les Anglais
[Cat. 102]
Anthony Blunt. Lettre à André Chastel, Londres, 21 octobre 1968.
Feuillet dactyl, signé, H. 25,3 ; L. 20,2.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 008, 079).
Chastel et Blunt (1907-1983) s'étaient probablement connus au Warburg Institute. À partir de 1958, ils se rencontrent à l'occasion du colloque organisé par Chastel à Paris, puis de l'exposition Poussin, dont Blunt est spécialiste ; tous deux sont aussi membres du conseil scientifique du Centre Palladio et se rencontrent régulièrement chaque automne pour ses réunions. Chastel a été invité par Blunt à Londres pour y donner des conférences et, dans cette lettre. Blunt le remercie pour lui avoir fourni les dates exactes de ses conférences et lui demande qui il souhaite inviter pour un dîner l'un des soirs où il sera à Londres. Blunt informe aussi Chastel qu'il donnera lui-même une conférence qui, en faisant écho à celle de Chastel sur la galerie François Ia à Fontainebleau, développe le thème des décorations bellifontaines en Italie, un thème sur lequel Blunt voulait proposer un essai pour la nouvelle Revue de l'Art mais qu'il a promis au Bollettino du Centre Palladio et qui y paraîtrait effectivement dans le volume X (1968). [E.R.]
[Cat. 103]
Francis et Larissa Haskell. Carte à André Chastel, Oxford, 11 juin 1989.
Carte postale. H. 10,5 ; L. 14,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 013,033).
Francis Haskell (1928-2000) envoie cette carte de remerciements à André Chastel qui, trois jours plus tôt (le 8 juin 1989), avait présidé, dans le nouvel auditorium du musée du Louvre, une conférence publique consacrée à l'histoire et l'utilisation des livres d'art à l'occasion de la création de la filiale française des éditions Thames and Hudson. Haskell y avait participé avec Ernst Gombrich (1909-2001), et plusieurs photographies des archives de l'INHA conservent le souvenir de cette rencontre [cat. 104] qui se tint alors que Chastel était déjà gravement malade. Gombrich écrira ne pouvoir jamais oublier « sa courtoisie, son tact et son amabilité », ainsi que « sa parfaite maîtrise du sujet » (« Un témoignage personnel », Revue de l'Art, 1990, n° 93, p. 25). Chastel « sans se plaindre le moins du monde » avait dit qu'il devait subir une intervention quelques jours plus tard. Par cette carte, Haskell et sa femme Larissa lui souhaitent un rapide et complet rétablissement. [L.d.F.]
[Cat. 104]
Conférence publique consacrée à l'histoire et l'utilisation des livres d'art, Paris, Auditorium du musée du Louvre, 1" octobre 1989.
De g. à dr. : Francis Haskell, André Chastel et Ernst Gombrich.
Photographie. H. 12,6 ; L. 17,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 182).
Chastel et les Américains
[Cat. 105]
Erwin Panofsky. Lettre à André Chastel, Princeton (New Jersey), 8 janvier 1954.
Feuillet dactyl, signé. H. 28 ; L. 21,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 016, 56).
Le 3 janvier 1954, André Chastel écrivit à Erwin Panofsky pour lui demander l'autorisation de publier une traduction en français de son étude sur la perspective parue dans les Vorträge de la bibliothèque Warburg en 19241925 (« Die Perspektive als "symbolische Form" ») pour la collection « Jeu savant », dont il avait pris la direction chez l'éditeur Olivier Perrin. Dans sa réponse, Panofsky lui dit qu'il n'y voit aucune objection et, comme il ne pense pas pouvoir mettre à jour son article, il lui propose de le faire précéder par une introduction, où il le replacera dans son contexte et donnera la liste des principaux travaux parus depuis sur le sujet. Ce projet n'aboutit pas et c'est seulement en 1975 que Pierre Bourdieu publia le texte célèbre de Panofsky dans une traduction que Chastel, sans doute mécontent de n'avoir pu luimême mener à bien cette entreprise, qualifia de « très confuse ». [M.H.]
[Cat. 106]
Meyer Schapiro. Carte à André Chastel, New York, 24 mars 1949.
Carte postale. H. 14 ; L. 8,2.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 018,37).
Meyer Schapiro (1904-1996) jouissait déjà, à l'époque du premier voyage de Chastel au États-Unis comme boursier Focillon, d'une très grande renommée en raison, notamment, de sa thèse sur le portail de Moissac. Même s'il s'était montré assez critique à l'égard des méthodes de Focillon et de son gendre Jurgis Baltrusaitis, Baltrusaitis avait recommandé à Chastel d'aller le voir, en lui indiquant qu'il avait participé aux séances qu'il organisait chez lui avec les anciens disciples de Focillon : « Il ne faut pas laisser de côté Meyer Shapiro qui a parlé chez nous et qui se vexe très facilement » (Lettre de Baltrusaitis à Chastel, 19 mars 1949, Archives 90, 007, 078). Dans cette carte, Schapiro se déclare donc heureux de rencontrer Chastel. Il devait d'ailleurs conserver toute sa vie des relations amicales avec lui. En 1957, il lui rendit même visite avec sa femme à Ravine et il proposa d'écrire un article dans la revue que Chastel voulait créer à cette époque. Il fit partie du conseil de rédaction de la Revue de l'Art et publia, dans le premier numéro de la Revue, son célèbre article intitulé « Les pommes de Cézanne » (Revue de l'Art, 1968, n° 1 -2, p. 73-87). [M.H.]
[Cat. 107]
Meyer Schapiro. Lettre à André Chastel, South Londonderry (Vermont), 6 août 1969.
Feuillet dactyl, signé. H. 30,5 ; L. 21,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 018, 128).
Dans cette lettre, Meyer Schapiro (1904-1996) s'interroge sur la suite des évènements de 1968, il demande tout particulièrement à André Chastel s'il y a eu des changements dans les études d'histoire de l'art. Il fait ensuite référence au deuxième numéro de la Revue de l'Art, qui vient de paraître, mais qu'il n'a pas encore pu voir. Schapiro avait collaboré au premier numéro avec son article sur « Les pommes de Cézanne ». Il s'interroge là sur la réception de cette étude en France. [L.d.F.]
[Cat. 108]
George Kubler. Lettre à André Chastel, New Haven (Connecticut), 1*r avril 1970.
Deux feuillets dactyl. H. 27,8 ; L. 21,6.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 033, 132).
George Kubler (1912-1996) avait été le disciple d'Henri Focillon à Yale. Cette lettre, d'un grand intérêt, conserve le souvenir de ses échanges avec Chastel. Kubler, qui avait contribué à la Revue de l'Art par un article (« Période, style et signification dans l'art américain ancien », Revue de l'Art, 1970, n°9, p. 82-88) saisit l'occasion du renvoi de ses épreuves corrigées, annotées par Chastel, pour faire connaître ses opinions. Il discute, entre autres, des récentes études menées en France dans le domaine de la sociologie de l'art, notamment par Jean Baudrillard et Abraham Moles du Centre d'études des communications de masse (VIe section de l'École pratique des hautes études). Ces recherches ne prenant pas en compte ses réflexions publiées dans The Shape of Time. Remarks on the history of things (New Haven, Yale University Press, 1962), Kubler estime le moment favorable à la parution d'une traduction française de cet ouvrage que Chastel avait souhaité promouvoir. Il dit qu'il serait heureux de pouvoir la contrôler et il signale en même temps l'existence d'une version en arabe parue au Maroc, ainsi que l'intérêt montré par Jan Bialostocki pour une traduction à paraître à Varsovie, dont il espère qu'elle pourra susciter l'attention d'autres pays du bloc communiste. Chastel semble attacher beaucoup d'importance à ce projet français de publication, si l'on se réfère au volume relativement important de notes qui peuvent s'y rattacher. Toutefois, le volume ne paraîtra qu'en 1973 en France, avec une préface d'Andrei Nakov et dans une traduction de Yana Kornel et Carole Naggar que Chastel jugera négligente.
Si l'intérêt pour la promotion de The Shape of Time et pour les études de son collègue américain sont à rattacher indubitablement à la filiation commune avec la composante formaliste de l'enseignement de Focillon, il semble, dans l'immédiat, avoir un but plus circonstanciel. Il répond aux questions posées par les relations de l'histoire de l'art avec les sciences sociales. Comme l'explique Kubler, plutôt inquiet des orientations prises par les récentes recherches françaises dans le domaine de la sociologie de l'objet, il ne fait pas partie de ceux qui veulent absorber les méthodes de l'histoire de l'art ou de l'histoire en général pour en faire, en quelque sorte, des sciences auxiliaires des sciences sociales. Au contraire, il pense que The Shape of Time contient des arguments pour résister à cette tendance. [L.d.F.]
Chastel et les Italiens
[Cat. 109]
Eugenio Garin. Lettre à André Chastel, Florence, 17 décembre 1959.
Feuillet manuscrit. H. 28 ; L. 22.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 047).
Le philologue et historien de la Renaissance Eugenio Garin (1909-2004) est l'un des premiers Italiens avec lesquels Chastel entre en contact à Florence après la guerre, probablement grâce à l'entremise de l'historien et second maître de Chastel, Augustin Renaudet. Les soixante lettres environ échangées entre 1947 et 1987, conservées à l'INHA et aux archives de l'École Normale de Pise, témoignent de leur longue amitié. Échanges de tirés à part, de livres et de comptes rendus dans différentes revues s'y entremêlent avec le dialogue épistolaire sur les thèmes communs sur lesquels ils travaillent. Dans cette lettre, Garin remercie Chastel pour le volume Art et humanisme à Florence et exprime son admiration pour ce travail, dont il dit qu'il lui a beaucoup appris et a stimulé en lui de nouvelles réflexions et recherches, et avec les thèses duquel il dit se sentir en accord. Il évoque leur première rencontre via Bolognese, où se trouve le département d'Histoire et Philosophie de l'université de Florence, et dit avoir repensé à tout le travail de Chastel « avec la sympathie qu'on éprouve pour un compagnon de voyage qui est en train de travailler à côté de soi, et auquel on se trouve lié dans un discours continu [...] ». [E.R.]
[Cat. 110]
Vue prise devant le Collège de France, 1975.
De g. à dr. : André Chastel, Eugenio Garin, Madame Garin et l'assistante d'Eugenio Garin.
Tirage d'après la photographie originale conservée dans une collection particulière.
H. 12,7; L. 17,9.
[Cat. 111]
Mario Praz. Carte à André Chastel, Rome, 17 décembre 1959.
Carte autographe signée. H. 16 ; L. 11,5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 047).
Mario Praz (1896-1982), critique et historien de l'art et de la littérature, est l'un des premiers correspondants italiens de Chastel. Dans cette lettre, il le remercie pour le livre Art et humanisme à Florence, la thèse de Chastel publiée en 1959, dont il admire le contenu, l'approche, le caractère international de la bibliographie et la précision des citations italiennes, mais dont il critique la qualité de reproduction des images. Comme Chastel, Praz écrivait dans un quotidien, et il promet d'en faire un compte rendu conjoint avec celui du livre de Mary McCarthy, Stones of Florence. Ce compte rendu paraîtra dans II Giorno, le 15 janvier 1960. [E.R.]
Chastel et les Allemands
[Cat. 112]
Willibald Saueriänder. Lettre à André Chastel, Munich, 10 décembre 1983.
Feuillet manuscrit. H. 29,8 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 354, 025).
Willibald Sauerländer, qui a connu Chastel dans les années 1950 pour en devenir l'ami en 1961, avait accepté de faire partie du groupe de consultants étrangers de la Revue de l'Art en 1972. Par la suite, il a contribué au projet du numéro sur l'art allemand paru en 1979 (n°45). Dans cette lettre, il envoie, entre autres, ses suggestions à Chastel au sujet d'un numéro dédié à « l'amour profane ». Dans une lettre adressée à Charles Hope (19 janvier 1983, Archives 90, 347, 62), Chastel affirmait avoir formulé le projet de ce numéro avec « Henri Zerner, B. Jestaz and some other friends » et précisait « By "Amour profane", we mean all kind of representation with some erotic obvious or recondite connotation, from the nude to the painting of "mauvais lieux" ». Deux articles sur ces thèmes vont finalement paraître dans le n° 69 de 1985. [L-d.F.]
[Cat. 113]
Richard Krautheimer. Lettre à André Chastel, Rome, 6 septembre 1987.
Feuillet manuscrit. H. 20,6 ; L. 14,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (4° MON 4194).
Richard Krautheimer (1897-1994) accuse réception du livre Luigi d'Aragona. Un cardinale del Rinascimento in viaggio per TEuropa (trad, du français par Maria Garin, Rome-Bari, Laterza, 1987) et remercie vivement André Chastel. Il souligne ne pas avoir eu connaissance de cette source et félicite l'auteur, notamment pour le dernier chapitre qu'il qualifie comme de I1« André Chastel pur sang » à cause de l'authenticité de la présentation. Il confesse son habitude de commencer la lecture par la fin du livre. Par un geste réciproque « minima maximio », Krautheimer lui adresse son ouvrage Three Christian Capitals : Topography and Politics (Berkeley/Los Angeles/Londres, University of California Press, 1983). Cet exemplaire personnel de Chastel, accompagné de la lettre, est aujourd'hui conservé à la Bibliothèque de l'INHA (4 Mon 4194). [S.F.]
Chastel et les Polonais
[Cat. 114]
Jan Biafostocki. Lettre autographe signée à André Chastel, Wellesley (Massachusetts), 28 octobre 1982.
Feuillet manuscrit. H. 28 ; L. 21,6.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 341, 100).
L'historien de l'art polonais Jan Biafostocki (1921-88), directeur du musée national de Varsovie, envoie ses voeux à Chastel pour son soixante-dixième anniversaire. En se remémorant que c'est depuis 1956 qu'ils se connaissent, il évoque le fait que leurs rencontres ont eu lieu dans plusieurs villes d'un côté et de l'autre de l'Atlantique et combien leurs conversations à travers les années ont été fécondes pour lui. Il se souvient par ailleurs avec gratitude de l'occasion que Chastel lui a donnée en l'invitant à donner des conférences au Collège de France (en 1978), et avec émotion du télégramme que Chastel et ses collègues lui ont envoyé en le croyant emprisonné par le régime (en 1982). [E.R.]
Chastel et les Français
[Cat. 115]
André Malraux. Lettre à André Chastel, Boulognesur-Seine, 7 janvier 1948.
Feuillet dactyl, signé. H. 21 ; L. 13,2.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 015, 34).
Les archives Chastel contiennent vingt-six lettres échangées avec André Malraux (1901-1976) sur près de trente ans (1948-1975). Plutôt que les courriers de courtoisie que l'on rencontre parfois dans les correspondances de personnages publics comme Malraux, la teneur des échanges entre les deux hommes est parfaitement consistante et a trait à leurs activités éditoriales et à leurs projets de publications (Galerie de la Pléiade, soutien du ministère des Affaires culturelles à la Revue de l'Art, numéro spécial de la Revue de l'Art consacré à la galerie François Ie' de Fontainebleau et préfacé par Malraux, etc.).
La lettre présentée ici est le premier échange épistolaire que l'INHA conserve. Malraux y répond à Chastel qui lui demandait un exemplaire du Musée imaginaire (Genève, Skira, 1947) pour le compte des Cahiers du Sud. Introduit aux Cahiers à la fin des années 1930, par Roger Caillois, Chastel était alors chargé par Jean Ballard d'y tenir la rubrique des arts. Chastel et Malraux auraient fait réellement connaissance au début des années 1950, d'abord par l'intermédiaire de Georgette Camille (1900-1998), puis chez Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), en 1952. Après la nomination de Malraux comme ministre d'État chargé des Affaires culturelles en 1959, Chastel trouvera en lui un soutien capital dans la mise en place de l'Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France (1962). Si son admiration pour le personnage de Malraux est indéniable et durable, il prit une réelle distance quant aux écrits de l'auteur de la Psychologie de l'art sur l'histoire des formes (D. Hervier, « André Chastel et André Malraux : d'une admiration réservée à une amicale déférence », communication au colloque André Chastel (1912-1990). L'histoire de l'art et l'action publique, Paris, INHA, 29, 30 novembre, 1" décembre 2012. Actes à paraître. [S.C.]
[Cat. 116]
Louis Grodecki. Lettre à André Chastel, Bernay, 10 avril 1949.
Feuillet manuscrit. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 12, 128).
Grodecki, historien de l'art médiéval, né à Varsovie (19101982), élève et assistant de Focillon à la Sorbonne et ami de longue date de Chastel, lui écrit pendant le séjour de Chastel en tant que Focillon Fellow à l'université Yale et le tient au courant des réunions des Focilloniens, villa Virginie. Il l'informe aussi de l'envoi du Piero della Francesca de Focillon aux éditions du Chêne par Jurgis Baltrusaitis et de l'état de la bibliographie focillonienne, qu'il voudrait soumettre à Mme Focillon et à Hélène Baltruisaitis. Il est aussi question d'articles pour la Gazette des Beaux-Arts de Dupont et Bony. Devant se rendre aux États-Unis en septembre et essayant de réunir l'argent pour payer son voyage, Grodecki demande à Chastel de se renseigner auprès d'Assia Visson Rubinstein (rédactrice de la Gazette des Beaux-Arts) sur le montant de la rémunération de son article (« Le vitrail et l'architecture aux xne et xme siècles », v. 36, 1949). Il demande également des nouvelles de la bibliographie Bonnerot et félicite Chastel pour ses succès aux États-Unis. Il conclut en envoyant ses salutations aux Crosby (Sumner McKnight Crosby - le professeur d'histoire médiévale à Yale en charge du Focillon Fellowship - et son épouse) et prie Chastel d'informer Crosby qu'il va lui envoyer des informations sur Saint-Denis. [E.R.]
[Cat. 117]
Excursion aux abbayes de Noiriac et de Plaimpied, avril 1961. Portraits d'André Chastel et de Louis Grodecki.
Photographie. H. 8 ; L. 8.
Collection particulière.
[Cat. 118]
Leçon inaugurale au Collège de France. Réception donnée à l'Académie d'architecture, 20 janvier 1971. Portrait de Louis Grodecki.
Photographie. H. 17,8 ; L. 11,8.
Collection particulière.
[Cat. 119]
Jacques Thuillier. Lettre à André Chastel, s. I., 26 avril 1960.
Trois feuillets manuscrits. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 018, 154).
Jacques Thuillier (1928-2011) fut très proche d'André Chastel. Il joua, on le sait, un rôle central dans l'organisation du colloque Poussin qui eut lieu en 1958, à la Sorbonne, sous l'autorité de Chastel. Dans cette lettre, Thuillier informe Chastel des diverses manifestations accompagnant la grande exposition Poussin, qui devait ouvrir le 9 mai 1960 sous la direction d'Anthony Blunt. Chastel et son fils Louis venaient d'être gravement malades, et Thuillier commence donc par prendre des nouvelles de leur santé. Il tient ensuite Chastel au courant des développements concernant l'exposition, en particulier de la liste des prêts (« Il ne manquera guère que le Saint Érasme du Vatican et le Germanicus »). Il lui indique les derniers détails à propos de la série des conférences que Blunt devait prononcer à cette occasion, ainsi qu'à propos de la journée d'études que Chastel et lui-même organisaient aux Andelys. Les actes du colloque Poussin étaient sur le point de paraître, et Thuillier explique comment il comptait les diffuser. [M.H.]
[Cat. 120]
Soutenance de thèse de Jacques Thuillier, Paris, Sorbonne amphithéâtre Richelieu, 1970.
De g. à dr. : René Jullian, professeur non identifié, Sir Anthony Blunt, Étienne Souriau, André Chastel, François-Georges Pariset.
Photographie. H. 11,4 ; L. 17,1.
Collection particulière.
[Cat. 121]
Daniel Arasse. Lettre à André Chastel, Paris, 1" juin 1978.
Deux feuillets manuscrits. H. 29,6 ; L. 21,1.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 340, 044).
Daniel Arasse (1944-2003) commença sous la direction d'André Chastel une thèse consacrée à saint Bernardin de Sienne. Chastel, au début, eut sans aucun doute une grande admiration pour son jeune élève et il contribua à sa nomination comme membre de l'École française de Rome. Mais leurs relations se refroidirent peu à peu et, dans cette lettre, Daniel Arasse lui « demande de ne plus [se] considérer comme le directeur de [ses] travaux ». En effet, il sentait que Chastel n'était pas favorable à la tournure que ses recherches avaient prises. Il avait dû, pour publier ses articles, « toujours procéder hors de [lui] et presque [...] malgré [lui] ». Il l'assurait de son admiration pour ce qu'il avait apporté à l'histoire de l'art et pour tout ce qu'il ouvrait « d'aperçus et d'idées aux gens qui [avaient] la chance de pouvoir converser avec [lui] » ; il espérait donc pouvoir lui soumettre ses idées non plus comme à un directeur de travaux « indifférent ou hostile à l'esprit de son élève », mais comme à une personne qu'il admirait et dont il osait attendre encore beaucoup. La conclusion de cette lettre est superbe : « Je voudrais donc que vous compreniez qu'en enregistrant administrativement la distance qui nous sépare déjà, je souhaite dans la mesure du possible, contribuer à la réduire ». Il n'est pas très simple de résumer les raisons profondes de cette rupture. Daniel Arasse allait ensuite s'inscrire en thèse auprès de Louis Marin et il entra ainsi, de manière définitive, dans l'orbite de l'École des hautes études en sciences sociales (l'ancienne VIe section de l'École pratique), qui, depuis Francastel, était en opposition ouverte avec Chastel et ses amis. Arasse devint d'ailleurs directeur d'études à l'EHESS en 1993. Si Chastel était lui-même intéressé par les nouvelles méthodes des sciences humaines (l'anthropologie, la linguistique, la sémiotique), il se défiait cependant d'approches trop radicales qui lui paraissaient remettre en cause la spécificité de sa discipline. De son côté, Arasse considérait que Chastel donnait trop de place à ce qu'il considérait comme un positivisme dépassé et il accordait lui-même de plus en plus de place, à ce moment de sa réflexion, au modèle sémiotique et, donc, aux recherches de Louis Marin. [M.H.]
[Cat. 122]
Antoine Schnapper. Lettre à André Chastel, Princeton, le 6 décembre [1983].
Feuillet manuscrit. H. 28 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 018, 047).
À quelques semaines de son retour à Paris, Antoine Schnapper (1933-2004) écrit depuis l'Institute for Advanced Study de Princeton. Pendant les quatre mois qu'il y a passé, à l'invitation d'Irving Lavin, il s'était consacré à ses recherches en vue de l'ouvrage qui paraîtra sous le titre : Le Géant, ta licorne et ta tulipe. Les cabinets de curiosités en France au xviF siècle (Paris, Flammarion, 1988). Schnapper, qui a été l'un des élèves d'André Chastel, affirme, amusé, « avoir appris beaucoup de choses sur les licornes et les oies d'Écosse, sur les poissons-scie, les amulettes pseudo-gnostiques, les pierres d'aigle, les rémoras et, ce matin même, sur les roses de Jéricho ». Toutes ces recherches vont servir aux deux premiers chapitres de l'ouvrage de 1988, le premier de deux volumes que Schnapper consacrera aux collections du xvne siècle (suivra celui consacré aux Curieux du Grand siècle. Collections et collectionneurs dans ta France du xviF siècle. Il, OEuvres d'art, Paris, Flammarion, 1994). [L.d.F.]
[Cat. 123]
M[ari ?]e Haisney [?]. Lettre à André Chastel, [Bordeaux], 4 avril 1981.
Feuillet manuscrit. H. 20,9 ; L. 14,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 347, 01 bis).
Cette lettre a été adressée à Chastel par une téléspectatrice suite à la diffusion sur Antenne 2 d'une conférence du Collège de France consacrée à François Ie et ta culture de son temps, le 4 avril 1981.
Chastel était assez déçu de sa performance, il s'était trouvé mauvais, ne parvenant à trouver le ton juste, la conférence ayant été, par ailleurs, assez mal filmée. Ceci manifestement ne l'empêcha pas de séduire le public - d'autres courriers ont été conservés par Chastel - qui exprime ici son admiration et demande à se procurer le texte. [S.C.]
Chastel critique d'art
[Cat. 124]
André Chastel. Visite à Ker-Xavier Roussel, jeudi 23 juillet 1942.
Feuillet manuscrit. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 153).
[Cat. 125]
André Chastel. Entretien avec Maurice Denis, Exposition Sérusier, Galerie Joly, 16 décembre 1942.
Feuillet manuscrit. H. 21 ; L. 13, 5.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 153).
Libéré de l'oflag le 13 février 1942, André Chastel se voit proposer par le directeur de l'École normale supérieure, Jean Bayet, de faire l'inventaire de l'atelier d'Édouard Vuillard (1868-1940), à la demande de ses héritiers. Très rapidement, et sans doute sur la recommandation de Jacques Salomon (1885-1985), il décide de conduire une série d'entretiens avec les personnalités proches de Vuillard et obtient de rencontrer Ker-Xavier Roussel (1867-1944), beau-frère de Vuillard, et Maurice Denis (1870-1943). Les archives Chastel contiennent les comptes rendus de dix rencontres : six avec Roussel (13 juin, 8 juillet, 23 juillet, 11 août, 27 août, 15 septembre 1942), une avec Mme Roussel (juillet 1942), deux avec Denis (8 juillet et 16 décembre 1942), et une avec Picasso (21 juin 1942).
Les transcriptions de ces rencontres mêlent à la fois les recherches que Chastel conduit sur Vuillard, mais aussi, ses propres préoccupations, sur Mallarmé, sur Rembrandt, sur les perceptions de l'artiste et les processus de création.
« J'interroge K[er]-X[avier] sur Mallarmé et Vuillard. M[allarmé] était-il le "poète" de Vuillard ? K. X. hésite : "C'était souvent l'objet de nos discussions. Moi je préférais Verlaine, mais V[uillard] aimait beaucoup Mall[armé] et le dtait souvent. Une de ses phrases familières était ce texte des Divagations" [...] ». (Entretien avec Ker-Xavier Roussel, 23 juillet 1942)
« L'avarice de la sensation" : V[uillard] pressé de recueillir, de noter ce qu'il a saisi, ainsi la séance de l'Institut. M[aurice] D[enis] l'imagine se précipitant sur un papier, un carton pour fixer cela. Étonnement sur tout ce que ce regard peut ainsi "emporter" avec soi : une multiplicité qu'il regroupe ensuite. Comme un homme pressé d'écrire son journal, chaque soir. Le problème du sujet reparaît alors : "on ne peut disperser son pouvoir sensoriel". Le sujet = le pieu des dragueurs bretons où ils viennent déposer le sable - qu'ils retrouveront, à marée basse - et qu'on emportera alors. Le problème est de coordonner les petites découvertes - de faire l'unité "sur le sujet", comme dans le portrait de Mme Bénard, de Mme Vaquez, où la convergence des effets est obtenue. Et c'est alors - malgré l'abus de ces rapprochements - Le Syndic des drapiers [...]. » (Entretien avec Maurice Denis, 16 décembre 1942). [S. C.]
[Cat. 126]
André Chastel. « Cinq années de peinture », la France Libre, vol XI, n° 63, 15 janvier 1946, p. 209-219.
H. 24,5; L. 18.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 061).
Dans les pages de ia France Libre, la revue fondée en 1940 à Londres par André Labarthe, à laquelle avait aussi collaboré Henri Focillon, et qui, en 1945 et 1946, était dirigée par Roger Callois, Chastel écrit : « Privé de lumière, de voitures, Paris était plein de tableaux, plein d'artistes, plein de marchands ». Organisé en trois parties dont les titres sont évocateurs (« Résistance », « Plaisir et Discipline » et « Perspectives du XXe siècle »), l'article analyse la production artistique pendant les années de guerre, définissant l'éclat de la peinture française après 1940 comme un réflexe salutaire. Il évoque les peintres nouveaux, leur originalité, mais n'oublie pas de souligner que ces cinq années furent aussi le temps des rétrospectives et des expositions commémoratives, ainsi que le moment où fut ressenti le besoin d'une réflexion historique et théorique, soulignant dans ce processus le rôle de la critique, renouvelée elle aussi par le cataclysme de la guerre qui, selon Chastel, en reprenant une formule focillonienne, a « provoqué, à tout point de vue, les effondrements géologiques qui permettent les affleurements imprévus ». [E.R.]
[Cat. 127]
André Chastel. « Umiltà della critica », Vernice. Rassegna d'Arte, IV, n° 32, février 1949, p. 3-4.
H. 29,5; L. 22,8.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 061).
Dans une lettre du 31 décembre 1947 (Venise, Ca' Fosean, Dipartimento di Storia e delle Arti, archivio Sergio Bettini), Chastel écrit à son ami l'historien de l'art byzantin et médiéval Sergio Bettini (1905-1986) : « J'ai déjà entendu parler des projets d'Exposition à Venise. S'il y avait des invitations pour la presse, j'aurais là une occasion de revoir Venise. » Le 12 mai 1948, Chastel écrit encore à Bettini : « Je viens de recevoir de Pallucchini [directeur de la Biennale] une invitation pour passer 3 jours à Venise, à l'occasion de la Biennale. J'en suis très flatté et très content. » Il se rendra donc à la première Biennale de Venise de l'après-guerre en septembre et il sera lauréat du « Prix de la critique en langue étrangère de la XXIVe Biennale ». À l'automne, Chastel participera aussi au Congrès international de la critique d'art, et sa communication, qui apparaît dans Arts (22 octobre 1948) de Georges Wildenstein, sera traduite par Bettini, et publiée dans les pages de la revue Vernice grâce à la médiation d'Umbro Apollonio, critique d'art et proche collaborateur de Pallucchini à la Biennale. Cette comparaison entre la critique italienne et française et l'analyse de la relation différente qu'entretiennent critique et histoire seront reprises et développées dans un autre article de Chastel, « L'Historien et le Critique », publié dans Le Monde du 2 septembre 1949. [E.R.]
[Cat. 128]
René Char. Note à André Chastel, Paris, 27 octobre 1965.
Carte manuscrite. H.13,5 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 155).
« On n'éclaire pas sans brûler ». Ainsi commence la présentation de Chastel du volume (Paris, éditions du Temps, 1968) sur Nicolas de Staël (1914-1955) qui recueille une large part de sa correspondance et un catalogue raisonné des peintures de l'artiste. C'est précisément à des lettres de Staël que fait référence ici René Char (1907-1988). Char dit les avoir retrouvées à l'Isle-sur-la-Sorgue et les envoie à Chastel pour compléter la correspondance qu'il lui a déjà envoyée auparavant. Les lettres en question, publiées en 1968, témoignent de l'amitié entre Char et de Staël qui commence en 1951 autour d'un projet pour un livre à quatre mains où les poèmes de Char sont associés à quatorze bois gravés du peintre. Dix-huit lettres de Char adressées à Chastel (entre 1965 et 1979), conservées dans le fonds de l'INHA, attestent, au-delà de ce projet autour de la correspondance de leur ami commun, l'amitié et l'affection qui liaient Chastel à Char et indirectement des rapports personnels qui liaient Chastel à de Staël, grâce auxquels il put, comme il nous le dit dans « Un sentiment de bonheur » (Revue de l'Art, 1991, n° 93), assister à toute la courbe « si pathétique de son existence » et ainsi « mesurer la force inouïe de ce qu'il réalisait dans sa peinture ». [E.R.]
[Cat. 129]
Nicolas de Staël, Sans titre, 1950.
Plume et encre noire sur papier, signé et daté en haut à droite, dédicacé au dos « À Chastel, Amicalement, Staël ». H. 41 ; L. 47.
Ancienne collection André Chastel.
[Cat. 130]
Nicolas de Staël, Paysage (Marine), 1952.
Huile sur carton. H. 27.3 ; L. 33.
Collection particulière.
[Cat. 131]
Zoran Music. Lettre à André Chastel, Paris, 13 mars 1964.
Feuillet manuscrit. H. 27 ; L. 21.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 019, 142).
À la veille de l'inauguration de son exposition à la Galerie de France, à Paris (25 mars-29 avril 1964), Zoran Music (1909-2005) exprime sa reconnaissance à André Chastel qui est à l'origine de son aventure parisienne. Il lui écrit pour l'inviter à venir visiter son atelier car il souhaite lui montrer ses dernières toiles. Chastel composera par la suite une « Petite lettre à Zoran Music », en introduction au catalogue de l'exposition de 1983 à la Galerie Claude Bernard, à Paris. Il y évoque l'oeuvre de Music comme un art de métaphores : « Tu m'as toujours rappelé sans le vouloir par ta seule attitude dans ton atelier que la peinture avant même toute initiative est métaphore ». Il ajoute : « Ce n'est pas que l'espace soit tellement instable sur tes feuilles et sur tes toiles. Mais il est inégal [....] Rien ne va tout seul mais l'arabesque le retient tout. J'aime ce moment où le filet des formes a été jeté, et l'on sait qu'il n'est pas vide. Ton opération, ta métaphore, me semble devoir être cherchée de ce côté-là ». [L.d.F.]
[Cat. 132]
Zoran Music. Sottoportico a Venezia, 1983.
Huile sur toile, signé et daté au milieu en bas et au dos. H. 77, 1 ; L. 96,1.
Ancienne collection André Chastel.
[Cat. 133]
Massimo Campigli. Lettre à André Chastel, Rome, 5 janvier [1970].
Deux feuillets manuscrits. H. 28 ; L. 22.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 009, 069).
Les archives d'André Chastel conservent plusieurs lettres adressées à l'historien d'art par le peintre Massimo Campigli (1895-1971) entre 1959 et 1970. Ces échanges témoignent d'un lien amical. En 1969, ils enregistrent un dialogue destiné à la télévision italienne mais qui ne sera finalement pas retransmis. Chastel adressera à Campigli un de ses volumes sur la Renaissance et lui consacrera un texte, « Les idoles de Campigli », paru dans la revue italienne Letteratura en 1964. De son côté, le peintre, qui depuis 1967, partage son temps entre Rome et Saint-Tropez, invitera chaleureusement Chastel à plusieurs reprises tant « dans son oasis » du sud de la France qu'à Rome. Il lui prêtera également des tableaux et partagera avec Chastel sa passion pour les animaux. Dans cette lettre, l'artiste, à la demande de son ami, livre ses réflexions sur l'autoportrait dans l'histoire. Il y fait référence au traité de la peinture de Léonard de Vinci, ainsi qu'aux autoportraits de Michel-Ange, Rembrandt et Van Gogh. Il ajoute à ces exemples des considérations personnelles : « L'autoportrait est toujours un masque, c'est le visage que le peintre promène dans la vie, plus beau, plus digne, plus mâle que le vrai dont il est toujours insatisfait. Jusqu'à sa vieillesse [...] où il se peint laid plus qu'il n'est, pour se punir [...]. Je suis porté à supposer dans tout autoportrait un drame intime, une confession incomplète, un travestissement ». [L.d.F.]
[Cat. 134]
André Masson. Lettre à André Chastel, 19 septembre 1970.
Feuillet manuscrit. H. 24,3 ; L. 19.
Paris, Bibliothèque de l'INHA, collections Jacques Doucet (Archives 90, 015,071).
Les lettres qu'André Masson (1896-1987) a envoyées à André Chastel couvrent une période de plus de vingt ans, allant de 1955 à 1977. Dans ce document, Masson fait référence à la préface écrite par André Chastel pour le livre de Robert Klein (1918-1967), La Forme et l'intelligible, publié chez Gallimard en 1970. La lecture de cette préface est, pour l'artiste, l'occasion de livrer ses considérations sur la peinture contemporaine : « Ne crois-tu pas que nous assistons, non seulement à la fin de l'image, mais de toute peinture répondant à la définition de M[aurice] D[enis], ainsi résumée : Peinture - surface plane recouverte de couleurs dans un certain ordre - ou désordre - assemblées ? Seule, "la relation de l'homme au monde", comme tu le dis si bien - seule cette vue profonde (comprise en profondeur, au-delà du géométrisme ou du sensualisme) aurait pu donner l'espace qu'une dernière poignée de peintres ferait de notre crépuscule comme une apothéose ». Masson avouera à la fin de sa lettre : « Me relisant, je vois que je suis bien obscur ». [L.d.F.]
[Cat. 135]
André Masson, Deux filles de cuisine, 1962.
Huile sur toile, signé et daté au dos. H. 58,8 ; L. 70.
Ancienne collection André Chastel..
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Copyright Journal of Art Historiography Dec 2013