Content area
Abstract
Durant la seconde moitié du 19e siècle, la plupart des sociétés occidentales mettent en vigueur des politiques spécifiques destinées aux enfants délinquants et en danger. Au Québec, cette transformation des politiques pénales se concrétise en 1857 avec la création de la première prison de réforme pour jeunes délinquants. Ensuite, la loi de 1869 crée deux réseaux d'institutions: les écoles de réforme et les écoles d'industrie. C'est alors que filles et garçons sont pour la première fois pris en charge dans des institutions distinctes.
À Montréal, les écoles de réforme et d'industrie pour filles ouvrent leurs portes en 1870. La direction de ces institutions est confiée aux Soeurs du Bon Pasteur d'Angers.
En abordant l'étude de ces deux institutions, nous entendons découvrir comment la gestion de la déviance des filles fut construite, réglementée et appliquée au Québec au 19e siècle. Ces modes de gestion sont en effet révélateurs des valeurs que l'on entendait inculquer aux filles et du rôle que la société désirait leur imposer. Au départ, nous désirions répondre à deux questions. La première concernait la place des filles dans les théories et politiques relatives à l'enfance délinquante et en danger au Québec. Nous nous demandions si les politiques destinées aux mineurs délinquants et en danger avaient été mises au point pour les garçons, les filles ne bénéficiant que secondairement de ces réformes. Avec la seconde question, nous désirions vérifier dans quelle mesure les pratiques d'enfermement au Bon Pasteur avaient conduit à d'éventuelles révisions et transformations des politiques à l'égard des filles déviantes. La vérification de ces hypothèses supposait l'examen approfondi des discours, des lois et des pratiques d'enfermement elles-mêmes.
La prise de conscience des problèmes spécifiques posés par les filles commence dans la prison de réforme. La cohabitation filles-garçons y est perçue comme la source de graves ennuis auxquels on remédie en renvoyant les filles. Malgré le désir d'organiser alors pour elles un réseau spécifique de prise en charge, le projet est abandonné. Les filles délinquantes n'étaient pas alors à proprement parler ignorées mais les problèmes qu'elles posaient étaient perçus comme moins urgents et requéraient aux yeux des autorités des mesures moins drastiques qu'à l'endroit des garçons.
Après 1869, même si les filles restent au second plan, elles purent bénéficier de traitements spécifiques qui correspondaient aux besoins que l'on attribuait aux filles. L'accent était mis sur la moralisation, et la formation des filles visait à en faire de bonnes ménagères. Ces objectifs de réforme et d'éducation furent souvent compromis par de nombreuses contraintes matérielles (manque d'espace et d'argent) et par l'action de divers acteurs (pouvoirs publics, familles des enfants, clientèles). Les pratiques d'enfermement se modifièrent au cours du 19e siècle et entraînèrent des changements dans la conception de la déviance des filles et dans le traitement appliqué à leur égard. Ces besoins issus de la pratique conduiront finalement à remettre en question la notion d'enfant délinquant et d'enfant à protéger et mèneront à l'adoption d'une première législation fédérale protectrice de l'enfance en 1908.